« Le Deuxième Acte », de Quentin Dupieux (Ouverture – Hors compétition)
Le cinéaste prolifique signe une fantaisie autour de la dualité personnage/comédien.ne.
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Le Deuxième Acte / Quentin Dupieux / 1 h 20.
Quentin Dupieux, l’homme qui filme plus vite que son ombre. Sont sortis sur les écrans en 2022 : Incroyable mais vrai puis Fumer fait tousser. En 2023 : Yannick. En janvier 2024 : Daaaaaalí. Et voici pour ouvrir la 77e édition du Festival de Cannes, Le Deuxième Acte (en salle simultanément).
Si Dupieux favorise les dispositifs légers – en l’occurrence le décor est constitué d’un restaurant (qui a pour nom Le Deuxième Acte), et une route en ligne droite au long de laquelle le cinéaste accomplit moult travellings –, il affectionne les stars. Au générique du Deuxième acte : Léa Seydoux, Vincent Lindon, Louis Garrel et Raphaël Quenard. Auxquels s’ajoute un comédien de moindre notoriété, Manuel Guillot.
Quentin Dupieux a un univers fait de bizarreries comiques et inattendues. Il bâtit ses scénarios à partir d’une idée sortant de l’ordinaire, mais pas toujours autant qu’on le croit. Ainsi, les personnages de Deuxième acte sont des acteurs en train de tourner un film mais celui-ci est parasité par les relations qu’ils entretiennent. Ils passent donc, souvent sans transition, du texte de leurs rôles à leurs propos dans la vraie vie.
De la dualité entre comédiens et personnages, autrement dit entre réalité et fiction, le théâtre ou le cinéma ont déjà fait leur miel. Sans remonter à Pirandello, Bertrand Blier l’avait pris pour principe de son film Les Acteurs (2000), auquel Maïwenn avait « répondu » en en réalisant une variante féminine : Le Bal des actrices (2009). Dans ces deux cas, les comédiens portaient leur vrai nom (Michel Serrault interprétait Michel Serrault), ce qui n’est pas le cas chez Dupieux, les prénoms Florence (Léa Seydoux), Guillaume (Vincent Lindon), David (Louis Garrel), Willy (Raphaël Quenard) et Stéphane (Manuel Guillot) actant que la « vraie vie » du film reste de la fiction.
Film dans le film
De la même façon, l’intervention du public au cours d’un spectacle n’était pas une première au cinéma (voir, par exemple, Qu’est-ce que les nuages ?, de Pasolini) bien que Yannick, avec son spectateur terrorisant les comédiens et exigeant que le spectacle auquel il assiste prenne le tour qu’il désire, ait fait sensation. Les deux films, Yannick et ce nouvel opus, n’étant évidemment pas sans rapports.
Mais la plus évidente singularité du Deuxième acte réside dans l’identité du metteur en scène qui réalise le film dans le film, dont le titre ne nous sera d’ailleurs jamais connu : il s’agit d’une intelligence artificielle (IA). Tout a été décidé par un algorithme : le scénario, les dialogues, la mise en espace, la direction d’acteur. Autant dire que lorsque les personnages se plaignent de la mauvaise qualité de ce qu’ils sont en train de tourner, on les croit sans difficulté. Par ailleurs, l’absence d’un interlocuteur humain comme maître d’œuvre, remplacé par une IA, donne matière à Quentin Dupieux à de très bons gags.
Cette idée – loin d’être farfelue, un « AI Film Festival » se tient depuis deux ans à New York, et c’est notamment pour obtenir des garanties contre les dangers que l’IA représente qu’acteurs et scénaristes ont fait grève pendant plusieurs mois l’an dernier aux États-Unis – est caractéristique des ingrédients que le cinéaste aime à utiliser dans ses scénarios ou ses dialogues. Ce sont des allusions à des sujets dans l’air du temps, faisant débat et souvent clivants.
L’objectif est avant tout de faire rire, y compris à propos de ce qui est extrêmement sensible.
Il ne s’engage pas sur le fond, se sert de leur écume, quitte parfois à ne pas être trop regardant sur le bien fondé de son « emprunt » aux faits de société (l’homophobie, les violences sexuelles et sexistes…) C’est une ambition. Ou une présomption. Quentin Dupieux révèle ce qui est sans doute son geste premier de cinéaste, la désacralisation, au gré de cette réplique prononcée par Florence : « Le cinéma ça sert à rien ! C’est ça qui est cool ».
Reste que Le Deuxième acte réserve plusieurs moments d’une grande hilarité : la vive altercation entre Guillaume et Willy sur la drogue ; le comique de répétition du figurant Stéphane trop stressé pour accomplir sa scène… Notre période est si sombre que ces moments-là sont bons à prendre.
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