Quand la gauche réinvestit le travail

« Comment le travail, colonne vertébrale de la gauche depuis ses origines, a-t-il pu lui être dérobé par ses adversaires ? Et comment, surtout, reconquérir ce thème essentiel, en faire la priorité de la gauche ? » Voilà les questions que se pose Paul Magnette (1), professeur de théorie politique à l’Université libre de Bruxelles et président du Parti socialiste belge. Il le fait en même temps et de la même manière qu’un autre responsable politique de gauche, français celui-là, François Ruffin (2) : en mobilisant les témoignages recueillis lors de contacts avec leurs électrices et électeurs, et en s’appuyant sur les acquis de la recherche en sciences du travail (psychologie, ergonomie, sociologie, statistique, etc.).

Tant les témoignages recueillis par Magnette et Ruffin que les travaux scientifiques qu’ils citent abondamment confirment que le travail, en tant qu’activité, possède et conserve une place centrale dans la construction des personnes, de leur santé et de leurs liens sociaux. « Le travail nous construit », par la confrontation avec la résistance du réel qui nous permet de développer notre expérience et nos compétences et de ressentir (parfois) le plaisir du travail bien fait. En même temps, ils montrent à quel point les organisations actuelles du travail détruisent la santé des humains et de la nature.

Pourtant, à gauche, « la question du contenu et du sens du travail est restée dans l’ombre » (Magnette, p. 65). C’est pourquoi, même si la réduction du temps de travail reste une aspiration légitime, « réduire le temps de travail sans en améliorer la nature reviendrait à ‘faire du peuple une masse d’oisifs qui seraient esclaves deux heures par jour’, selon l’expression de Simone Weil » (Magnette, p. 128).

Ces deux livres montrent peut-être qu’une longue période est en train de s’achever, celle pendant laquelle la gauche souscrivait à l’éthique du travail comme sacrifice et renonçait à l’émancipation dans le travail. Une réflexion prometteuse s’amorce sur la démocratie au travail, non seulement avec la présence des salarié·es dans les organes de direction mais, plus profondément, comme le droit de construire leur point de vue collectif sur comment et pourquoi ils et elles travaillent, et de le faire valoir dans l’organisation concrète du travail, mettant en question la subordination et le productivisme.

« La gauche est née des réactions contre les nouvelles modalités d’organisation du travail, et elle a failli mourir de l’avoir oublié » (Magnette, p. 146). Autrement dit, « c’est à la gauche de devenir le ‘parti du travail’, à nouveau. C’est à la gauche de porter haut et fort un “travailler mieux” » (Ruffin, p. 207). Reste à élaborer, en lien avec les expériences ouvrières et les revendications syndicales, un véritable programme de démocratisation du travail réel, dont ces deux ouvrages contiennent les prémisses.