Raphaël Glucksmann rêve de « chambouler la scène politique française et changer la donne »
La tête de liste du Parti socialiste et de Place publique tente d’incarner une alternative à l’extrême droite. Et ne cache plus ses ambitions post-européennes.
En 2024, au Zénith de Paris, il est prévu Kalash Criminel, Naps, Alice Cooper, Deep Purple et… Raphaël Glucksmann. En effet, à l’affiche ce jeudi 30 mai au soir, c’est la tête de liste du Parti socialiste et Place publique qui doit remplir et chauffer cette salle pouvant accueillir 7 000 personnes. Le pari est risqué. Et le défi grand : créer un électrochoc politique dans le dernier quart d’heure de cette campagne électorale, un coup d’accélérateur suffisant pour doubler la tête de liste Renaissance, Valérie Hayer, et se hisser en deuxième position derrière la liste du Rassemblement national (RN) menée par Jordan Bardella.
La salle de concert mythique du 19e arrondissement de la capitale n’est pas complètement remplie. La soirée commence par une petite séance d’éloges adressée à la tête de liste Raphaël Glucksmann et émise par la maire de Paris, Anne Hidalgo qui voit en « Raphaël », le « seul candidat qui croit en l’Europe et qui fait une campagne européenne ». Après avoir cité Jean Jaurès et le penseur écosocialiste André Gorz, la candidate du PS à la présidentielle de 2022 (1,74 %) perçoit Glucksmann comme « le seul vote utile et nécessaire pour contrer la montée de l’extrême droite ». Le ton est donné.
« Barrage » contre l’extrême droite
Car la liste d’alliance entre le Parti socialiste et Place publique, créditée entre 12 et 14,5 % (au plus haut) selon les sondages, tente de s’imposer en « barrage » face aux nationalistes d’extrême droite. Les prises de parole s’enchaînent : Emma Rafowicz, présidente des Jeunes socialistes, Matthias Ecke, l’eurodéputé socialiste agressé à Dresde par des hommes liés à l’extrême droite alors qu’il collait des affiches pour les européennes, Nicolas Schmit, commissaire européen à l’emploi et aux droits sociaux et candidat à la présidence de la Commission européenne. Tous attaquent l’extrême droite de façon plutôt offensive. Dans la salle, on crie « la jeunesse emmerde le Front national ! ».
C’est à nous de porter la grande confrontation avec l’extrême droite. Pas dans trois ans, mais maintenant.
O. Faure
L’eurodéputée Place publique Aurore Lalucq s’attelle à décortiquer sur scène le bilan du RN au Parlement européen qui a voté contre le Smic européen et qui tente de « mettre un stop » au Green Deal. « Le bilan du RN, c’est protéines, cantine, piscine, Poutine. » Avant de citer La Promesse de l’aube de Romain Gary, la coprésidente de Place publique pointe « ce duel devenu duo entre Renaissance et le Rassemblement national » et l’assure : « Il y a une place pour une gauche proeuropéenne, écologique, démocratique, une gauche qui n’est pas dans l’outrance. »
Le Premier secrétaire du Parti socialiste, Olivier Faure, continue sur cette lancée : « Imaginez un seul instant un monde où les États-Unis seraient à nouveau présidés par Trump, le continent sud-américain sous l’influence de Javier Milei en Argentine, Poutine régnant en maître sur la Russie, Erdogan se rêvant en nouveau sultan ottoman. » « C’est à nous de porter la grande confrontation avec l’extrême droite. Pas dans trois ans, mais maintenant », lance-t-il. Contre Jordan Bardella et Marion Maréchal, la tête de liste de Reconquête, qui « défendent une guerre de civilisations », le rose souhaite une Europe « puissante » pour « protéger », « pour la transition écologique », « pour une odyssée industrielle nouvelle ». Pas une seule pique adressée aux autres forces de gauche.
