Clémentine Autain, trait d’union de la gauche en 2027 ?
Fervente défenseure du rapprochement des gauches et ostracisée au sein du mouvement mélenchoniste, la députée insoumise compte désormais jouer un rôle dans la prochaine présidentielle.
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Réunion top secrète. Jeudi 29 février, salle des conférences du Fab City Hub, un tiers-lieu du 19e arrondissement de Paris, à quelques pas du quartier de la Mouzaïa. Environ soixante-dix invités, des figures associatives et militantes comme l’activiste Camille Etienne, des chercheurs, des élus locaux et des députés. Au milieu de cette foule, la petite bande des frondeurs insoumis – Raquel Garrido, Alexis Corbière et Danielle Simonnet –, les derniers « unionistes » de la Nouvelle Union populaire, écologique et sociale (Nupes), comme la communiste Elsa Faucillon, et des élus d’Île-de-France, comme Patrice Leclerc, le maire communiste de Gennevilliers (Hauts-de-Seine), ou encore Audrey Pulvar, adjointe d’Anne Hidalgo à la mairie de Paris. Tous sont venus pour une seule chose : écouter la députée insoumise de Seine-Saint-Denis Clémentine Autain.
Tout devait rester confidentiel. Mais les fuites dans Politico et Libération ont tout fait capoter. Quelles sont les raisons de la tenue d’une telle assemblée ? Une réunion de « travail », disent certains présents. Voilà pour la version officielle. La principale intéressée répond : « Pour l’instant, on est engagés dans une campagne européenne, je n’ai pris aucune initiative publique. Ce n’est pas de mon fait si ça a été rendu public. Je travaille à faire en sorte que la liste de Manon Aubry soit la plus haute possible. Après s’ouvrira la question de 2027 et j’y prendrai ma part. »
Elle fait partie, comme François Ruffin et Jean-Luc Mélenchon, de ces incarnations qui comptent.
H. Davi
Certains s’avancent plus que d’autres. « Elle a clairement dit qu’elle se préparait pour être une candidate potentielle, assure Hendrik Davi, député La France insoumise (LFI) et membre de la Gauche écosocialiste, un microparti proche de Clémentine Autain. Elle fait partie, comme François Ruffin et Jean-Luc Mélenchon, de ces incarnations qui comptent. Elle a la capacité de rassembler, elle parle à tous les électorats de gauche. Mais c’est trop tôt pour être définitif, il faut réfléchir à un processus démocratique et, surtout, à une unité sur une ligne de rupture face à l’extrême droite. »
L’ancienne journaliste Audrey Pulvar, l’une des trois têtes de liste de la gauche rassemblée au second tour des régionales en Île-de-France en 2021 avec Clémentine Autain et l’écologiste Julien Bayou, se réjouit de cette possibilité : « Pour 2027, je soutiens depuis un certain temps qu’il y a deux ou trois personnalités de gauche qui émergent : Raphaël Glucksmann, Clémentine Autain ou Camille Étienne. Entre ces trois options, le chemin qu’est en train de commencer à tracer Clémentine vers la prochaine présidentielle me semble le plus pertinent. » Plus de place au doute.
« L’union est un impératif »
Selon un proche de la députée, d’autres réunions de ce type se tiendront. Ce qui a le don de crisper la direction de LFI. « Je n’ai pas l’intention de dénigrer, comme elle peut le faire, une membre de ma famille politique. C’est une figure qui a des convictions et des engagements forts. Mais, en tant que coordinateur, je suis attaché à ce que toutes les démarches s’inscrivent dans un cadre collectif », élude Manuel Bompard, le coordinateur du mouvement, qui travaille lui aussi pour s’immiscer dans la prochaine guerre des prétendants de gauche pour 2027.
La députée de la Seine-Saint-Denis rejoint donc la cohorte de candidats putatifs. Clémentine Autain consulte des élus, demande des notes, échange avec des groupes de travail. Elle écrit actuellement un livre, le fruit d’une réflexion sur les services publics, selon un proche qui fait partie de l’équipe qui la conseille. Autour d’elle s’agrègent des personnalités de tous horizons : des élus politiques de gauche, des universitaires, des figures issues des réseaux antiracistes, écologistes ou féministes. « On n’est pas encore dans la campagne présidentielle, mais elle a déjà une équipe pluraliste avec elle », explique Pierre-François Grond, l’ancien bras droit d’Olivier Besancenot au Nouveau Parti anticapitaliste, qui travaille aujourd’hui avec Clémentine Autain. En clair, l’élue façonne ce que pourrait être sa future aventure politique.
