Eau, chasse, biodiversité… Comment les tabous sont tombés

Foin des contraintes, des taxes, des contrôles, les syndicats majoritaires ont imposé leurs desiderata, tandis qu’une autre parole, celle de la Confédération paysanne, peine à faire entendre un point de vue différent.

Pierre Jequier-Zalc  • 21 mai 2024 abonnés
Eau, chasse, biodiversité… Comment les tabous sont tombés
© Louise Moulin

« Je veux des solutions concrètes maintenant, tout de suite, pour des réponses immédiates, maintenant, tout de suite. » On est le 26 janvier, à Montastruc-de-Salies, en Haute-Garonne. La mise en scène est calibrée à merveille et Gabriel Attal, tout juste nommé Premier ministre, fait des premières annonces pour répondre à la « colère agricole », ses fiches posées sur un ballot de paille faisant office de pupitre. Depuis quelques jours, de nombreuses autoroutes, partout dans l’Hexagone, sont coupées par des barrages d’agriculteurs qui demandent de meilleures conditions d’exercice et de rémunération de leur métier. Parmi ces annonces en figure une, particulièrement mise en avant : le « choc de simplification ».

L’idée est simple. Pendant un mois, les préfets et leur administration doivent répondre, le plus rapidement possible, aux revendications locales des agriculteurs. Le premier ministre prend alors l’exemple du département dans lequel il se trouve, où quatre arrêtés préfectoraux ont été modifiés en quelques jours. « Cette méthode, je veux la dupliquer partout en France », assure-t-il.

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En Haute-Garonne, les arrêtés qui ont été revus concernent essentiellement des règles environnementales : révision du dispositif en cas d’épisode de pollution de l’air, avec intégration de la chambre d’agriculture dans le « comité d’experts » et délai supplémentaire pour mettre fin aux épandages de fertilisants, baisse de la protection d’arbres en bordure des cours d’eau, ou encore diminution des contraintes pour réaliser des feux – notamment de brûlage des déchets verts.

« Les tabous sont tombés un par un »

Le ton est donné. Pendant un mois, les réunions en préfecture s’enchaînent donc entre administration et représentants agricoles. Ces derniers doivent lister toutes les problématiques locales, et les préfectures essayer d’y répondre. Le tout dans un contexte où le gouvernement met justement la pression sur les préfets pour accélérer ce processus. Une occasion rêvée pour certains syndicats – FNSEA en tête – de faire valoir des revendications anti-environnementales. « Les tabous sont tombés un par un, tout le monde s’est emballé. Il y a eu une course à la déconstruction que même la FNSEA, avant cette mobilisation, n’aurait jamais espérée », souffle Cédric Marteau, directeur général de la Ligue pour la protection des oiseaux (LPO), une des principales associations de défense de la biodiversité en France.

Il y a eu une course à la déconstruction que même la FNSEA, avant cette mobilisation, n’aurait jamais espérée.

C. Marteau

Gilles Guellier, jeune retraité de la Confédération paysanne dans le Loir-et-Cher, a, en février, assisté à certaines de ces réunions en préfecture. « Il y avait les représentants des syndicats d’exploitants, mais aussi des agriculteurs qui disaient représenter un territoire », assure-t-il. Il décrit des réunions où étaient tenus des discours particulièrement simplistes : « C’est simple, le propos, c’était ‘on ne veut plus de contrainte, plus de taxe, plus de contrôle. Laissez-nous travailler comme on veut’. Donc nous, à la Confédération paysanne, on s’est retrouvés à défendre les positions de l’administration ! »

Feu vert pour 13 dossiers sur 35 

Dans un contexte d’emballement médiatico-politique, les normes environnementales tombent une à une. Assouplissement de la réglementation sur les haies, dans la Manche ou dans le Haut-Rhin. Facilitation de la « régulation des populations » de certaines espèces – autrement dit de la chasse – dans le Var pour les sangliers, dans le Haut-Rhin pour les corbeaux. Nette accélération des procédures sur la question du forage ou de la création de retenues d’eau. Ainsi, dans le Gers, 35 dossiers sont examinés, 13 reçoivent rapidement un feu vert.

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C’est justement dans ce département que Sylvie Colas, secrétaire nationale de la Confédération paysanne, possède une exploitation en polyculture-élevage de volailles. Pour son syndicat, elle a assisté à ces réunions où la question de l’eau est vite devenue cruciale. « C’est parti en vrille, raconte-t-elle. La FNSEA a remis sur la table un gros projet de réserve d’eau qui n’avance pas depuis des années, en demandant que les autorisations soient étudiées et validées très rapidement. On s’y est fermement opposés ! » Elle rappelle que le Gers est confronté à de grosses problématiques autour de l’eau et qu’« il faut absolument réfléchir à répartir le peu qu’il reste ».

Au moins, Sylvie Colas note que le préfet du département a « essayé de tenir compte de toutes les voix ». Une « chance » que certains de ses camarades n’ont pas connue. Dans l’Ain, par exemple, la Confédération paysanne, qui représente tout de même 33 % des agriculteurs dans le département, n’a tout bonnement pas été invitée à ces réunions. « La préfecture considère que nous ne devons pas avoir voix au chapitre dans le département », confie, amère, Alice Courouble, porte-parole du syndicat au niveau local.

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« Nous avons demandé à la préfecture pourquoi nous n’étions pas conviés à ces réunions pour le suivi des mesures de simplification, raconte l’agricultrice. En réponse, la préfète nous a renvoyés vers la chambre d’agriculture, qui nous a dit qu’il fallait qu’on demande à la FDSEA et au JA. C’est totalement lunaire. On nous envoie balader d’un côté comme de l’autre. »

Les représentants des syndicats majoritaires décident ce qu’ils veulent, et la préfecture valide derrière ou pas.

A. Courouble

La mise au ban de tout discours potentiellement écologique, c’est une habitude dans ce département. Ainsi, pour répondre à la problématique du loup, importante pour les agriculteurs, une cellule spéciale a été créée, sans la Confédération paysanne, ni France nature environnement, ni ­l’Office national de la biodiversité. « On est mis à l’écart, tout simplement. Les représentants des syndicats majoritaires décident ce qu’ils veulent, et la préfecture valide derrière ou pas. Mais notre discours, notre vision, notre réalité, notamment sur des fermes plus petites, en bio, etc., n’existent pas », conclut Alice Courouble.

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C’est d’ailleurs, peut-être, une des leçons de ce « choc de simplification ». Une nouvelle illustration que gouvernement et FNSEA travaillent main dans la main pour une agriculture intensive et productiviste, qui favorise les gros exploitants, au détriment des plus petits et de l’environnement. Un « choc de simplification » unilatéral donc, qui a balayé, parfois, des années de travail pour mettre en place, le mieux possible, des réglementations environnementales. « Sur ce ‘choc’, on n’a jamais été consultés », assure Cédric Marteau, de la LPO, qui conclut : « On a constaté une non-prise en compte d’un travail colossal effectué depuis une vingtaine d’années pour coconstruire, avec toutes les parties et des compromis, des mesures écologiques – comme le plan Écophyto. Tout ça a volé en éclats en un mois de simplification ». Quel choc.

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