« Nous demandons juste l’égalité des chances »
Justine Ruggieri, mère de trois élèves d’une école de Seine-Saint Denis, revient sur le combat quotidien des professeurs, des personnels éducatifs et des parents en faveur d’un plan d’urgence pour les établissements scolaires du département.
dans l’hebdo N° 1808 Acheter ce numéro
En Seine-Saint-Denis, Justine Ruggieri, mère de trois élèves dans une école à L’Île-Saint-Denis, revient sur le combat quotidien des professeurs, des personnels éducatifs et des parents qui demandent un plan d’urgence pour les établissements scolaires.
J’aime la France. J’ai toujours farouchement défendu mon pays, sa culture, ses institutions, son projet politique. Mais depuis peu, quand on m’en parle, je regarde le bout de mes chaussures, embarrassée. Parce que j’ai honte de la manière dont ce gouvernement traite ses concitoyens en Seine-Saint-Denis, et surtout ses enfants !
Voilà un aperçu des conditions de travail et de vie des enfants et des personnels, sans misérabilisme mais avec honnêteté, sans fard mais avec espoir. J’ai trois filles scolarisées en maternelle et en primaire à l’école publique. L’équipe éducative est extraordinaire, les enseignants sont engagés, empathiques et passionnés. Ils se donnent les moyens pour faire progresser tous les élèves mais aussi pour leur faire découvrir la culture et la nature, difficilement accessibles ici, par des sorties et des séjours. Bien évidemment non rémunérés en heures sup, hein !
Quand tout se passe bien, en classe, il fait 14 °C en hiver et 35 °C en été. S’il pleut, dans certaines classes, l’eau ruisselle (c’est bien la seule chose qui ruisselle sous M. Macron). Les enfants cohabitent avec des souris qui grignotent les livres et la pâte à modeler. Je me rappelle les réactions indignées des Parisiens lors de la grève des éboueurs en 2023, craignant que les surmulots leur apportent la peste ! Que diraient-ils s’ils savaient que c’est le quotidien de nos enfants ? Et quand tout ne se passe pas bien… le plafond des toilettes s’effondre, les enfants mutualisent leurs heures d’AESH (accompagnants des élèves en situation de handicap), et des élèves restent à la maison faute de remplaçants. Malgré ces conditions, les professeurs et les AESH persistent, jusqu’au burn-out.
Nous avons simplement réclamé des remplaçants, et la seule réponse obtenue : la police !
Face à ce constat, je me suis engagée pour mon école en étant élue parent d’élève et en adhérant à la Fédération des conseils de parents d’élèves (FCPE). Chaque jour, je tente de rapprocher l’institution des parents, qui parfois se méfient parce qu’ils ne se sentent pas légitimes ou qu’ils ont été maltraités dans leur scolarité. Nous créons des temps d’échange et de partage pour œuvrer tous ensemble à la réussite des enfants grâce à des projets artistiques, des kermesses, etc.
Nous avons des combats quotidiens. Le principal est celui du non-remplacement des professeurs. Contrairement à l’idée reçue, ils sont plutôt moins absents que les autres fonctionnaires, et même que les salariés du privé. Dans le 93, les enfants perdent en moyenne un an sur l’ensemble de leur scolarité. En allant sous les fenêtres de l’inspection, avec une dizaine de parents, des élèves et quelques professeurs, nous avons simplement réclamé des remplaçants, et la seule réponse obtenue : la police !
Le gouvernement ment quand il soutient que notre département est mieux doté que d’autres territoires. Depuis douze ans, le 93 a connu une très forte hausse démographique, sans commune mesure. Les moyens humains et financiers n’ont pas été réévalués en conséquence. Pourtant, le 93 est le cinquième contributeur au budget de l’État.
Nous réclamons un plan d’urgence, équivalent à deux piscines olympiques de Saint-Denis !
Nous ne demandons pas un traitement de faveur mais l’égalité des chances ! La mobilisation est partagée par les personnels et les parents, de la maternelle au lycée, dans des villes de gauche et de droite. À travers des réunions d’information, des manifestations, des grèves, dans la joie et la détermination, avec parfois des moments de découragement face à l’inertie de certains parents, mais avec la conscience d’un combat juste. Nous réclamons un plan d’urgence, équivalent à deux piscines olympiques de Saint-Denis ! À moins de cent jours des Jeux olympiques et paralympiques, le gouvernement prend un risque étonnant en ignorant la gronde et révélant son mépris pour nous.
Le « choc des savoirs » vient un peu plus enfoncer le clou, puisqu’il modifie fondamentalement la vocation émancipatrice de l’école et le sens du métier d’enseignant. Il nous prépare à une école poussant des savoirs mécaniques travaillés seulement dans une optique de réussir les évaluations annuelles. Au détriment du sens, de la culture, de l’esprit critique et de la créativité. Avec les groupes de niveaux, le gouvernement va trier et condamner un bon nombre d’élèves, se privant ainsi de leur regard singulier sur le monde.
Le passage de la ministre Amélie Oudéa-Castéra nous avait déjà bien chauffés à blanc, mais les projets du premier ministre, Gabriel Attal, ont mis le feu aux poudres. Vite un #plandurgence93 !
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