Agriculture : feu sur les normes environnementales
Le choc de simplification martelé par le Premier ministre en réponse à la colère paysanne n’est qu’une nouvelle étape dans le démantèlement du droit de l’environnement mis en œuvre depuis l’élection d’Emmanuel Macron.
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« Simplifier » (v.t.) : faire un cadeau au patronat Eau, chasse, biodiversité… Comment les tabous sont tombés« Ce que je veux, c’est déverrouiller, libérer, simplifier et laisser nos agriculteurs respirer », déclarait Gabriel Attal en janvier dernier, lors de son opération séduction d’une partie du monde agricole en colère. Tous les préjugés ont été égrenés au fil des mois : normes environnementales trop contraignantes et obstacles à la compétitivité, besoin imminent d’un « choc de simplification » providentiel : mais à quel prix ? Les défenseurs de l’environnement et de l’agriculture paysanne dénoncent un détricotage progressif des réglementations protégeant l’environnement et la santé des citoyens ainsi que celui du droit de l’environnement.
Si certains peinent encore à définir ce qu’est réellement le macronisme, l’accélération des derniers arbitrages politiques – sans vote au Parlement ni négociation avec les partenaires sociaux –, qu’il s’agisse des sujets qui touchent au droit du travail ou à celui de l’environnement, leur donne chaque jour toujours plus matière à réfléchir.
Parce qu’il n’y a pourtant rien de plus simple : le macronisme est un néolibéralisme autoritaire. « Simple, basique », comme dirait le rappeur. Déjà, les aides de l’État versées aux entreprises (premier poste budgétaire des dépenses publiques) ne s’encombraient pas de contreparties sociales ou environnementales. Mais avec la crise des agriculteurs, l’inflation, l’obsession du plein-emploi, Emmanuel Macron a trouvé l’argent et les dispositifs magiques pour « simplifier » plus encore notre modèle social et économique. Simplifier non pas la vie des gens, mais celle des exploitations agricoles – les plus grandes d’entre elles qui y ont intérêt –, celle des entreprises et des employeurs – les plus gros d’entre eux qui y ont intérêt –, comme nous vous en faisons la démonstration dans le dossier de cette semaine.
« Il faut aller beaucoup plus vite et plus fort en termes de simplification », avait plaidé le chef de l’État devant les cadres dirigeants de l’administration française, en mars dernier. Le chef de l’administration française, Gabriel Attal, s’exécute et s’active en coulisses pour mettre à la disposition des puissants, des possédants, de ceux qui ont déjà tout, les moyens de l’État. Comme quoi, s’il fallait vous en convaincre, les assistés ne sont pas ceux que l’on croit. Ainsi, ordre est donné aux préfets de simplifier la vie des agriculteurs en multipliant les dérogations qui se font au détriment de l’environnement, de la biodiversité et donc de la santé des Français.
Des décisions qui vont, par ailleurs, à l’encontre des engagements pris dans le cadre de l’accord de Paris. Plus grave encore, ces décisions ne font souvent l’objet d’aucune concertation ou négociation. Sauf, assurément, avec la FNSEA, que le gouvernement prend grand soin de ménager. L’autre volet sur lequel le gouvernement semble vouloir s’agiter, c’est le volet social, sans davantage de concertation ou de négociation. Sauf, sans aucun doute, avec le Medef. Ainsi, de nombreuses conquêtes sociales pourraient faire les frais de la simplification made in Macron : le salaire minimum, le temps de travail, le chômage, le droit syndical, etc. Rien que ça. Après tout, on n’est jamais mieux servi que par soi-même !
Pierre Jacquemain
« Ce narratif autour de la simplification existe depuis une quinzaine d’années au niveau européen et français. Il est porté par des lobbys qui œuvrent pour que toute norme soit perçue comme une contrainte, une lourdeur administrative, qui entraverait la liberté d’entreprendre, qui empêcherait d’innover. Cela aboutit à un paradoxe : le droit de l’environnement est devenu énorme et très complexe, mais la plupart des augmentations législatives de ces dernières années proviennent des multiples systèmes dérogatoires créés sous prétexte de simplification administrative ! », explique Morgane Piederrière, responsable du plaidoyer de France Nature environnement (FNE), qui regrette qu’aucun bilan de ces réformes ne soit jamais effectué avant de lancer de nouveaux projets de loi.
