« The Apprentice », d’Ali Abbasi (Compétition)

Pas facile de mettre en scène un personnage sans créer de l’empathie. Ce phénomène est quasi consubstantiel au cinéma. Dans The Apprentice, présenté en compétition, qui raconte les débuts dans les affaires de Donald Trump, le réalisateur dano-iranien Ali Abbasi parvient pourtant à garder ses distances avec son héros. Il n’appuie pas sur les épisodes qui peuvent le rendre sympathique : quand, par exemple, il est renvoyé avec mépris à son manque d’expérience par son père, Fred Trump (Martin Donovan).

Tuer le père

Aussi parce que le comédien qui l’interprète (Sebastian Stan) dégage une forme de rondeur sans aspérité, figurant un jeune Trump dénué de personnalité, influençable, dont la seule qualité est de savoir repérer qui peut servir son ambition. Une ambition archi-conventionnelle dans les riches familles d’entrepreneurs dans l’immobilier, qui se concrétise, à New York, par des désirs de construction de gratte-ciels impressionnants de luxe (une façon de tuer le père).

Trump approche rapidement celui qui va devenir son mentor : l’avocat véreux Roy Cohn (Jeremy Strong), dont les pratiques tiennent en deux mots : coups bas et corruption. De son propre aveu, il obtient gain de cause moins en ayant recours au droit qu’en faisant pression sur les juges. Arguant comme titre de gloire d’avoir envoyé les Rosenberg sur la chaise électrique, il met Trump en relation avec tout ce qui compte de personnalités influentes chez les néo-conservateurs et le sort de certains mauvais pas.

Le diable en personne

Aussi sordide et cynique qu’il soit, mais justement parce qu’il est le diable en personne, Cohn est le personnage extraordinaire du film. Jeremy Strong, déjà remarquable dans Armageddon time, de James Gray, est époustouflant : sa voix, les expressions de son visages, tout ce qui émane de lui respire l’intransigeance tranquille du « killer » (versus les « loosers »). Le duo qu’il forme avec Trump – qui s’avère être la part la plus passionnante du film – est de ce fait déséquilibré. Y compris quand le rapport de domination s’inverse. Affaibli par la maladie (le sida), délaissé par son « apprenti », Cohn continue malgré tout à irradier.

Le film est une bonne approche de ce qui constitue l’humus de l’immoralité fondamentale du probable candidat républicain.

Entretemps, Trump, tel une éponge, absorbe tout ce qui lui semble utile et rejette les « gêneurs » : son frère alcoolique, qui se suicide, sa femme Ivana (Maria Bakalova), qu’il humilie sans cesse, et Cohn, donc. Celui-ci lui avait exposé sa recette du succès – attaquer, nier toutes les accusations, ne jamais s’avouer vaincu mais au contraire revendiquer la victoire quelles que soient les circonstances –, reprise sans scrupules par un Trump qui ne jure plus que par lui-même, écœurant d’égocentrisme.

Ali Abbasi (dont le film précédent, Les Nuits de Masshad, était également en compétition à Cannes en 2022) a cherché à retrouver les caractéristiques de l’audiovisuel proches des années 1970 et 1980 : une image un peu sale, à gros grain, des plans très découpés et une caméra flottante (qui paradoxalement est devenue un poncif de la télévision d’aujourd’hui). Il n’était peut-être pas nécessaire de marquer autant d’intentions pour renvoyer Trump à une esthétique bas de gamme.

Il n’empêche. Malgré ses limites, The Apprentice est une bonne approche de ce qui constitue l’humus de l’immoralité fondamentale du plus que probable candidat républicain à la prochaine élection présidentielle.