Européennes : le communiste Deffontaines tente de se créer son petit espace contre « les eurogagas »
Offensive contre l’extrême droite, la tête de liste du PCF essaie tant bien que mal de faire entendre sa ligne axée sur la souveraineté, héritière du camp du « non » au traité constitutionnel européen, face aux défenseurs de l’Europe libérale.
Relancer une campagne électorale qui patine n’est pas chose aisée. Mais les communistes ne se résignent pas face à ce qui commence à ressembler à une mission impossible. Pour lancer cette opération sauvetage, le rendez-vous est donné ce 15 mai au soir, dans le gymnase Japy, dans le 11e arrondissement de Paris. Le lieu est symbolique : le 17 mars 2005, Marie-Georges Buffet a tenu le premier grand meeting rassemblant les tenants du « non » au traité constitutionnel européen.
« Ce meeting arrive à un moment clef de la campagne, c’est bientôt le sprint final, il va permettre de galvaniser les troupes. Beaucoup de gens de gauche ne savent pas encore pour qui voter », affirmait plus tôt dans la journée Assan Lakehoul, secrétaire général des Jeunes communistes. Les militants sont donc attendus en nombre dans cette salle qui peut accueillir environ 1 500 personnes, selon la communication du parti, et le gymnase se trouvera être presque rempli.
Mais quelques minutes avant le lancement du meeting, l’attraction se trouve au deuxième rang, assise juste à côté de Marie-Noëlle Lienemann, ex-sénatrice de Paris, et s’appelle Pierre Joxe, ministre socialiste de l’Intérieur sous François Mitterrand aujourd’hui âgé de 89 ans. Une sorte d’invité surprise. Un nom qui a de quoi raviver une campagne poussive ? Les communistes veulent y croire car pour le moment, les différentes enquêtes sondagières placent Léon Deffontaines, la tête de liste du Parti communiste et de la « Gauche unie », loin derrière de très nombreuses listes et ne dépassant pas les 3 %.
« On part de moins loin »
Conséquence : il n’y aurait aucun élu communiste français pour les cinq années à venir à Bruxelles. En 2019, la liste du PCF, conduite alors par Ian Brossat, aujourd’hui sénateur de Paris, avait obtenu 2,49 % des suffrages exprimés. « Quand on compare avec les sondages d’il y a 5 ans, on a de l’avance, on part de moins loin. Avec Fabien Roussel, on est de nouveau identifiés dans le pays », croit Assan Lakehoul, qui estime que « la part des 18-24 ans prêts à voter pour Léon Deffontaines est sous-représentée dans les sondages ».
Avec Fabien Roussel, on est de nouveau identifiés dans le pays.
A. Lakehoul
Ce moment militant a été l’occasion de faire une belle photo de famille. Une dizaine de parlementaires, comme Pierre Ouzoulias, vice-président du Sénat, André Chassaigne, le patron du groupe communiste à l’Assemblée nationale, mais aussi Sébastien Jumel, député de Seine-Maritime, pourtant très proche du frondeur insoumis François Ruffin, sont venus assister à l’événement. À la tribune, Julia Castanier, conseillère nationale et directrice de la communication du parti, et Ian Brossat, directeur de la campagne, reconvertis le temps d’une soirée en maîtres de cérémonie, tentent de ranimer une salle ambiancée mais loin d’être survoltée.
Sur scène, les élus se succèdent. Sigrid Gérardin, enseignante, cosecrétaire générale de la Snuep-FSU et numéro deux de la liste de la Gauche unie, affiche l’ambition de cette liste : « Notre rôle sera de combattre pied à pied toutes les règles budgétaires qui asphyxient notre service public. » Philippe Rio, l’édile de Grigny (Essonne) élu meilleur maire du monde en 2021, est un peu plus dramatique : « Quel moment historique nous vivons : il faut faire gagner la paix sur la guerre, faire gagner l’écologie populaire, faire gagner nos vies sur les profits, gagner face aux fascistes. »
Hélène Bidard, adjointe communiste à la mairie de Paris en charge de l’égalité femmes hommes, salue la constitutionnalisation de l’IVG mais alerte sur la politique féministe menée par le gouvernement : « On ne peut pas dire qu’on mène une politique féministe quand on met en place l’austérité. »
Surtout, les communistes défendent fermement leur liste qu’ils voient comme le meilleur exemple du rassemblement des gauches. Selon Ian Brossat, « nous sommes les seuls à gauche à présenter une liste de rassemblement ». Samia Jaber (6e), porte-parole de l’Engagement, le petit parti d’Arnaud Montebourg, Stéphane Saint-André, président des Radicaux de gauche, Emmanuel Maurel, eurodéputé sortant et fondateur de la petite formation de la Gauche républicaine et socialiste (3e), et Thierry Cotelle, le nouveau président du Mouvement républicain et citoyen, se succèdent au micro.
