Ça branle dans le manche de la future héritocratie
Les anathèmes pleuvent sur les étudiants, de Sciences Po et autres écoles, mobilisés pour le peuple palestinien. La levée de boucliers de l’élite contre ses « héritiers » ne s’est pas fait attendre.
dans l’hebdo N° 1812 Acheter ce numéro
Les étudiant·es de Sciences Po se rebiffent contre le peu d’ardeur des autorités de l’école à dénoncer les atrocités de la guerre en Palestine. Et les anathèmes de pleuvoir dénonçant la naïveté et l’ignorance d’une jeunesse privilégiée, bernée par d’illusoires discours gauchistes, accusée de surcroît d’apologie du terrorisme. Ces mobilisations à Sciences Po, figure emblématique de l’héritocratie (1), ont été étoffées par celles des universités de Strasbourg, Lille, et Brest, et de l’EHESS. La répression ne s’est pas fait attendre : Valérie Pécresse sucre la subvention allouée à Sciences Po, quand Gabriel Attal s’invite à son conseil d’administration, attestant la porosité entre pouvoir politique et monde académique.
Héritocratie. Les élites, les grandes écoles et les mésaventures du mérite (1870-2020), de Paul Pasquali, La Découverte, 2021.
Mais il n’y suffit pas ; il faut mater les contestations dans l’œuf. L’administrateur provisoire de Sciences Po et le président de l’EHESS ont alors fait donner la maréchaussée, mode de gestion des conflits banalisé. Évacuations, interpellations, arrestations démontrent la criminalisation de militant·es placé·es en garde à vue, tel·les les 88 de la Sorbonne.
Or leurs revendications sont loin d’un exubérant extrémisme : condamnation officielle des violations du droit international concernant les massacres en cours dans la bande de Gaza ; cessez-le-feu immédiat et durable et condamnation explicite de la colonisation en Palestine ; soutien aux chercheurs et chercheuses palestinien·nes ; réévaluation des partenariats avec les universités israéliennes ; aide juridique et financière pour les étudiant·es poursuivi·es pour « apologie du terrorisme ». Ce qui allait de soi concernant l’Ukraine prend des allures d’odieuse remise en cause de l’État d’Israël, voire d’un antisémitisme avéré.
Qualifier les massacres
Mais la levée de boucliers la plus récurrente et sans merci porte sur la censure du langage. Que vienne sous la plume ou sur la langue le terme « génocide », et les étudiant·es sont accusé·es d’être ignares quant aux attendus juridiques et politiques de cette notion. Pourtant, le 20 mai, Karim Khan, procureur de la Cour pénale internationale, a requis des mandats d’arrêt contre Benyamin Netanyahou, premier ministre israélien, et contre Yahya Sinouar, leader du Hamas, pour crimes de guerre et crimes contre l’humanité, rejoignant de la sorte l’interrogation de Gideon Levy dans le journal Haaretz du 14 janvier : à supposer qu’Israël ne commet pas de génocide, alors de quoi s’agit-il ?
N’en déplaise à nos collègues universitaires donneurs de leçons, les étudiant·es se mobilisent aussi pour qualifier au plus juste ces massacres, et ceux et celles de Sciences Po pourraient s’ériger en futur·es négociateur·rices pour plaider une reconnaissance pleine et entière de la Palestine par tous les pays de l’Europe, puisque avec les élections européennes la conjoncture s’y prête. Parmi les promotions actuelles de Sciences Po, qui sait si n’est pas en train de germer le ou la futur·e ambassadeur·rice de France en Palestine, État enfin reconnu ?
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