Drapeau palestinien à l’Assemblée : les sanctions à géométrie variable de Yaël Braun-Pivet
Après avoir brandi un drapeau palestinien dans l’Hémicycle, le député LFI Sébastien Delogu a été suspendu pour 15 jours, la peine maximale pour un député. La présidente de l’Assemblée est coutumière de ce type de traitement partial, dénoncé par l’ensemble de la gauche.
À l’Assemblée nationale, Yaël Braun-Pivet ressemble à une enseignante sévère qui régit sa classe d’une main de fer. Avec 106 sanctions prononcées depuis le mois de juin 2022 (contre 39 dans toute l’histoire de la Ve République), elle est la championne incontestée en la matière. Depuis qu’elle est en poste au perchoir, l’inflation des sanctions menée pour stopper « une dérive des comportements » est exponentielle. Une autorité implacable, mais pas toujours équitable : dans 80 % des cas, les sanctions concernent des députés insoumis. Et la dernière punition distribuée par la présidente de l’Assemblée, hier après-midi, ne fera pas baisser cette statistique.
Avoir une mesure aussi forte parce qu’un drapeau a été brandi (…) on peut le voir comme une marque de soutien à la politique de Netanyahou.
Sébastien Delogu, député des Bouches-du-Rhône, a écopé de la peine maximale de 15 jours d’exclusion assortie d’une réduction la moitié de son indemnité durant deux mois, après avoir brandi un drapeau palestinien dans l’hémicycle. Sur la base des alinéas deux et cinq de l’article 70 du règlement du Palais Bourbon, il lui est reproché de s’être « livré à des manifestations troublant l’ordre ou qui provoque une scène tumultueuse » puis « rendu coupable de provocations envers l’Assemblée nationale ».
Véritable élément perturbateur, le député insoumis ? Ou bouc émissaire en raison de la cause sensible et passionnée qu’il a défendu ? Dans d’autres cas comparables, plusieurs parlementaires tout aussi – voire plus – indisciplinés, ont échappé miraculeusement à la correction.
Un « deux poids deux mesures » permanent
Jusqu’à hier après-midi, aucun député n’avait été exclu de l’Assemblée pour avoir manifesté son soutien à une cause. En 2019, le député Sébastien Nadot (ex-LREM), avait déployé une banderole sur laquelle était inscrite « La France tue au Yémen ». Comme hier, la séance avait été suspendue. Mais le député n’avait écopé que d’un rappel à l’ordre avec inscription au procès-verbal ainsi qu’une amende financière, sur la base du même article 70 relatif aux sanctions disciplinaires.
Pour Éric Coquerel, cet exemple témoigne d’un deux poids deux mesures : « Ce type de décision est disproportionné. Que la présidente applique le règlement, on l’accepte. Mais avoir une mesure aussi forte parce qu’un drapeau a été brandi pour dénoncer un massacre que personne ne nie, on peut le voir comme une marque de soutien à la politique de Benyamin Netanyahou », s’insurge le député insoumis.
Yaël Braun-Pivet ferait-elle preuve de démesure et de partialité sur la question du conflit ? Certains précédents interrogent. En avril 2023, des dizaines de députés avaient été la cible d’un rappel à l’ordre lorsqu’ils avaient mis en avant des pancartes contre la réforme des retraites, mais aucun d’entre eux n’avait été exclu. Aucune sanction n’avait été prononcée lorsque des députés ont arboré un pin’s accolant le drapeau israélien au drapeau tricolore pendant plusieurs semaines après le 7 octobre. Yaël Braun-Pivet, elle-même, l’avait porté au perchoir.
En décembre, la présidente de l’Assemblée avait refusé la requête de 39 députés de gauche visant à lever l’immunité parlementaire de Meyer Habib, député apparenté LR et notoirement proche de Benjamin Netanyahou. Accusé d’avoir fait l’apologie des crimes de guerre israéliens, le député avait lancé la phrase « Et ce n’est pas fini ! » en référence à un agent du ministère des Affaires étrangères tué lors d’un bombardement à Gaza.
Un simple rappel à l’ordre pour avoir fait un salut nazi dans l’Hémicycle.
