« Les Graines du figuier sauvage », de Mohammad Rasoulof ; Un palmarès idéal

Un grand film signé par un cinéaste courageux et des souhaits.

Christophe Kantcheff  • 25 mai 2024
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« Les Graines du figuier sauvage », de Mohammad Rasoulof ; Un palmarès idéal
Mohammad Rasoulof signe une œuvre splendide et implacable, dont la teneur esthétique est à la hauteur de la portée politique.
© Pyramide Films

Les Graines du figuier sauvage

Les Graines du figuier sauvage / Mohammad Rasoulof / 2 h 48.

L’entrée en lice du nouveau film de Mohammad Rasoulof, Les Graines du figuier sauvage, lors de la projection officielle au Grand Théâtre lumière revêtait une émotion particulière. La présence du réalisateur iranien à Cannes, condamné à 8 ans de prison dont 5 applicables pour « collusion contre la sécurité nationale », est en effet le fruit d’une échappée risquée à travers les montagnes de son pays, courage dont ont fait preuve avec lui les membres de son équipe qui l’entouraient lors de la montée des marches.

On imaginait mal que son nouveau film, Les Graines du figuier sauvage, présenté en compétition, n’évoque pas la situation en Iran, d’autant qu’il l’a toujours fait dans ses œuvres précédentes, parmi lesquelles Au revoir (2012), Un homme intègre (2017) et Le Diable n’existe pas (2020). Cette fois, le cinéaste illustre les tensions qui traversent le pays par les oppositions qui secouent une famille.

Le père, Iman (Misagh Zare), fraîchement promu juge, est un serviteur du régime. Non pas dévoué d’emblée : il a une éthique personnelle. Mais pour préserver sa carrière, il la fait taire. Sa femme (Soheila Golestani) accepte la domination de son mari, qu’elle sait violent, d’autant qu’elle aspire à une vie bourgeoise. En revanche, leurs deux filles, Rezvan (Masha Rostami) et Sana (Setareh Maleki), sans se joindre au mouvement « Femme, vie, liberté », qui a cours dans la rue, s’indignent de la violence de la répression qui s’abat contre les manifestant.es et ont des désirs d’émancipation qui passent, par exemple pour la plus jeune, à se teindre les cheveux en bleu – ce qui est anodin dans nos contrées peut être un acte symbolique ailleurs.

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À partir de ces positions, le récit va progresser vers un antagonisme de plus en plus fort. Un objet, un révolver, ou plus exactement sa disparition, en devient le point de cristallisation. Rezvan est accusée par son père de l’avoir dérobé. Le mensonge est au cœur du film, où se confrontent la foi dans la propagande du régime (le père), la ruse pour se défendre (les filles), l’aveuglement volontaire jusqu’à un certain point (la mère). Un suspense s’instaure en même temps que la crise familiale s’aggrave sous les foudres tyranniques du père.

Parfaitement tenu de bout en bout, Les Graines du figuier sauvage gagne sans cesse en tension pour atteindre une acmé tragique.

Tout, chez Mohammad Rasoulof, fait sens : une mise en scène au cordeau le plus souvent dans des endroits clos (l’appartement familial en particulier), métaphore d’une société sous contrôle ; l’utilisation récurrente d’images vidéo réalisées par des anonymes montrant le déchaînement de violence des forces de l’ordre et qui font entrer la réalité brute dans le film ; les rivalités sur le contrôle des téléphones portables, outil de liberté ou d’ascendant sur l’autre.

Parfaitement tenu de bout en bout, Les Graines du figuier sauvage gagne sans cesse en tension pour atteindre une acmé tragique, se déroulant dans un magnifique village troglodyte, abandonné et labyrinthique. Mohammad Rasoulof signe une œuvre splendide et implacable, dont la teneur esthétique est à la hauteur de la portée politique. Une palme d’or lui serait décernée que ce serait un juste et magistral point d’orgue.


Un palmarès idéal

Dans la compétition moyenne sinon médiocre qui nous a été soumise cette année, le nombre de films qui méritent à mes yeux d’être distingués est resserré.

Palme d’or

Comme mentionné plus haut : Les Graines du figuier sauvage, de Mohammad Rasoulof

Grand Prix

Anora, de Sean Baker

Prix d’interprétation féminine

Karla Sofía Gascón, pour son rôle dans Emilia Perez, de Jacques Audiard

Prix d’interprétation masculine

Peu de grands rôles pour les acteurs dans cette édition. Si Sebastian Stan, qui s’est remarquablement mis dans la peau du jeune Trump dans The Apprentice, d’Ali Abbasi, semble bien placé pour obtenir la récompense, il faudrait lui adjoindre le très éblouissant Jeremy Strong, qui interprète son mentor.

Prix de la mise en scène

All we imagine as light, de Payal Kapadia. Un beau film (dont je n’ai pas parlé ici) sur des femmes du peuple dont l’émancipation est une promesse et non une illusion, d’une jeune réalisatrice indienne.

Prix du scénario

Marcello Mio, de Christophe Honoré

Grand prix

Megalopolis, de Francis Ford Coppola.

À ce soir pour le commentaire du « vrai » palmarès.

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Cinéma
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