Le boulanger syndicaliste, réintégré par le conseil des prud’hommes… puis re-mis à pied
Après avoir été licencié contre la décision de l’inspection du travail, Christian Porta, délégué syndical CGT de Neuhauser, une boulangerie industrielle, a obtenu, ce vendredi, sa réintégration. Dans la foulée, la direction de l’entreprise a annoncé entamer une nouvelle procédure de licenciement.
Bienvenu au XIXe siècle ! Le conflit social opposant le géant de l’agroalimentaire InVivo via son entreprise Neuhauser et le délégué syndical central CGT de l’entreprise Christian Porta a connu un nouveau rebondissement ce vendredi 24 mai. Et pas des moindres : la direction de l’entreprise a décidé de s’enfoncer dans l’acharnement, jusqu’à se placer dans l’illégalité, témoignant d’une radicalité patronale d’un autre temps.
En effet, ce vendredi matin, le conseil des prud’hommes de Forbach (Moselle), saisi en référé, a ordonné la réintégration immédiate de Christian Porta au sein de son entreprise, avec 20 000 euros d’astreinte par jour de retard pour l’entreprise. Dans la foulée, la direction, attendant le salarié devant l’usine, lui a notifié sa convocation à un nouvel entretien préalable et l’a, de nouveau, mis à pied.
Pourtant, cette ordonnance du conseil des prud’hommes est on ne peut plus logique. En effet, tout indiquait que la direction de l’entreprise avait manifestement et délibérément enfreint la loi. Le 23 avril dernier, elle avait ainsi licencié son salarié malgré le refus explicite de l’inspection du travail de ce licenciement. Sauf que la loi est claire : Christian Porta disposant de plusieurs mandats au sein de son entreprise, son licenciement doit, obligatoirement, être validé par l’inspection du travail. L’administration doit ainsi vérifier la régularité de la procédure du licenciement, que le motif de celle-ci soit valable, ou encore l’absence de lien entre la mesure de licenciement et le mandat du salarié.
Un syndicat combattif
Le licenciement de Christian Porta est constitutif d’un trouble manifestement illicite.
Conseil des prud’hommes
Le motif trouvé par l’entreprise pour justifier ce licenciement est celui d’un supposé « harcèlement moral », comme nous vous le racontions en février. Une « fumisterie » pour plusieurs salariés de Neuhauser qui y voient, clairement, le sceau d’une répression syndicale. En effet, autour de Christian Porta s’est construit un syndicat combatif et un collectif de travail soudé, qui a fait de la grève un outil puissant de rapport de force pour obtenir nombre de conquêtes sociales. La principale ? Le passage aux 32 heures payées 35.
La décision de l’inspection du travail, rendue le 15 avril, leur donne raison. Elle juge que les faits de harcèlement moral « ne sont pas matériellement établis » et que « la demande de licenciement de M. Porta est en lien avec l’exercice de ses mandats ». Et donc de conclure, logiquement, que « l’autorisation de procéder au licenciement pour motif disciplinaire […] est refusée ».
En passant outre cette décision, la direction de Neuhauser s’était donc mise, de fait, hors la loi. « Il n’y a pas de débat à avoir, on a la loi de notre côté », assurait, la veille de la décision, Christian Porta. Une confiance que l’ordonnance du conseil des prud’hommes, saisi en référé, est venue confirmer : « Le licenciement de Christian Porta est constitutif d’un trouble manifestement illicite. »
Chantage au lock-out
La direction s’enfonce dans l’illégalité, nous, on restera dans la légalité.
Christian Porta
Une conclusion que n’a donc pas supporté la direction qui apparaît chaque jour plus radicalisée. Après être passée outre la décision de l’inspection du travail, elle a menacé, cette semaine, de fermer l’usine en cas de retour de Christian Porta. « Des salariés ont déposé un droit de retrait », assure, dans un mail, le DRH du groupe, Sébastien Graff, qui justifie ainsi une potentielle fermeture de l’usine. Une forme de lock-out donc, une pratique illégale – une nouvelle fois – visant à mettre la pression sur les salariés non mobilisés dans ce conflit. « Un chantage ignoble vis à vis de tous les travailleurs et leurs familles, qu’on menace de laisser sur le carreau pour une durée indéterminée », a réagi la CGT Neuhaser dans un communiqué. Contacté, InVivo n’a pas répondu à nos questions.
Après cette menace, l’entreprise a donc notifié à son salarié une nouvelle procédure de licenciement. « Je n’ai pas eu le temps de commettre de faute, je n’ai même pas eu le temps de rentrer dans l’usine que j’étais déjà mis à pied », note Christian Porta dans une vidéo publiée sur X par l’organisation politique Révolution Permanente. Dedans, le syndicaliste assure qu’il contestera, de nouveau, cette décision. « La direction s’enfonce dans l’illégalité, nous, on restera dans la légalité », assure-t-il.
Ce conflit, devenu un feuilleton qui ne s’arrête plus, a désormais pris une tournure nationale. Plusieurs députés de gauche, comme François Ruffin ou Éric Coquerel, ont ainsi apporté leur soutien au syndicaliste. Tout comme plusieurs syndicalistes – dont Sophie Binet, numéro un de la CGT –, des inspecteurs du travail et des avocats dans une tribune publiée dans Le Club de Mediapart. « Ce licenciement contra legem, par un géant européen de l’agroalimentaire, porte à l’extrême le mépris des droits syndicaux et du service public de l’inspection du travail et rappelle que le syndicaliste, en période de régression des droits, est à ce point vital pour l’organisation collective de la revendication qu’il reste l’homme à abattre », écrivent les signataires.
Ce vendredi, de nombreux ouvriers de l’usine de Christian Porta sont en grève pour le soutenir. À l’heure où nous écrivons ces lignes, une AG se tient entre salariés de Neuhauser et de nombreux soutiens de Christian Porta pour décider des suites à donner à ce conflit social devenu l’allégorie de la répression syndicale.