Militants basques de Louhossoa : « coupables » d’avoir désarmé ETA… mais dispensés de peine

Les militant·es basques Txetx Etcheverry et Béatrice Molle-Haran étaient jugés à Paris pour avoir participé à neutraliser des armes du groupe de lutte armée ETA, en 2016 à Louhossoa, dans les Pyrénées-Atlantiques.

Patrick Piro  • 17 mai 2024 abonné·es
Militants basques de Louhossoa : « coupables » d’avoir désarmé ETA… mais dispensés de peine
Béatrice Molle-Haran (à gauche) et Txetx Etcheverry (à droite), à Paris, le 16 mai 2024.
© Patrick Piro

Leurs avocat·es avaient demandé la relaxe pure et simple pour Txetx Etcheverry et Béatrice Molle-Haran : jeudi 16 mai, la 16e chambre correctionnelle, spécialisée dans les affaires de terrorisme au tribunal judiciaire de Paris, aura retenu leur culpabilité, mais les a pourtant dispensés de toute peine. « Un jugement acrobatique, qui montre bien qu’au fond, ce procès était une affaire politique, souligne l’un de leur défenseur Patrick Baudoin, président de la Ligue des droits de l’Homme. Aussi, si nous ne pouvons nier une petite déception, c’est une grande satisfaction qui domine, au prononcé de ce verdict. »

Les deux prévenu·es avaient été convoqués au tribunal les 2 et 3 avril dernier pour leur participation à l’opération de Louhossoa : le 16 décembre 2016, avec Michel Berhocoirigoin (agriculteur et ex-secrétaire national de la Confédération paysanne), l’avocat Michel Tubiana (ex-président de la Ligue des droits de l’Homme), et Michel Bergougnan (viticulteur), décédés depuis, ainsi que Stéphane Etchegaray (photographe, qui n’a pas été poursuivi), ces militant·es avaient tenté de neutraliser, dans la maison de Béatrice Molle-Haran, une fraction de l’arsenal d’ETA, en accord avec l’organisation de lutte armée.

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Les deux prévenu·es ont transporté et détenu des armes de catégorie A et B, ce qu’ils ont reconnu : le tribunal a retenu leur culpabilité pour cette infraction caractérisée, « avec la circonstance aggravante que les armes provenaient de l’arsenal d’une organisation terroriste, juge Murielle Desheraud, présidente du tribunal. L’opération de Louhossoa a été organisée par ETA, qui a choisi les armes qui vous ont été remises, avec votre aide et clandestinement. »

Motif légitime d’action

Les avocats de la défense, pour leur part, avaient défendu que le motif légitime de l’action – désarmer –, annulait l’infraction. Pour les militant·es, l’opération de 2016 résultait d’un état de nécessité, car l’exaspération était parvenue à un point critique, au sein de la société basque : les gouvernements espagnol et français bloquaient délibérément tout processus de paix et de règlement avec ETA, bien que l’organisation ait déclaré, cinq auparavant, renoncer définitivement à la lutte armée et consenti à la remise officielle de son arsenal, sans réponse de la part des autorités.

« La société basque, par son soutien considérable, nous a accordé la relaxe depuis bien longtemps » a estimé Txetx Etcheverry, devant les médias. (Photo : Patrick Piro.)

Eu égard à la qualité morale des prévenu·es, leur opposition à l’action violente et l’absence de lien idéologique avec ETA, la procureure avait réclamé d’un à deux ans de prison avec sursis, peines qu’elle avait qualifiées de « clémentes ». La présidente du tribunal, réputée « dure », n’a pourtant pas suivi les réquisitions du Parquet — comme elle en a coutume, rapporte une avocate : Txetx Etcheverry et Béatrice Molle-Haran sortent donc de la salle d’audience « coupables » mais « dispensés de peine », ainsi que d’inscription au Fichier des auteurs d’infractions terroristes (Fijait).

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« Victoire politique »

« Le dommage causé est réparé, le trouble a cessé, ETA a disparu depuis 2018 », justifie la présidente. Qui cite même, au rang des arguments de la dispense, le fait que le 8 avril 2017, trois mois et demi à peine après les faits reprochés, ait pu avoir lieu la remise quasi intégrale de l’arsenal d’ETA aux autorités — avec Txetx Etcheverry comme cheville ouvrière —, ce qui a permis, quelques mois plus tard, la dissolution définitive du groupe armé. En quelque sorte, une reconnaissance implicite du rôle précurseur de l’opération de Louhossoa dans cette résolution.

La 16e chambre, chargée des affaires terroristes, ne pouvait guère désavouer plus avant le Parquet, soupèse Anaiz Funosas. « Un procès en apparence inutile, mais au bout du compte, il consacre une victoire politique, pour nous », estime la présidente de l’association Bake Bidea, qui a fortement œuvré à la mobilisation basque autour de ce procès. « De toute façon, la société basque, par son soutien considérable, nous a accordé la relaxe depuis bien longtemps », commente un Txetx Etcheverry soulagé.

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Police / Justice
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