Derrière ce fourre-tout sémantique de la « simplification », c’est la démocratie environnementale qui est mise à mal. Celle-ci est garantie par la Convention d’Aarhus, ratifiée par la France en 1998, dont les trois piliers sont l’accès à l’information en matière environnementale, la participation du public aux décisions qui impactent l’environnement et l’accès à la justice en matière d’environnement.
La plupart des augmentations législatives de ces dernières années proviennent des multiples systèmes dérogatoires créés sous prétexte de simplification administrative !
M. Piederrière
Régression totale
La France a connu une série d’améliorations en ce domaine : la loi Barnier (1995) a permis d’affirmer le principe de participation du public à l’élaboration des grands projets d’intérêt national, puis la loi de démocratie de proximité (2002) a institué la Commission nationale du débat public (CNDP) en tant qu’autorité administrative indépendante ; la Charte de l’environnement a consacré le principe de participation du public comme un droit individuel opposable et à valeur constitutionnelle ; et les ordonnances de 2016 ont encore renforcé le pouvoir de la CNDP, notamment avec la création d’un droit d’initiative citoyenne et en intégrant dans son champ de compétence les plans et programmes de niveau national soumis à évaluation environnementale.
Selon Sébastien Mabile, spécialiste en droit de l’environnement au cabinet Seattle avocats, cette obsession pour la simplification s’est intensifiée depuis l’élection d’Emmanuel Macron en 2017, engendrant une régression sur tous ces aspects. « C’est une tendance de fond du président de la République de vouloir réduire la participation du public, et de considérer que les citoyens qui participent aux enquêtes publiques et les associations de protection de l’environnement qui saisissent la justice sont des empêcheurs de tourner en rond et qu’il faut limiter le plus possible leur champ d’action », affirme-t-il.
L’alibi idéal
La loi Asap – pour accélération et simplification de l’action publique – de 2021 a drastiquement limité la participation du public et le champ de l’enquête publique pour certains projets industriels, notamment en remplaçant l’enquête publique en présence des habitants et d’un commissaire enquêteur par une simple consultation par voie électronique. En 2023, la loi relative à l’accélération de la production d’énergies renouvelables ainsi que celle sur la relance du nucléaire ont continué cette dynamique de réduction des modalités de concertation du public, permettant ainsi d’accélérer le déploiement des nouveaux EPR. L’alibi de la transition écologique est constamment brandi par l’exécutif.
« Tout ce régime dérogatoire a commencé sur les énergies renouvelables, avec l’éolien, puis il a été élargi au nucléaire avec le prétexte que c’est une énergie décarbonée, puis à tous les projets d’ENR – notamment photovoltaïques – et aujourd’hui à toutes les installations agricoles industrielles, donc bien loin de l’objectif d’accélérer la transition énergétique. Quand on a un régime dérogatoire, il y a toujours le risque que la dérogation s’étende à d’autres domaines, et qu’elle devienne le droit commun », alerte Sébastien Mabile.
Autres exemples : le récent projet de loi Simplification promet d’assouplir les obligations actuelles en matière de compensation environnementale pour les grands projets industriels, et la loi industrie verte a réduit les délais administratifs d’implantation ou d’agrandissement de sites industriels de 17 à 9 mois. Cette liste est non exhaustive, d’autant plus que Gabriel Attal a annoncé une Loi industrie verte 2 afin d’accélérer encore les ouvertures d’usines sur le territoire et de soutenir le mantra de Roland Lescure, titulaire du portefeuille de l’Industrie et de l’Énergie : « Décarboner, accélérer, sécuriser ».
La simplification est le cache-sexe de la dérégulation. Or, plus on affaiblit la démocratie environnementale, plus on radicalise les oppositions sur le terrain.
S. Mabile
« Par petites touches, nous arrivons à un droit de l’environnement avec des délais toujours plus courts, ce qui complique les choses pour organiser les potentielles contestations, et des niveaux de juridictions supprimés, ce qui limite le droit de recours. Globalement, cela rend plus difficile la tâche des citoyens qui essayent juste de faire appliquer le droit alors que c’est légitime d’agir ainsi dans une démocratie saine. L’alternative, c’est la désobéissance civile et cela déplaît aussi au gouvernement », décrypte Morgane Piederrière.
