Avant un week-end de manifestations, des syndicats rejoignent le Front populaire

En attente de décisions nationales, des organisations de jeunesse, des fédérations de la CGT comme des branches locales de Solidaires ou de la FSU commencent d’ores et déjà à porter l’alliance des gauches.

Hugo Boursier  • 13 juin 2024
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Avant un week-end de manifestations, des syndicats rejoignent le Front populaire
Manifestation contre la réforme des retraites, Paris, 7 février 2023.
© Lily Chavance.

Journées à rallonge, nuits blanches et téléphones qui surchauffent. Depuis l’annonce de la dissolution de l’Assemblée nationale, dimanche 9 juin et la création du Front populaire dès le lendemain, des syndicats n’ont qu’une obsession : empêcher le Rassemblement national d’accéder au pouvoir. Pour y arriver, ce qui était encore il y a quelques semaines un refus catégorique, est soudain devenu une réponse concrète : il faut rejoindre le Front populaire et appeler à voter pour cette hétéroclite coalition de combat. Quitte à suspendre, pour un temps, la sacro-sainte indépendance des syndicats vis-à-vis du politique, comme l’édictait historiquement la charte d’Amiens (1).

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Ce texte, voté à Amiens en 1906, innerve les fondements du syndicalisme français en affirmant l’indépendance des organisations vis-à-vis de « l’État oppresseur », du « patronat exploiteur », et des partis politiques.

À la veille d’un week-end de manifestations lancées à l’appel de la CFDT, la CGT, FSU, Solidaires et l’Unsa, des fédérations de la CGT ont d’ores et déjà fait comprendre au siège de Montreuil qu’elles seraient partantes pour porter le Front populaire sur le terrain. C’est le cas des puissantes CGT Cheminots et de la CGT Services publics. L’Ugict, la fédération des cadres de la CGT, dont est issue la secrétaire générale du syndicat, Sophie Binet, a signé, mercredi 12 juin, un communiqué intitulé « Faire Front ». Elle appelle « les agent.es publics à voter et à faire voter lors des élections législatives. »

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Contactée, la secrétaire confédérale de la CGT, Céline Verzeletti, indique que les fédérations sont « libres de travailler au-delà du périmètre syndical avec d’autres associations et des organisations politiques là où c’est possible ».

Mobilisation tous azimuts

Mais ce soutien local pourrait bien prendre une tout autre envergure. « S’il y a une candidature unique à chaque circonscription et un programme qui comporte des engagements tels que l’augmentation des salaires, l’abrogation de la réforme des retraites, la CGT pourra s’engager sur des appels assez clairs. Si ce n’est pas possible, ce seront les organisations territoriales qui prendront leur décision. C’est cela, aussi, le fédéralisme », décrit-elle. Une nouvelle instance nationale se réunit mardi 18 juin pour faire le point.

Tracter et participer à la campagne fait partie des possibles.

Sur TF1, mercredi 12 juin, la secrétaire générale de la CFDT, Marylise Léon, a indiqué qu’elle ne donnera pas « de consigne de vote au premier tour ». En attendant, un site internet avec une carte interactive où il est possible de connaître la personne qui sera candidate pour le Front populaire dans chaque circonscription est aussi relayée par Marylie Breuil, qui gère la communication de la CGT et de Sophie Binet, avec la militante féministe Caroline De Haas et une juriste qui tient le compte Instagram Faitsminisme.

Capture d’écran de la carte interactive, tenue par des bénévoles.
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Des branches locales de la FSU ont, elles aussi, déjà commencé à faire campagne aux côtés du Front populaire. Une réunion du secrétariat national se tient lundi pour décider « formellement », explique-t-on à Politis, de la direction possible. Mais « tracter et participer à la campagne fait, en effet, partie des possibles, des camarades localement sont déjà là-dessus », souligne notre source de cette instance. Après un comité national tenu mercredi 12 juin, l’union syndicale Solidaires privilégie, pour l’instant, les actions sur les lieux de travail. Une réserve à l’échelle nationale qui pourrait se dissiper en début de semaine prochaine, puisque des branches professionnelles, comme SUD Travail Affaires sociales se disent déjà prêtes à rejoindre le Front populaire.

