Nouvelle-Calédonie : « La position de la France dans le Pacifique est fragile »
La directrice de l’Observatoire géopolitique de l’Indo-Pacifique à l’Institut de relations internationales et stratégiques, Marianne Péron-Doise, revient sur les enjeux régionaux de la crise calédonienne.
Pour Marianne Péron-Doise, directrice de l’Observatoire géopolitique de l’Indo-Pacifique à l’Institut de relations internationales et stratégiques, la crise calédonienne et l’incapacité du gouvernement à écouter les populations mettent à mal la stratégie indo-pacifique française. Elle est coautrice, avec Valérie Niquet, de L’Indo-Pacifique, nouveau centre du monde, (à paraître le 30 mai aux éditions Tallandier).
Le passage en force de la modification du corps électoral calédonien ne reflète-t-il pas la difficulté de la France à compter comme puissance locale dans le Pacifique ?
Marianne Péron-Doise : La France n’y exerce sa souveraineté que grâce à sa capacité à s’appuyer sur ses territoires d’Outre-mer, dans la mesure où ils sont reconnus comme partie prenante des grandes instances régionales. Ce ne fut pas sans mal avec La Réunion, car l’Inde voyait la présence française d’un mauvais œil. Et ce n’est que tardivement que la Nouvelle-Calédonie a intégré le Forum des îles du Pacifique.
On aurait pu réfléchir, depuis les années 1980, à un accord global sur la spécificité d’une citoyenneté calédonienne
Quel impact de la crise calédonienne pour la politique française dans la région ?
En comparaison de ses prédécesseurs, Emmanuel Macron est le président qui s’est le plus exprimé sur la stratégie indo-pacifique de la France. Pas seulement comme un élément de sa défense nationale – comme ce fut le cas avec les essais nucléaires en Polynésie –, mais aussi de sa politique étrangère. Emmanuel Macron a notamment visité le Vanuatu et la Papouasie-Nouvelle-Guinée – une première –, en portant un discours nouveau sur la sécurité environnementale (1), présentée comme pilier de son approche.
Entre autres, le dérèglement climatique, par la hausse du niveau des océans, a des conséquences catastrophiques pour les petites îles Pacifique.
La crise actuelle marque le retour des acteurs calédoniens, qui participeraient éventuellement à une stratégie locale, mais avec un statut qu’ils auront eux-mêmes choisi. Les exemples locaux, très diversifiés, ne manquent pas : les îles Mariannes, les îles Cook ou encore les États fédérés de Micronésie, au statut original d’association avec les États-Unis. On aurait pu réfléchir, depuis les années 1980, à un accord global sur la spécificité d’une citoyenneté calédonienne. Il y avait bien des sujets à considérer, au-delà du corps électoral. C’est désolant et très dommageable pour l’image locale de la France d’en être arrivé là.
Quelle est la pertinence de la stratégie indo-pacifique de la France, dès lors ?
Il aurait fallu y associer les populations locales. Or tout a été largement élaboré dès 2018 à Paris, où on ne semble pas percevoir la position de la France dans le Pacifique à sa juste réalité : elle est fragile, et dépend éminemment du statut de ses territoires, qui n’ont été admis comme membres et acteurs politiques dans les instances régionales, aux côtés d’États souverains, qu’en vertu de l’autonomie qui leur a été octroyée.
Que Paris ne soit pas en capacité d’écouter ses propres concitoyens du Pacifique discrédite la France dans ses ambitions régionales, et alimente le soupçon d’un double discours.
On oublie que ce n’est pas la France « métropole » qui s’exprime dans le Forum des îles du Pacifique – qui développe par ailleurs sa propre stratégie « Blue Pacific » –, mais les présidents des parlements de Nouvelle-Calédonie et de Polynésie française. Limiter le statut d’autonomie de ces territoires est très contreproductif, réduisant la capacité locale d’action de la France.
Comment est perçu, localement, le manque de dialogue du gouvernement français ?
Les pays de l’arc mélanésien observent avec attention les discours et les actes de Paris. Le Premier ministre du Vanuatu soutient le FLNKS et a demandé le retrait de cette loi sur le corps électoral qui a conduit à ces « événements regrettables ». Que Paris ne soit pas en capacité d’écouter ses propres concitoyens du Pacifique discrédite la France dans ses ambitions régionales, et alimente le soupçon d’un double discours.
C’est perçu très sévèrement par les pays voisins, y compris en Australie. Par ailleurs, on ne comprend pas bien, à Paris, les relations très fortes qui se sont nouées entre les populations de la famille pacifique. Or l’appartenance de la Nouvelle-Calédonie et de la Polynésie française à cette famille dépend de leur autonomie, qui semble aujourd’hui remise en cause.