« La simplification est le cache-sexe de la dérégulation. Or, plus on affaiblit la démocratie environnementale, plus on radicalise les oppositions sur le terrain. Le risque est d’avoir des luttes locales de plus en plus radicales contre des projets parce que les gens ne sont pas consultés, écoutés, pris en compte », ajoute Sébastien Mabile.
Protéger l’environnement ou les pollueurs ?
Le projet de loi d’orientation pour la souveraineté en matière agricole et le renouvellement des générations en agriculture enfin arrivé à l’Assemblée nationale incarne parfaitement cette logique macronienne : l’objectif initial consistant à mettre la priorité sur la transition écologique du secteur et sur le renouvellement des générations a été éclipsé par les mesures de simplification ajoutées après les mobilisations du début d’année. Dans le titre IV, « Sécuriser, simplifier et faciliter l’exercice des activités agricoles », deux articles préoccupent particulièrement les associations de défense de l’environnement et de l’agriculture paysanne, qui craignent un recul net des normes environnementales.
L’article 13 prévoit de modifier les sanctions envers les agriculteurs qui portent atteinte à l’environnement, en passant par l’administration et non plus par un juge. De plus, un amendement déposé par le gouvernement demande que les faits « commis sans intentionnalité » ne soient punis que par un stage de sensibilisation aux enjeux de l’environnement. « En droit, il est assez difficile de démontrer l’intentionnalité, donc une telle mesure risque de compliquer encore davantage les contentieux, notamment lorsque des actes provoquent la destruction de spécimens d’espèces protégées, des habitats, des milieux… Nous demandons plutôt une présomption d’urgence pour faire avancer plus rapidement les recours en justice », analyse Morgane Piederrière.
Quant à l’article 15 du projet de loi, il amoindrit la possibilité de recours face à des projets de stockage d’eau et d’installation de gros bâtiments d’élevage, une demande récurrente de plusieurs syndicats agricoles depuis des mois : la FNSEA, les Jeunes Agriculteurs et la Coordination rurale. On comprend que les projets de mégabassines, de retenues d’eau et de fermes-usines seront clairement facilités.
Manque d’ambition sur les revenus des agriculteurs
En parallèle de ce projet de loi, cette lubie de la simplification pour le monde agricole s’est aussi exercée ces derniers mois au sein des préfectures et par thématiques. Ainsi, le ministère de l’Agriculture et de l’Alimentation a lancé un cycle de réunions dédié aux « solutions et alternatives aux produits phytosanitaires interdits », décliné production par production (choux, poireaux, oignons, pommes, etc.). « La Confédération paysanne a décidé de ne pas siéger si ces réunions ne servaient qu’à cautionner l’augmentation de l’utilisation de molécules interdites en France, et non pas à réfléchir à des solutions systémiques et des alternatives à l’usage des pesticides. Sous couvert de simplification, on nivelle vers le bas toute la protection de la santé publique », s’indigne Sylvie Colas, secrétaire nationale de la Confédération paysanne.
Je ne peux pas m’empêcher de penser que le choc de simplification est un plan social du monde agricole !
S. Colas
Pour elle, également paysanne en polyculture-élevage dans le Gers, ce recours systématique à la simplification au détriment des normes environnementales est l’illustration parfaite du décalage béant entre les politiques – poussés par le syndicat agricole majoritaire la FNSEA – et la réalité de terrain. « Pour nous, par exemple, une simplification utile serait d’avoir une personne qui répond au téléphone quand on a un problème administratif, à la MSA ou ailleurs. Pour eux, la simplification, c’est de passer au tout numérique alors que ça exclut tous ceux qui sont dans des zones blanches, donc beaucoup de monde à la campagne. »
Sylvie Colas déplore l’absence d’ambition sur les revenus des agriculteurs et le renouvellement des générations. Elle craint que les multiples annonces du gouvernement sur l’agriculture ne soient qu’un détricotage de tout l’aspect sociétal du monde agricole : « Je ne peux pas m’empêcher de penser que le choc de simplification est un plan social du monde agricole ! Pour nous dégager, ils nous appâtent en retenant les 25 meilleures années pour notre retraite ou nous proposent de faire du photovoltaïque sur nos terres afin d’avoir une rente financière pour nos vieux jours. Ainsi, ils éliminent le modèle agricole des petites fermes, de l’agriculture paysanne. »