Le pêle-mêle de Roussel
20 h 24. Entrée de Fabien Roussel, député du Nord et secrétaire national du Parti communiste depuis 2018, largement salué dans la salle. En chemise blanche, il entre dans le dur. Son sujet ? La sécurité, en évoquant l’attaque d’un fourgon pénitentiaire dans l’Eure et la situation en Nouvelle-Calédonie. Une occasion de donner un coup de griffe à la politique d’Emmanuel Macron : « Avec lui, la France revient à l’État colonial. » Il enchaîne sur l’extrême droite, prenant de plus en plus de place dans le climat politique et social du pays : « Il n’y a jamais eu autant de croix gammées dans les monuments aux morts. Il y a des nazis qui défilent dans Paris sans aucune ligne dans la presse (…). Cette violence est inacceptable, c’est pourquoi notre rassemblement est important. »
Roussel revient ensuite sur le terrain économique. « Nous avons un gouvernement complètement au service d’un capitalisme décomplexé », lance-t-il avant d’écorcher Total, et Carlos Tavares, le P.-D.G. de Stellantis repeint en symbole de « l’ensauvagement de la société » : « Ils nous volent. C’est du détournement d’argent public XXL. » Pêle-mêle, il défend l’indexation des salaires sur l’inflation, la sortie de l’Otan, la reconnaissance de l’État de la Palestine, et la fin des accords d’association avec le gouvernement d’Israël tant que les résolutions de l’ONU ne sont pas respectés. Enfin, il tente de faire renaître, derrière le scrutin du 9 juin, la mémoire du 4 août 1789, jour où « le Tiers État a voté la fin des privilèges des nobles et des seigneurs ».
Peu offensif envers les autres forces de gauche, Fabien Roussel essaie de se distinguer face aux « fédéralistes » que sont, à ses yeux, Raphaël Glucksmann, Emmanuel Macron et François-Xavier Bellamy. Avant d’alerter sur les sondages créditant Jordan Bardella, la tête de liste du Rassemblement national, à plus de 30 % des intentions de vote : « L’extrême droite n’a jamais été aussi au pouvoir en 80 ans. Nous appelons à ne pas nous résigner. Nous appelons à faire grandir une gauche capable de gagner. No pasaran ! »
« Léon à Bruxelles ! »
Quelques minutes avant 21 heures. La tête de liste tant attendue entre dans la salle. « Léon à Bruxelles ! », crie-t-on pour réveiller l’assistance. Léon Deffontaines monte sur scène. Pendant une quarantaine de minutes, il met surtout l’accent sur le social. La tête de liste Gauche unie tente de s’adresser à « ceux qui ont été oubliés, à ceux qui se lèvent tôt et qui se couchent tard. Vous êtes la dignité de ce pays ! ». Il se pose en défenseur des services publics, des salaires, des pensions de retraites, tente de représenter une ligne « républicaine, sociale, laïque et universelle », et se réfère sans cesse au camp du « non » qui s’est opposé au référendum sur le traité constitutionnel européen il y a vingt ans.
« En 2005, nous avions gagné, nous avions dit que cette Europe, nous n’en voulions pas ». Mais surtout, ce proche de Fabien Roussel se démène pour faire entendre sa petite musique sur la souveraineté contre « les eurogagas », ceux qui défendent « cette Europe libérale qui a du sang sur les mains, contre les patrons voyous, contre cette Europe qui impose des normes sans respecter la souveraineté des peuples ».
Sans le dire vraiment, Deffontaines nationalise le scrutin européen, en attaquant Bruno Le Maire et l’annonce en février de son plan d’économie de 10 milliards d’euros, et en saluant la mobilisation du corps enseignant qui a secoué la Seine-Saint-Denis pendant des semaines. Au milieu de sa prise de parole, il tente de s’opposer à Marine Le Pen, « la grande bourgeoise du château de Saint-Cloud » et à Jordan Bardella : « Est-ce que Jordan Bardella défend votre intérêt et votre portefeuille ? Regardez dans le détail le programme du RN. Le retour de l’ISF ? Il est contre. L’indexation des salaires ? Il est contre. Les prix plancher pour les agriculteurs ? Il est contre. La régulation des médicaments ? Il est contre. » Dans la salle, on crie « Menteur Bardella ! ».
Opportuniste, il invite la tête de liste du RN à un débat « où il veut quand il veut. Je n’ai pas peur de lui. On verra qui défend le mieux les travailleurs de ce pays. » Dans ces piques adressées à ses concurrents, il n’oublie certainement pas la gauche : « Contre les outrances de Jean-Luc Mélenchon et le libéralisme de Raphaël Glucksmann, je suis fier d’être à la tête d’une liste de rassemblement pour la gauche pour le monde du travail. »
Si chaque militant convainc 10 électeurs, ce sont 600 000 voix de plus.
L. Deffontaines
Au sein des rangs communistes, on théorise désormais un nouveau message politique : choisir le PCF serait un « vote efficace », ce bulletin qui permettrait de faire élire, si la liste atteint la marche fatidique des 5 %, cinq eurodéputés de gauche à Bruxelles. D’une certaine manière, les communistes cherchent à concurrencer, dans l’imagerie électorale, le Parti socialiste et Place publique qui posent Raphaël Glucksmann en « vote utile » contre l’extrême droite et la liste du gouvernement. De ce fait, Léon Deffontaines appelle à la remobilisation générale. « Nous sommes en dynamique, dit-il. Si chaque militant convainc 10 électeurs, ce sont 600 000 voix de plus. » Mais pour cela, il faudra peut-être un miracle.