Ce qu’une note des RG préconisait pour les quartiers populaires… dès 2005

Les révoltes suivant la mort d’un jeune habitant des quartiers populaires amènent toujours des réponses répressives et réactionnaires de la part des autorités. Pourtant, une note des RG, après les émeutes de 2005, donnait une lecture bien plus sociale des événements. Signe que cette réponse politique là a toujours été balayée par les gouvernements successifs.

Ludovic Simbille  • 29 juin 2024
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Ce qu’une note des RG préconisait pour les quartiers populaires… dès 2005
Des policiers regardent une de leurs voitures brûler, le 31 mai 2006, à Montfermeil, à l'est de Paris.
© Fred Dufour / AFP

Le 27 juin 2023, une partie de la France s’embrasait suite à l’homicide de Nahel Merzouk par un policier. Les révoltes qui ont suivi ont poussé l’exécutif à multiplier les réponses répressives : plan anti-émeutes avec encadrement militaire et amendes plus lourdes, renforcement du maintien de l’ordre demandé par la commission des lois du Sénat. Pas de quoi satisfaire les élus locaux, effarés de voir que « rien de sérieux » n’avait été produit pour « en finir avec les ghettos », comme le regrettait le maire de Trappes, Ali Rabeh (Génération.s).

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Depuis un an, le gouvernement n’a cessé de discréditer, voire de disqualifier toute politique souhaitant s’attaquer aux causes sociales des révoltes. À Mathilde Panot, qui demandait humblement à Elisabeth Borne, alors première ministre, de « trouver une réponse politique de nature à apaiser le pays », la locataire de Matignon répond : « Je cherche vos condamnations et j’entends des excuses. Vous cherchez des coupables partout, sauf chez les auteurs de violence. »

Gérard Larcher, alors ministre délégué à l’Emploi, trouvait lui, une cause possible aux émeutes dans… ‘la polygamie’.

Il est impossible de proposer une autre lecture des événements que les outrances réactionnaires d’un Éric Ciotti pointant une « barbarie » qui demanderait l’instauration « sans délai » d’un « état d’urgence ». Toute tentative de compréhension politique reviendrait à cautionner les violences. Pas question de « trouver des excuses sociales là où il n’y en a pas », certifiait le ministre de l’Intérieur, Gérald Darmanin, plus prompt à contextualiser certains actes répréhensibles lorsque ceux-ci sont commis par les forces de l’ordre. Le président de la République qui semblait vouloir « chercher à comprendre l’origine des violences, qui traversent des communes très différentes » avait finalement trouvé la cause dans le manque d’autorité parentale des « émeutiers » et le rôle des réseaux sociaux.

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Lucidité des Renseignements généraux

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Les interventions létales des forces de l’ordre se concentrent dans un quartier populaire en périphérie d’une agglomération. Voir Basta !, « Quand les forces de l’ordre tuent : 40 ans de décès sans bavures ? », 14 juin 2018.

Contextualiser peut en effet ne pas s’avérer inutile. Car depuis quarante ans, le même scénario se répète inlassablement. Des premières « violences urbaines » en 1979 à Vaulx-en-Velin jusqu’à Nanterre l’an dernier. À chaque fois ou presque, l’élément déclencheur provient de la blessure ou la mort d’un habitant par un agent de police (1). Au moins, « pendant les émeutes de 2005, il y avait un message. Là, je n’ai pas entendu de message », semblait regretter en 2023 le chef de l’État en petit comité. En automne 2005, aucun message ne semble pourtant avoir été entendu par la classe politique d’alors. Cinq élus UMP pensaient identifier un « communautarisme qui fait le lit de l’intégrisme ». Gérard Larcher, alors ministre délégué à l’Emploi, trouvait lui, une cause possible aux émeutes dans… « la polygamie ».