La gauche est la seule à pouvoir gagner contre Le Pen. Mais à une seule condition : elle doit se rassembler.
C. Autain
Pour le moment, la députée de la Seine-Saint-Denis refuse de dire si elle souhaite être candidate en 2027. Néanmoins, elle parle déjà de la potentielle majorité future de la gauche. Elle cite le sondage commandé à l’institut Cluster 17 par Picardie debout, le microparti de François Ruffin, révélé par Libération, qui montre que le député de la Somme pourrait recueillir 29 % des voix au premier tour et ferait jeu égal au second tour avec Marine Le Pen, à 49,9 % : « Ce sondage montre que la gauche peut gagner. Je pense même que la gauche est la seule à pouvoir gagner contre Le Pen. Mais à une seule condition : elle doit se rassembler sur une ligne de transformation profonde de la société. »
Clémentine Autain n’est pas une unioniste de la dernière heure. En 2019, elle lance son « big bang de la gauche » avec son amie et députée communiste Elsa Faucillon. L’initiative a pour objectif de rassembler des partis de gauche et des forces associatives. La Nupes avant l’heure. « Le fil à plomb de toute son expérience politique, c’est l’unité. Elle a très vite compris que, dans le moment politique dans lequel nous nous trouvons, où l’extrême droite menace de prendre le pouvoir, l’union est un impératif. Pour 2027, il faut ce type de profil », soutient Elsa Faucillon. « J’ai sans doute plein de défauts, mais pas le sectarisme. ‘Les murs renversés deviennent des ponts’, comme le dit Angela Davis. Dans la période, on a intérêt à chercher ce qui nous relie plutôt qu’à insister sur ce qui nous divise », affirme Clémentine Autain.
Une volonté d’émancipation
À gauche, on estime qu’elle est capable de parler à toutes les familles politiques. « Elle a cette volonté de croiser les cultures politiques, elle ne s’enferme pas dans sa propre boutique, mais veut faire dialoguer tout le monde », expose Patrice Leclerc. « Elle a une capacité de dialogue qui va d’Olivier Besancenot à Olivier Faure. Sans aucun problème. Elle sait qu’il faut créer les conditions d’un rassemblement pour produire une dynamique majoritaire et essayer de gagner la prochaine élection centrale », défend Pierre-François Grond.
Clémentine Autain fait partie de ces gens qui sont capables d’élargir la gauche.
J. Guedj
« Clémentine Autain fait partie de ces gens qui sont capables d’élargir la gauche. Elle cherche à éviter le recroquevillement identitaire et semble plutôt avoir compris l’exigence de la construction d’un collectif et la nécessité d’un processus démocratique », observe le député socialiste Jérôme Guedj, qui a travaillé avec elle au début des années 2000 au sein du Groupe d’étude sur les discriminations, qu’il dirigeait. « C’est un beau profil, mais il faut qu’elle engage tout le monde dans un processus pour que sa candidature soit unitaire. Il faut construire l’union d’abord, et sélectionner l’incarnation ensuite », alerte toutefois la sénatrice écologiste Raymonde Poncet-Monge.
En désaccord profond avec la direction de La France insoumise sur la stratégie de la conflictualité théorisée par Jean-Luc Mélenchon, peut-être sait-elle qu’elle a intérêt à s’affranchir de son propre mouvement si elle veut s’imaginer un avenir. « Elle tente de s’émanciper car elle est très ostracisée au sein du groupe, constate un collaborateur insoumis. Ces sorties dans la presse sur l’absence de démocratie interne à La France insoumise ou l’initiative du ‘big bang de la gauche’ n’ont jamais été digérées par Jean-Luc Mélenchon. La rupture est consommée. »
Prétendre à l’Élysée, l’idée ne lui est pas complètement étrangère. Elle y a très sérieusement pensé il y a plusieurs années. En 2007, elle s’imagine candidate de la gauche antilibérale à la présidentielle. Elle rêve de faire s’agréger tous les collectifs qui se sont opposés au référendum sur la Constitution européenne deux ans plus tôt. « C’est un moment qui m’a façonnée. J’étais très jeune et pendant des mois je me suis projetée comme future candidate. Ça laisse forcément des traces », analyse-t-elle.