Intransigeante avec la gauche, Yaël Braun-Pivet se montre plus docile avec l’extrême droite. Le député du Rassemblement national Grégoire de Fournas avait aussi été exclu 15 jours de l’Assemblée en novembre 2022, à la suite de ses propos racistes : « Qu’ils retournent en Afrique. » Mais aucun bureau exceptionnel n’avait pourtant été réuni, contrairement à hier après-midi, preuve de l’indignation à géométrie variable de la présidente de l’Assemblée. Le député LREM de Saône-et-Loire Rémy Rebeyrotte avait, lui, écopé d’un simple rappel à l’ordre pour avoir fait un salut nazi dans l’Hémicycle en juillet 2022. À en juger par ces sanctions, des propos racistes et des bras tendus seraient donc des provocations moins graves qu’un drapeau Palestinien brandi.
« Une volonté d’humilier les défenseurs de la cause palestinienne »
Même en dehors de l’hémicycle, le pouvoir de sanction de la présidente de l’Assemblée semble s’exercer de manière partiale. Le député insoumis Thomas Portes avait été exclu 15 jours en février 2023 pour un tweet polémique où il posait le pied sur un ballon à l’effigie du ministre du Travail Olivier Dussopt. Quelques mois plus tard, en octobre 2023, le député du Rassemblement national Laurent Jacobelli avait traité son homologue Renaissance Belkhir Belhaddad de « racaille » en marge d’une visite ministérielle à Hayange (Moselle). Mis en examen en avril pour « injures et diffamation envers un membre du Parlement », il n’avait pas reçu de sanctions de la part de la présidente de l’Assemblée nationale. Meyer Habib, encore lui, avait également échappé aux sanctions après qu’il ait qualifié la population palestinienne de « cancer » dans une interview à Radio J, le 20 octobre dernier.
« Le recours à la sanction de Yaël Braun-Pivet est à géométrie très variable », glisse Benjamin Lucas, député du groupe écologiste à l’Assemblée. « Il traduit une volonté de museler l’opposition de gauche, et d’humilier les défenseurs de la cause palestinienne », poursuit-il. Le député des Yvelines avait lui-même été la cible d’un rappel à l’ordre au mois de décembre 2023, sans recevoir d’explications. Au cours de la même séance, Éric Ciotti, l’avait qualifié de « complice des antisémites », sans recevoir de sanctions.
Ce qui devrait tous nous émouvoir, c’est ce qu’il se passe à Rafah.
O. Faure
« Yaël Braun-Pivet est une tache de honte sur l’histoire de l’Assemblée nationale. Elle ne peut pas présider de cette manière », critique Benjamin Lucas, pointant le rapport partial de la présidente du perchoir aux sanctions. Pour lui, le soutien « total » affiché par la présidente de l’Assemblée à Benjamin Netanyahou et Israël révèle des biais politiques sur la sanction prononcée : « Monsieur Delogu n’a insulté personne dans l’hémicycle, qui est, je le rappelle, un lieu d’expression et de débats. Cette sanction traduit une certaine xénophobie d’atmosphère à l’égard du peuple palestinien. Soit elle pense ça, soit c’est une volonté de faire les oppositions », analyse-t-il.
Dans une campagne pour les élections européennes marquée par les désaccords à gauche, la Nupes fait bloc derrière Sébastien Delogu cette fois-ci. « Ce qui devrait tous nous émouvoir, c’est ce qu’il se passe à Rafah. On a là quelque chose qui retourne l’ensemble de l’opinion publique mondiale, et nous, ici, on suspend une séance de QAG, on réunit le bureau, tout ça pour un drapeau », s’est désolé Olivier Faure aux quatre colonnes. Hier après-midi chez nos voisins transalpins, plusieurs parlementaires ont brandi des drapeaux palestiniens au sein de la Chambre des députés italienne, sans que des sanctions ne soient prononcées. « Dans un pays gouverné par l’extrême droite, on est plus libre de défendre la Palestine qu’en France », s’est offusqué hier soir David Guiraud sur le plateau de BFMTV.