« La Belle de Gaza », de Yolande Zauberman (Séance spéciale) ; « Vingt Dieux », de Louise Courvoisier (Un Certain regard)
Avec des trans à Tel Aviv et un jeune désargenté dans le Jura.
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La Belle de Gaza
La Belle de Gaza / Yolande Zauberman / 1 h 16.
Avec La Belle de Gaza, Yolande Zauberman signe le troisième volet d’un triptyque de la nuit tourné en Israël. En 2012, elle réalisait Would You Have Sexe with an Arab ?. Puis ce fut M en 2019. M pour Menahem, un jeune homme qui revenait sur les lieux où il avait été violé enfant à plusieurs reprises, un quartier juif orthodoxe de Tel Aviv. Menahem faisait, notamment, une rencontre avec une trans. À qui il disait : « Toi tu as pris une forme, une beauté, une intelligence. » C’est cette même jeune femme trans, Telleen, qui ouvre La Belle de Gaza, superbe, attitude de star. Le titre du neuvième long métrage de Yolande Zauberman, présenté en séance spéciale, vient également du précédent : c’est sur le tournage de M que la cinéaste a entendu parler d’une trans qui serait venue à pied de Gaza jusqu’à Tel-Aviv, d’où son surnom. La retrouver a constitué l’élan premier de ce film.
Voici donc la cinéaste dans une des rues les plus chaudes de Tel-Aviv, filmant, la nuit tombée, des femmes trans sur leur lieu de travail, Telleen exceptée, qui peut subvenir à ses besoins sans avoir recours à la prostitution – sans doute parce qu’elle est la seule Arabe israélienne. La caméra de Yolande Zauberman est tout près d’elles, les caresse, capte toute leur beauté plein cadre, et leur confère ainsi une place autre que celle qui leur est réservée, à la marge, sinon invisibilisée. Leurs visages et leurs regards expriment leur forte personnalité – indispensable pour tenir. Car la rue peut s’avérer être un guet-apens.
Mais si elles sont maltraitées, elles ont à Tel-Aviv un espace pour vivre leur transidentité. Ce qui ne serait pas possible chez elles, dans les territoires palestiniens – toutes le disent. Leur famille, leur entourage, ne supporterait pas ce qu’elles sont, briserait leur élan profond, si besoin par la force.
D’où la légende de « la Belle de Gaza » et de son périple. Une légende, en effet, car la cinéaste découvre qu’en tant que telle, celle-ci n’existe pas. Qu’à cela ne tienne. « La Belle de Gaza » devient une métaphore, l’emblème d’une voie de réalisation de soi. Car c’est bien cela qui insuffle à ces jeunes femmes la force dont elles font preuve : elles affirment ici ce qu’elles sont, toutes ayant en outre vécu une transition réussie. L’une d’elles, Nathalie, s’épanouit même en devenant pieuse et en portant le hidjab.
Menahem avait décidément raison. Ces femmes ont « pris une forme, une beauté, une intelligence ». Il revenait à Yolande Zauberman de les mettre en valeur, elle qui a dit un jour dans une interview : « En sortant d’une boîte queer de Tel-Aviv, je me suis dit qu’Israël était mon pays arabe préféré… »
Vingt Dieux
Vingt Dieux / Louise Courvoisier / 1 h 30.
Le jeune héros de Vingt Dieux, présenté à Un Certain regard, n’a pas de prénom mais un drôle de diminutif. Totone (Clément Faveau, un faux air de Benoît Magimel) est un joyeux drille un peu casse-cou. Dans les fêtes de son village jurassien, il saute sur les tables et se déshabille ; il court les filles dans les bals populaires. Et ne recule pas devant la castagne. On n’est pas sérieux quand on a son âge, 18 ans. Pas pour longtemps. Ce n’est pas dévoiler un grand secret de l’intrigue que de révéler la mort soudaine de son père dans un accident de voiture. La vie va changer du tout au tout pour Totone. Il faut qu’il se prenne en main, s’occupe de sa petite sœur (Luna Garret) et subvienne à leurs besoins. Il commence par vendre le matériel de son père, qui produisait du comté dans sa fruitière. Mais il est vite à cours de ressources.
Louise Courvoisier qui a remporté le premier prix de la Cinéfondation à Cannes en 2019 (1), a choisi de tourner son premier long métrage dans un lieu qu’elle connaît bien : le village du Jura où elle a vécu son enfance. Elle y a trouvé ses excellents comédiens, tous non-professionnels, et y a imaginé une histoire avec des aspects typiques mais pas caricaturaux.
La Cinéfondation sélectionne chaque année une vingtaine de courts métrages présentés par des écoles de cinéma du monde entier.
Au moins pour sa sœur, Totone doit éviter la misère qui se profile. Mais où trouver du travail dans le Jura quand on ne sait rien faire ?… Dans une fruitière où on fabrique du comté ! Il y est employé comme aide ménager, malgré l’accueil agressif que lui réservent les fils du patron à cause d’une rixe passée. Là, il est attiré par leur sœur, Marie-Lise (Maïwène Barthelemy), qui l’est aussi en retour. Et découvre qu’en décrochant un prix dans un concours de comté, on peut gagner une rondelette somme d’argent. D’où l’idée de s’y mettre, lui aussi, tout en étant ignorant. Fauché mais têtu.
Le film ne met pas en exergue un résultat, un produit fini. Mais un parcours, aussi heurté soit-il.
Vingt Dieux virerait alors à la belle histoire, au cinéma feelgood ? Pas exactement. Le film s’avère bien plus intéressant que cela. D’abord parce qu’il pose, mine de rien, une sérieuse question éthique : pour parvenir à ses fins, nécessité oblige, Totone peut-il jouer comme il va le faire avec les sentiments de Marie-Lise, et les siens par la même occasion ?
Ensuite, Vingt Dieux n’est pas une ode à la méritocratie ou le récit sulpicien d’une marche au triomphe. Bien au contraire, Totone, malgré sa ténacité, connaît les maints échecs du grand débutant. Dès lors, le film ne met pas en exergue un résultat, un produit fini, qui monopolise généralement l’attention. Mais un parcours, aussi heurté soit-il. C’est-à-dire ce que Totone, en se lançant dans le comté, construit intellectuellement, affectivement (notamment avec sa petite sœur, qui est la maturité même) ou solidairement. Ne serait-ce pas là l’essentiel ? On ne saurait trop remercier Louise Courvoisier de nous le rappeler.
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