20 h 48. Entrée en majesté de Raphaël Glucksmann sur « We are your Friends » de Justice et Simian. Après un bain de foule au milieu du Zénith, l’homme annonce : « Personne ne nous avait crus capables de chambouler les grands stratèges de l’Élysée. » « Ce plan opposant l’extrême droite et la droite a déjà échoué, lâche-t-il. Nous avons fait naître une espérance. » L’eurodéputé prend ensuite un virage plus dramatique : « Il est des moments dans l’histoire où bascule le destin des peuples où les civilisations peuvent soit sombrer dans l’abîme, soit se retrouver. » Évoquant la guerre, l’effondrement climatique, la colère sociale et la vague d’extrême droite qui traverse l’Europe, il l’assure : « Le temps est venu de rompre avec l’impuissance. »
Glucksmann cite ensuite la journaliste russe Anna Politkovskaïa assassinée en 2006 par les « sbires de Poutine », et alerte sur l’agression russe en Ukraine : « Il ne s’agit pas d’un conflit territorial, d’une affaire spécifiquement ukrainienne. Il s’agit de notre sécurité. Nous sommes les cibles de Poutine. Chaque tergiversation, chaque retard dans les livraisons d’armes, chaque erreur de jugement, chaque fois qu’on bride la résistance ukrainienne, ce n’est pas contre le peuple ukrainien qu’on agit, c’est contre la sécurité des Européennes et des Européens. Chaque député élu sur cette liste sera un combattant de la sécurité européenne. »
L’eurodéputé défend la saisie des 206 milliards d’avoirs gelés dans les banques européennes, l’augmentation des livraisons d’armes et l’urgence de la « construction d’une Europe de la défense » : « Certains à gauche disent qu’on a un discours de va-t-en-guerre. Si vous aimez la paix, vous devez faire preuve de fermeté face aux tyrans qui déclenchent les guerres. »
Dans un discours de près de cinquante minutes devant une foule au départ plutôt timide, il souhaite une grande « puissance écologique européenne » : « Cette rencontre entre puissance et écologie sera l’offre politique qui dominera les décennies à venir et sera la seule offre politique cohérente à faire face au repli nationaliste et à la tentation de l’abîme autoritaire. » Dans le désordre, il promet de défendre l’ensemble des textes du Pacte vert, veut développer la filière du recyclage, repenser la politique agricole commune (PAC) qui ne doit plus selon lui subventionner les plus grandes exploitations, dit vouloir sortir des énergies fossiles tout en conservant une part de nucléaire, cite Bruno Latour et parle sobriété et planification. « Quand j’entends un Président parler d’amish : dans quel univers mental évolue-t-il ? »
Gifle à peine voilée à Mélenchon
Après avoir consacré quelques mots à la question sociale en expliquant que l’Europe devait retrouver la « grande quête d’égalité qui a structuré les démocraties européennes », il retourne sur le sujet international. Sur ce point, Raphaël Glucksmann assume vouloir faire de l’Europe « une puissance qui défendra les droits humains du Haut-Karabakh à Gaza, une puissance qui ne considérera pas le droit international comme étant à géométrie variable ». Une manière de répondre aux insoumis qui l’accusent d’un deux poids, deux mesures sur la question du conflit israélo-palestinien et sur l’Ukraine.
Quelques minutes avant la fin de son discours, la tête de liste s’enflamme. Le voilà qui, à la tribune, affiche de très grandes ambitions. « Nous sommes en train d’ouvrir un nouvel espace politique qui se définit d’abord par un certain rapport à la démocratie, un certain rapport à la violence et à la vérité. Un nouvel espace politique qui s’inscrit dans les pas de Jaurès, Blum et Mendès. » La salle se réveille et Raphaël Glucksmann voit finalement bien plus loin que ces européennes. Il rêve désormais de « chambouler la scène politique française et changer la donne ».
Notre gauche (…) ne sera jamais la gauche des insultes, des analogies dangereuses, de la démagogie.
R. Glucksmann
« Notre gauche, celle que nous sommes en train de reconstruire, ce ne sera jamais la gauche des insultes, des analogies dangereuses, de la démagogie, de l’instrument cynique des passions ou des clins d’œil les plus répugnants. » Gifle à peine voilée à Jean-Luc Mélenchon. Face à « ceux qui se prennent pour Jupiter ou Robespierre », il veut travailler « à l’émergence d’une social-démocratie rénovée, débarrassée de ses compromissions, qui épouse l’écologie politique et se refonde en l’épousant ». Est-il en train de se déclarer candidat pour la prochaine élection présidentielle ? Il répond à demi-mot : « Je ne vais pas disparaître le 10 juin, je serai là pour construire cet espace. » Lui qui, pendant toute la campagne, a critiqué ceux qui nationalisaient ce scrutin, vient-il de se prendre subitement à ce petit jeu ?