« Marcello Mio », de Christophe Honoré (Compétition) ; « Ce n’est qu’un au revoir », de Guillaume Brac (Acid)
Chiara Mastroianni sous les traits du grand acteur italien et la fin d’une heureuse période de la jeunesse
dans l’hebdo N° 1811 Acheter ce numéro
Marcello Mio
Marcello Mio / Christophe Honoré / 2 h 01.
On sait que Christophe Honoré garde toujours vivant en lui son passé bien-aimé. Sa découverte des films de la Nouvelle Vague par exemple. Ce n’est pas de la nostalgie mais une façon de se laisser déborder par ce qui a été. L’héroïne de Marcello Mio, présenté en compétition (en salle simultanément), est aussi dans ce cas. Il s’agit de Chiara Mastroianni, qui interprète son propre rôle, comme les autres comédiens du film. Chez elle, le retour du passé est on ne peut plus intime, affectivement puissant puisque c’est son père, ou plus exactement le souvenir de celui-ci, qui la réveille la nuit, et le visage de l’acteur qui se superpose au sien quand elle se regarde dans un miroir. Renversant !
D’où sa radicale décision de changer d’identité, ce qui la « rend heureuse », dit-elle. C’est aussi une réponse crâne à ceux qui l’ont réduite au statut de « fille de ». Des cheveux courts, des lunettes d’écaille noires, un chapeau, et voici Marcello qui réapparaît. La ressemblance est troublante, Chiara Mastroianni est Marcello !
L’émotion est souvent là, sans pesanteur.
L’un des moteurs du scénario – léger au demeurant, le film déployant moins une intrigue qu’une évocation rêveuse – réside dans les réactions de son entourage. En premier lieu de sa mère, Catherine (Catherine Deneuve). Bluffée par cette apparition, croyant d’abord à un caprice, elle va vite accompagner sa fille dans ce voyage entre passé et présent aux nombreuses jointures. Le duo Deneuve - Chiara Mastroianni est particulièrement réussi, la première diserte et extravertie, la seconde plus retenue mais déterminée. L’émotion est souvent là, sans pesanteur, notamment quand elles visitent un appartement où elles ont vécu jadis en famille avec l’acteur. Chiara en Marcello est un accélérateur de souvenirs. Cette transformation permet aussi l’existence à contretemps d’une profonde amitié entre Marcello et Fabrice (Fabrice Luchini), touchante et souriante.
Le cinéma de Fellini est évidemment convoqué. Au-delà de deux épisodes autour de la fontaine de Trevi, Marcello Mio reprend l’esprit de Ginger et Fred contre la télévision. À Rome, Chiara-Marcello s’est fourvoyée dans une émission qui réclame « la vérité » sur son identité, exigence d’une transparence indécente et destructrice d’imaginaire – au contraire de ce quinzième long-métrage de Christophe Honoré, qui joue avec la musique (Daho, Beaupain), les déplacements temporels et géographiques dans un même plan ou de joyeuses présences énigmatiques (un cocker roux), pour rendre hommage à Marcello, à Chiara Mastroianni et à la magie des acteurs (à laquelle contribuent aussi Benjamin Biolay, Melvil Poupaud et Nicole Garcia). Et le petit parfum d’entre-soi qu’on pourrait y trouver n’y résiste pas
Ce n’est qu’un au revoir
Ce n’est qu’un au revoir / Guillaume Brac / 1 h 06.
Avec Guillaume Brac, l’Acid accueille un cinéaste déjà confirmé qui mériterait une plus grande notoriété. Ce n’est qu’un au revoir s’inscrit dans sa veine documentaire, même si ses fictions – Tonnerre (2014), À l’abordage (2020) – ont une économie légère qui flirte souvent avec le cinéma du réel. Le regard à nouveau tourné vers la jeunesse, Guillaume Brac a filmé la dernière année, celle de terminale, de lycéens en internat qui s’apprêtent, une fois l’année scolaire achevée (c’est-à-dire quelques semaines plus tard), à emprunter des chemins différents. D’où le titre.
Même si le film commence alors que les élèves sont en cours d’anglais, le cinéaste filme surtout la vie de la petite communauté d’internes qu’ils forment. C’est en effet dans ces moments qu’ils sont vraiment eux-mêmes. Ils ont eu le temps de tisser de fortes relations, où l’on ressent beaucoup de camaraderie, de l’amitié joyeuse ponctuée de nombreux rires et même de la tendresse.
Dans les chambres, très décorées, fortement habitées, on est souvent avec les filles, qui se confient abondamment quand elles ne font pas une partie de matelas-dominos dans les couloirs. Ailleurs, filles et garçons se retrouvent. Ils sont lycéens à Die, dans la Drôme, une petite ville de presque 5 000 habitants, en bordure du Vercors (où se déroulait déjà en partie À l’abordage). L’été approchant, ils passent du temps dans les superbes paysages alentour, se baignent dans une rivière, profitent d’une insouciance encore autorisée. Ces moments de leur jeunesse sont imprégnés d’un sentiment presque idyllique, comme un temps suspendu de vert paradis.
Ces moments de leur jeunesse sont imprégnés d’un sentiment presque idyllique, comme un temps suspendu de vert paradis.
Ce qui rend d’autant plus difficile d’envisager la suite. « Je vais devoir abandonner les meilleures personnes que j’ai rencontrées dans ma vie », dit une lycéenne. Sans compter l’incertitude de l’avenir : leurs études, des atmosphères familiales déprimantes pour les uns, un contexte plus général où l’éco-anxiété à sa place chez d’autres…
Guillaume Brac signe là un film délicat, souriant mais teinté de mélancolie, sur une brève période de la vie laissant souvent des traces, peu vue au cinéma. Au seuil de l’âge adulte, elle passe par des adieux (non pas seulement des au revoir) et des cœurs gros.
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