Un petit métier du journalisme

On croyait avoir entendu et lu, pendant ces sept mois d’épouvante pour les Palestiniens, tellement d’horreurs que plus rien ne pourrait encore nous scandaliser. Mais ça c’était avant un éditorial du Canard enchaîné.

Sébastien Fontenelle  • 28 mai 2024
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Un petit métier du journalisme
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On écrivait ici, le 10 octobre dernier, que le dictionnaire propose, pour le mot « terrorisme », cette définition décrivant assez bien l’attaque qui avait été lancée quelques jours plus tôt par le Hamas contre Israël : « Ensemble des actes de violence qu’une organisation politique exécute dans le but de créer un climat d’insécurité ».

On écrivait aussi que le même dictionnaire donne également, pour le même mot, cette autre définition, caractérisant aussi bien le sort terrible qu’Israël fait aux Palestinien·nes depuis de – très – longues décennies : « Emploi systématique, par un pouvoir ou par un gouvernement, de mesures d’exception et/ou de violence pour atteindre un but politique. »

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Depuis qu’on a écrit cela : sept mois, interminables, sont passés. Sept mois d’épouvante absolue, durant lesquels plus de 35 000 Palestinien·nes – dont 70 % de femmes et d’enfants (1) – ont été tué·es à Gaza par une armée dont les chefs, Benyamin Netanyahou et Yoav Gallant, se sont ainsi rendus responsables, d’après Karim Khan, le procureur de la Cour pénale internationale (CPI), qui a également incriminé trois chefs du Hamas, de plusieurs « crimes contre l’humanité » (2).

1

Selon la toute dernière estimation de l’Unicef – l’agence des Nations unies chargée de la protection de l’enfance. Ce bilan, provisoire, ne tient pas compte des victimes dont les dépouilles sont encore sous les décombres des villes rasées par l’armée israélienne.

2

Constitutifs, pour certains d’entre eux, et d’après la définition que l’Organisation des Nations unies retient pour ce mot – que Karim Khan, pour sa part, n’emploie pas, ou pas encore –, d’un génocide.

Et l’on croyait avoir entendu et lu, pendant ces sept mois, tellement d’horreurs – et de parfaites saloperies – que plus rien, pensait-on, ne pourrait encore nous scandaliser. Mais ça, c’était avant.

Avant que Le Canard enchaîné ne publie, dans son numéro daté du mercredi 22 mai, un éditorial dans lequel son patron, Érik Emptaz, sermonnant vertement le procureur de la CPI, lui fait grief d’avoir « appliqué les mêmes chefs d’accusation » contre les dirigeants du Hamas, d’une part, et contre le Premier ministre israélien et son ministre de la Défense, d’autre part.

Inoubliable moraliste

Car selon maître Emptaz, qui gagne là des galons d’inoubliable moraliste : « Toutes les vies humaines se valent, mais toutes les façons d’entraîner la mort ne se valent pas. Il y a une différence fondamentale entre un acte clairement terroriste où des civils sont, en connaissance de cause, pris en otages, violés, massacrés, et un acte de guerre, fût-il meurtrier, mené par des militaires et qui vient en légitime défense des actes précédents. »

Après avoir lu cela, vomissons un bon coup, et remémorons-nous qu’à chaque fois qu’un haut penseur ajoute un « mais » après l’affirmation que « toutes les vies humaines se valent », on peut s’attendre à le voir produire une monumentale dégueulasserie : ainsi fait Emptaz, qui nous rappelle aussi que l’obscénité peut des fois être un – tout – petit métier du journalisme.

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De bonne humeur

Sébastien Fontenelle est un garçon plein d’entrain, adepte de la nuance et du compromis. Enfin ça, c’est les jours pairs.

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