Gaza : Biden bouge enfin

Le Premier ministre israélien poursuit inexorablement sa logique en lançant son offensive sur Rafah. Et en coupant le son et l’image de la chaîne Al Jazeera, la seule qui témoignait encore des massacres à Gaza.

Denis Sieffert  • 7 mai 2024
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Gaza : Biden bouge enfin
De la fumée s'échappe des frappes israéliennes sur l'est de Rafah, dans le sud de la bande de Gaza, le 7 mai 2024.
© AFP

Les États-Unis vont-ils enfin arrêter le bras criminel de Netanyahou ? Le Premier ministre israélien a lancé le 7 mai son offensive contre Rafah, la grande ville du sud de la bande de Gaza, où plus d’un million de Palestiniens ont trouvé refuge. La « ligne rouge » tracée par Joe Biden est donc sur le point d’être franchie. Si elle ne l’a pas été déjà depuis longtemps. C’est, hélas, une constante depuis le début du conflit israélo-palestinien : hormis une exception avec George Bush père, en 1990, les États-Unis et leurs alliés européens ont toujours, contre toute logique, fait pression sur la partie palestinienne, c’est-à-dire la plus faible au conflit. Il était donc grand temps que les États-Unis usent enfin d’autres arguments pour contraindre Israël que ceux de la supplique.

Certes, « le plus faible » a changé de visage. Ce n’est plus le Fatah de Yasser Arafat, partisan des accords d’Oslo, c’est aujourd’hui un mouvement dont le mode opératoire est le terrorisme et qui s’est attiré l’hostilité du monde occidental par son attaque du 7 octobre. Mais, à la veille de l’offensive israélienne sur Rafah, le Hamas a donné son accord au compromis élaboré au Caire par le Qatar, l’Égypte… et les États-Unis. S’il s’agit vraiment d’obtenir un cessez-le-feu, c’est donc évidemment sur Israël qu’il faut peser.

Et Biden a enfin bougé. Il a annoncé qu’il stoppait la livraison de bombes « lourdes ». « S’ils entrent dans Rafah, je ne livrerai plus d’armes qui ont servi à tuer des civils », a-t-il déclaré sur CNN. Mais à la question de la journaliste : « Pensez-vous que la ligne rouge a été franchie ? », autrement dit, pensez-vous que l’armée a commencé son offensive contre Rafah, Biden a répondu laconiquement : « Pas encore ». C’est bien peu et c’est bien tard, mais il s’agit tout de même d’un tournant dans la politique américaine. Biden est finalement contraint de tenir compte de la mobilisation des campus et des risques électoraux que sa faiblesse vis-à-vis d’Israël lui font courir en vue de la présidentielle du 5 novembre. 

Ce tournant lui est dicté aussi par l’obstination de Netanyahou qui poursuit inexorablement sa logique. Au cours des jours précédents, le Premier ministre israélien avait fait savoir que, trêve ou pas, il lancerait son offensive sur Rafah. Ce qui s’appelle torpiller les efforts de paix. Sans doute, le Premier ministre israélien espérait-il que le Hamas rejetterait l’accord. Mais le 6 mai au soir, c’est le contraire qui s’est produit, et Israël n’avait donc plus aucun prétexte. Les motivations de Netanyahou sont doubles. Officiellement, il poursuit l’objectif d’éradication du Hamas. Une chimère. Combien de dirigeants du mouvement islamistes ont été assassinés par Israël depuis 1996, de Yahya Ayache jusqu’à Mohammed Al-Rantissi, en passant par Cheikh Yassine ? On peut imaginer que, tôt ou tard, Israël aura la peau de Yahya Sinwar, le chef militaire de Gaza. Mais pas plus que les fois précédentes, cela empêchera le Hamas d’exister. La vraie motivation de Netanyahou est autre. Sous la pression de ses alliés d’extrême droite qui menacent de faire tomber son gouvernement, il lui faut sauver sa fragile majorité. D’autant que, rendu à son statut de simple citoyen, il aurait à répondre devant la justice des accusations de corruption dont il est l’objet. Il est troublant de voir combien le sort personnel de cet homme pèse sur l’histoire et sur la vie de milliers de Palestiniens. Au sacrifice même d’une centaine d’otages israéliens ou binationaux qui seraient toujours vivants et, pour la plupart d’entre eux, aux mains de Hamas. D’autres grands criminels existent de par le monde, mais peu sont aussi cyniques. Et peu osent comme lui se réclamer de la démocratie.

Une bonne partie de l’opinion israélienne n’est plus dupe. Des milliers de manifestants s’étaient encore rassemblés le 5 mai à Tel Aviv et à Haïfa pour protester contre l’acharnement du Premier ministre israélien. Mais, pour toute réponse, Netanyahou a complété son « offre de guerre » en coupant le son et l’image de la chaine qatari Al-Jazira, la seule qui témoignait encore des massacres à Gaza. Les Israéliens ne verraient donc pas les milliers de morts et de blessés de Rafah. Il est vrai que dans un jeu pervers de complicité objective, le Hamas s’est empressé, en représailles à la déclaration de Netanyahou, de tirer des roquettes sur le passage de Kerem Shalom par où transitait au compte-gouttes l’aide humanitaire, tuant trois soldats israéliens. 

Mais tout de même, quelle ironie tragique ! Il s’en faudrait de peu que le Hamas ait désormais le « beau rôle » ! Quant à Macron, il est trop occupé à réprimer les étudiants qui manifestent leur solidarité avec les Palestiniens. Le comble ayant été atteint le 6 mai quand la France a interdit l’entrée sur son territoire au chirurgien palestinien de Gaza Ghassan Abu Sitta qui devait être entendu au Sénat pour témoigner du désastre humanitaire. Cacher la vérité est l’arme ultime de la France comme du gouvernement israélien. Côté français, la chaine de complicité est toujours là. Macron va-t-il tenir compte du timide tournant américain ?

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