Point d’équilibre
Brosser l’histoire politique de Clémentine Autain, c’est raconter la recherche d’un point d’équilibre entre radicalité et exercice du pouvoir. « Rosa Luxemburg a écrit Réforme sociale ou révolution ?. Je crois aujourd’hui à la réforme ET à la révolution », répond-elle. Au début des années 2000, alors qu’elle a fondé quelques années plus tôt l’association féministe Mix-Cité et a été assistante parlementaire du sénateur socialiste Georges Mazars, Jean-Luc Mélenchon, lui aussi sénateur socialiste, dit alors à son propos : « Je lui ai découvert une dimension gouvernementale et c’est là que le ‘ciment’ a pris entre nous. Car je ne supporte pas ceux qui se contentent d’être des imprécateurs (1). » Il ne voit pas en elle quelqu’un de voué à rester à la marge.
Clémentine Autain. Portrait, Anne Delabre, Danger public, 2006.
Aux élections municipales en 2001, elle est propulsée tête de liste du 17e arrondissement à Paris, apparentée communiste, pour affronter Françoise de Panafieu, figure du RPR. Elle ne la bat pas dans les urnes mais elle est élue conseillère de Paris et accepte de rejoindre l’exécutif parisien dirigé par le socialiste Bertrand Delanoë, qui la nomme adjointe à la jeunesse. Après cette expérience, elle se rapproche de la Fondation Copernic, un cercle de réflexion de la gauche radicale, concourt à la création de la Fédération pour une alternative sociale et écologique (Fase) et participe au Front de gauche.
En 2012, elle devient porte-parole de Jean-Luc Mélenchon pendant la campagne présidentielle, avant de prendre trois ans plus tard la tête de liste du Front de gauche en Seine-Saint-Denis pour les élections régionales d’Île-de-France. « Si je dois retenir une chose de ce que Jean-Luc m’a appris, c’est que ‘l’autre gauche’ peut gagner. Il a toujours été convaincu que cette gauche de gauche, dans laquelle j’ai toujours été, pouvait sortir de la marginalité, de l’appoint perpétuel pour être majoritaire », raconte-t-elle.
Elle a cette forme d’assurance, elle construit son propre chemin.
R. Garrido
Après sept ans à l’Assemblée nationale, elle est aujourd’hui l’une des députées de gauche les plus reconnues. « Elle a toujours eu une position singulière dans les organisations de gauche, jamais au cœur des formations, toujours un peu à part. Elle a cette forme d’assurance, elle construit son propre chemin. Et maintenant, elle se retrouve à être la femme de gauche la mieux placée pour être candidate en 2027 », avance l’insoumise Raquel Garrido.
« Clémentine Autain et ses amis cherchent à concilier l’ambition d’une transformation radicale avec la vocation majoritaire que doit rechercher tout projet politique sérieux. Alors que Jean-Luc Mélenchon cherche avant tout à consolider un socle en multipliant les clivages », note Laurent Baumel, l’ancien député socialiste frondeur devenu conseiller d’Olivier Faure, premier secrétaire du Parti socialiste.
Maintenant que les électeurs de gauche comme les appareils s’accordent sur la nécessité d’une ligne de rupture, ses soutiens veulent croire qu’elle pourrait incarner le point d’équilibre idéal. « Clémentine Autain n’est peut-être pas située très loin d’un centre de gravité entre un projet de transformation profonde de la société et le besoin d’un rassemblement majoritaire. Elle peut être un point d’équilibre entre les questions de féminisme, d’écologie et de critique du capitalisme », considère Pierre-François Grond.
Elle peut être un point d’équilibre entre les questions de féminisme, d’écologie et de critique du capitalisme.
P-F. Grond
Mais au sein des rangs insoumis, on estime qu’elle reste cantonnée aux « luttes périphériques ». Trop sociétale, moins sociale et économique. « Clémentine Autain est perçue comme une figure politique très identifiée sur les thématiques féministes et la défense des services publics. Elle parle moins à la France périphérique et aux territoires abandonnés par la République, contrairement à François Ruffin par exemple », examine un collaborateur insoumis.
Mais #MeToo n’est-elle pas la plus importante révolution de ces dernières années ? « Le féminisme est une matrice idéologique qui dépasse la question des femmes, chez moi. C’est un point de référence quand je traite des questions qui n’ont pas forcément à voir avec l’égalité entre les hommes et les femmes, c’est une manière d’entrer dans les sujets qui irriguent mon engagement politique », affirme Clémentine Autain. Le salut de la gauche passera peut-être par une incarnation féministe.
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