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Du côté des organisations de jeunesse, qui multiplient les rassemblements depuis dimanche dans les grandes villes, l’Union étudiante, l’Unef et l’Union syndicale lycéenne appellent, elles aussi, à rejoindre ce front commun. « On parle beaucoup de la charte d’Amiens, mais face à l’extrême droite qui peut prendre le pouvoir dans trois semaines, on est obligés d’avoir une position claire », estime Éléonore Schmitt, porte-parole de l’Union étudiante. Les organisations prévoient des actions dans des lieux d’étude et en direction des jeunes travailleurs.

« Résistance partout »

Mercredi 12 juin, Libération publiait une tribune lancée par un nouveau collectif, Jeunesse populaire, qui appelle à voter pour le Front populaire en faisant le pont avec les jeunesses des quartiers et de « la ruralité ». Il est signé par 6 000 personnes, dont des journalistes, militants et associatifs. « On espère que les responsables des organisations professionnelles prennent leurs responsabilités. Au bout du compte, cela définira qui est antifasciste et qui ne l’est pas », indique Gwenn Thomas-Alves, porte-parole de l’USL, conscient aussi que celles-ci rassemblent bien plus d’adhérents. « Elles sont plus frileuses que nous vu qu’elles se sont aussi battues pour leur indépendance pendant des années », note-t-il.

On appelle à une résistance qui doit se construire partout, dans les lieux de travail, les lieux d’étude et dans la rue.

M. Guilbert

Du reste, toutes ces initiatives s’accompagnent d’actions sur le terrain. Le comité confédéral national de la CGT appelle ainsi ses fédérations à journées d’action et de grèves les 20 et 27 juin, d’après un communiqué. Une stratégie que partage aussi Solidaires : « . Et se mettre en grève là où c’est possible », explique la co-déléguée générale, Murielle Guilbert.

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Les coopérations avec des ONG et des associations de la société civile sont aussi en cours de construction. Mardi 11 juin, la Ligue des droits de l’Homme a mené une réunion pour aboutir à un texte qu’elle a initié avec l’intersyndicale, mais aussi la Fédération des acteurs de la solidarité, la Cimade, Greenpeace, Oxfam France, le Mrap ou encore le Syndicat de la magistrature. Publié dès le lendemain, et signé par une vingtaine d’organisations, il affirme vouloir « agir ensemble sur tous les territoires pour battre l’extrême droite lors des élections législatives des 30 juin et 7 juillet 2024 et porter ensemble des mesures concrètes de solidarité, d’égalité et de justice ».

Faire front avec tout le monde

Contactée, la présidente de la LDH, Nathalie Tehio, confirme que « la société civile doit peser, non seulement pour faire voter, mais aussi pour l’après ». « Nous voulons dire aux futurs élus que nous serons vigilants : nous refusons les politiques néolibérales et de banalisation du racisme qui expliquent la place qu’occupe l’extrême droite aujourd’hui. S’il y a soutien, ce n’est pas un blanc-seing », explique-t-elle. Quid d’un appel au vote ? « Des sections nous le demandent. Mais cette décision doit être prise collectivement, aussi parce que les statuts de la LDH disent qu’il n’est pas possible de soutenir un candidat, sauf si le comité national en décide autrement », indique Nathalie Tehio. Et un comité national se tient samedi 15 juin.

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Chaque organisation a vu son calendrier remisé au profit d’un agenda qui change d’heure en heure. « Quand on dit qu’il faut faire front contre l’extrême droite, c’est avec tout le monde, dont le politique. Ce qui nous engage, en effet, à revoir le lien avec lui », observe Céline Verzeletti. Une réflexion qui n’est pas sans générer des débats profonds dans d’autres organisations convaincues qu’elles doivent rester apartisanes. Quoiqu’il en coûte ? Force ouvrière, la CFTC et la CFE-CGC restent, pour l’instant, sur la touche, invoquant une forme de neutralité.

Ces organisations sont aussi confrontées à un vote important de leurs adhérents pour le Rassemblement national. Une prise de position nationale contre l’extrême droite, voire pour le Front populaire pourrait voir surgir des conflits et une forte crise de légitimité en interne. Mais l’affluence dans les rues, ce week-end, pourrait bien pousser d’autres syndicats plus hésitants à faire Front.

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