Dans ce flot de réactions aussi clairvoyantes, une voix, visiblement peu audible, paraissait un brin discordante. Elle disait à qui voulait l’entendre : « Restreindre les derniers événements à de simples violences urbaines serait une erreur d’analyse. »  Et ajoutait : « Ceux qui ont saccagé les cités avaient en commun l’absence de perspective et de travail dans la société française »… Ces phrases émanent directement des Renseignements généraux. Des explications qu’auraient sans doute condamnées Gérald Darmanin et Élisabeth Borne dans leur lecture des événements qui ont suivi la mort de Nahel. Elles n’émanaient point d’une officine anti-républicaine mais des services du ministère l’Intérieur.

Sarkozy vire le patron des RG

Au lendemain des révoltes des banlieues françaises de 2005, la Direction centrale des renseignements généraux pond, en effet, un rapport intitulé « Crise des banlieues : violences urbaines ou insurrection des cités ». Le document, daté du 23 novembre, est publié pour la première fois en intégralité dans le livre « Maintien de l’ordre », paru en 2007, du journaliste David Dufresne. Rédigé dans un jargon propre à la pensée policière, le rapport surprend par sa mise en avant du contexte socio-économique des banlieues françaises. Une analyse bien différente de celle livrée par les actuels renseignements territoriaux au lendemain de la mort de Nahel. Depuis, une analyse de l’IGA et de l’IJS a tenté de déceler l’intention des « délinquants » appréhendés par la justice.

La note de 2005, anonyme, « comme c’est l’usage chez les RG », rappelle David Dufresne, « coûtera sa place au patron des RG quelques mois plus tard ». La raison ? « Ses conclusions, qui mettent l’accent sur les motivations sociales des émeutiers, écrit le journaliste, vont à l’encontre de la vision délictuelle des faits exprimés par Nicolas Sarkozy. » Alors ministre de l’Intérieur, ce dernier avait publiquement assumé que les émeutes étaient l’œuvre de bandes « parfaitement organisées ». Ce que dément catégoriquement le rapport : « Aucune manipulation n’a été décelée permettant d’accréditer la thèse d’un soulèvement généralisé organisé. »

Les « grandes oreilles » de l’État insistent sur le caractère « sans précédent » de ce soulèvement dans l’histoire des banlieues françaises. De par leur forme de « guérilla urbaine », leur propagation, leur durée (trois semaines) et leurs dégâts (250 millions d’euros), il s’agissait d’une « crise bien plus grave » que de simples violences urbaines. Plutôt d’« une révolte populaire spontanée et sans programme », assimilable à une « insurrection non organisée ».

« Les jeunes des quartiers pénalisés par leur pauvreté »

À (très) gros traits, les RG tentent alors d’identifier les caractéristiques communes à ces grands ensemble, construits à la fin des années 1950 pour répondre à l’énorme demande de logement. Depuis années 1970, une « accumulation d’un ensemble de dysfonctionnements et de problèmes » les différencient de « l’habitat traditionnel », des centres urbains et des zones rurales. Au fil des ans, les cités seraient devenues de « véritables ghettos urbains à caractère ethnique » sans « réelle mixité sociale ». Des zones reléguées à « forte concentration de gens exclus économiquement » en proie à une « importante déscolarisation des enfants » et à « des dégradations et un vandalisme quotidien qui annihilent les efforts de rénovation du bâti ». Ce qui générerait un « fort sentiment d’insécurité parmi les résidents et exaspération face aux incidents à répétition et incivilités ».

En 2019, le taux de pauvreté des quartiers prioritaires était trois fois plus élevé que l’ensemble du territoire.

En cause ? Le chômage massif et les discriminations à l’embauche, le développement des trafics lucratifs… « Les jeunes des quartiers sensibles se sentent pénalisés par leur pauvreté, leur couleur de peau et leur noms », écrivent même le ou les auteurs anonymes. Le tout aggravé par « l’enclavement », la « forte densité urbaine », les « fortes tensions sociales et identitaires », les « fragilités sociales ». En juillet 2023, l’appel unitaire, signé par nombre de syndicats, de partis de gauche, de collectifs et militants associatifs, ne dénonçait pas autre chose. En vain… En 2019, le taux de pauvreté des quartiers prioritaires référencé par l’Observatoire national de la politique de la ville était trois fois plus élevé que l’ensemble du territoire.

Si « la violence n’avait plus rien à voir avec les décès survenus à Clichy-sous-Bois », assurent les « barbouzes », le « moindre incident » (sic) de ce genre reste, systématiquement perçu « comme une injustice » ou une « intrusion illégitime ». Aussi, les violences urbaines demeurent par « essence anti-institutionnelles » visant principalement les symboles de l’État. Écoles, commissariats, centres culturels, mairies… Pourquoi saccager les services publics de son propre quartier d’habitation, s’interrogent aujourd’hui nombre de commentateurs médusés ? Un « acte suicidaire », répondent les RG. « C’est pour ces jeunes une façon d’exprimer le rejet d’une société qui a préféré les ignorer. »

Le rétablissement de l’ordre républicain ne règle rien

Relire ces remontées du renseignement intérieur presque vingt ans après leur rédaction, permet d’apprécier combien s’est imposée la « religion sécuritaire ».

En conclusion de leur rapport, les RG prévenaient sans détour : « Le fond du problème ne se résoudra pas avec la proclamation de bonnes intentions et l’annonce d’un déblocage de subventions. » En guise de « bonnes intentions », les banlieues ont surtout vu leur échapper en 2018, le fameux « plan Borloo », commandé par Emmanuel Macron avant que celui-ci ne le mette lui-même sous le tapis. Quant aux partisans d’une réponse stricto policière, les informateurs du pouvoir alertaient déjà sur le besoin « justifié » de sécurité : le « rétablissement de l’ordre républicain » rejeté par une partie des habitants des cités « ne fera qu’accroître la fracture entre villes et banlieues, entre jeunes et vieux, français d’origine et français issus de l’immigration » (2).

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Le « choc carcéral », qu’espérait Laurent Wauquiez en 2023, avait consisté à condamner 742 « émeutiers » à des peines de prison sur les 3 625 interpellés après quatre jours de heurs. En 2005, 5 643 gardes-à-vue avaient conduit à 400 mises en détention, après quatre à trois semaines de crise.

Les fonctionnaires préconisaient surtout de miser sur l’ascension sociale des habitants de ces lieux mis au ban. « L’intégration par le travail qui est une priorité pour donner à chaque jeune l’estime de soi » et « le sentiment de ne plus se sentir comme défavorisé et exclu », peut-on lire. La « tâche est néanmoins difficile » car « cette valeur » ne serait pas « reconnue dans les cités » au vu du « manque de qualification et du passé judiciaire de certains », croient savoir les fins limiers.

Relire ces remontées du renseignement intérieur presque vingt ans après leur rédaction, permet d’apprécier combien s’est imposée la « religion sécuritaire ». Depuis la mort de Zyed et Bouna, les interventions policières mortelles et leur impunité se sont accrues. L’usage des forces de l’ordre afin de pallier aux problèmes sociaux liés à des choix économiques austéritaires s’est systématisé. Des marches justice et vérité aux manifestation climat, des gilets jaunes aux manif’ retraites, les manifestants n’ont trouvé aucune réponse politique concrète.

À un an de la mort de Nahel et à la veille d’une possible accession du RN au pouvoir, on en mesure l’impressionnante efficacité en matière de prévention des violences : « Il est à craindre désormais que tout nouvel incident fortuit (re-sic) [décès d’un jeune d’un quartier, NDLR] ne provoque une nouvelle flambée de violences généralisées », concluaient les RG de 2005. La note interne débutait en ces termes : « Le calme apparent qui règne dans les cités ne doit pas accréditer l’idée que le fond du problème est réglé. » Comme un éternel recommencement.

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