Derrière la polémique sur Amal Bentounsi, les mêmes ressorts islamophobes

Candidate du Nouveau Front populaire investie par LFI Seine-et-Marne, la militante contre les violences policières est accusée de propos homophobes dont elle n’est pas l’autrice. Une polémique révélatrice du soupçon d’homophobie qui pèse sur les personnes musulmanes.

Maëlle Le Corre  • 19 juin 2024
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Derrière la polémique sur Amal Bentounsi, les mêmes ressorts islamophobes
Amal Bentounsi, en 2016.
© MATTHIEU ALEXANDRE / AFP

« La question n’est pas de savoir ce qu’un croyant ou un non-croyant pense, la question c’est de savoir si tout le monde peut vivre selon ses propres désirs, sa propre sexualité, et évidemment il n’y a à aucun moment l’intention chez qui que ce soit de revenir là-dessus. » Invité sur BFM, le premier secrétaire du PS Olivier Faure n’a pas cherché à savoir si les propos sur l’homosexualité cités par Apolline de Malherbe pour le faire réagir ce mardi 18 juin avaient bien été tenus par Amal Bentounsi avant de les qualifier d’« aberrants ».

En cause, une publication Facebook du collectif Urgence notre police assassine, datant de 2015 qui circule sur les réseaux sociaux depuis l’annonce de sa candidature Nouveau Front Populaire le 15 juin : « Nous refusons de nous positionner sur la question de l’homosexualité d’une manière ou d’une autre » puis « On ne peut pas en vouloir à un croyant d’être homophobe si sa religion l’est. » Bien que fondatrice du collectif, Amal Bentounsi est-elle l’autrice de ces lignes ? En cautionne-t-elle le fond ? Rien ne permet de le dire au moment où la journaliste de BFM pose la question à Olivier Faure.

Obligée de se justifier

Des propos homophobes anciens, attribués à une personne sans vérification : il n’en fallait pas davantage pour lancer une polémique comme seul X (ex-Twitter) en a le secret sur le dos d’une femme racisée, militante contre les violences policières et fraîchement investie par le Nouveau Front Populaire dans la sixième circonscription de Seine-et-Marne. Polémique aussitôt reprise par Valeurs Actuelles, Le JDD ou encore à l’antenne de Sud Radio.

Il aura suffi de quelques heures pour que des propos de 2015 – dont rien ne permettait d’attester qu’elle en était à l’origine – servent à discréditer sa présence comme candidate d’une alliance de la gauche.

Une technique islamophobe éprouvée

Deux événements éclairent la polémique et les ressorts qu’elle convoque. Amal Bentounsi n’est pas la première à être sommée de se justifier sur ce qu’elle pense de l’homosexualité, et par extension à devoir prouver qu’elle n’est pas homophobe. En 2016, lors d’un débat à Sciences Po Paris, Jean-François Copé s’acharnait à connaître ce que Marwan Muhammad, directeur du Collectif contre l’islamophobie en France (dissout en 2020) pensait de l’homosexualité et s’il la condamnait. « Je ne suis pas imam, je ne me prononce pas sur des sujets qui ne me concernent pas. Je ne condamne pas les choix des uns des autres, d’être homosexuel ou d’être polygame, de se marier à deux ou à trois, ça ne m’intéresse pas » a rétorqué le militant, qui par la suite s’est vu accusé de mettre sur un pied d’égalité polygamie et homosexualité.

Mais aurait-il été poussé à devoir se prononcer sur l’homosexualité s’il n’avait pas été musulman ? Jean-François Copé n’est pas perpétuellement rappelé à son passé homophobe, lui qui a manifesté contre le mariage pour tous, a appelé à manifester avec la Manif pour tous et voté contre le projet de loi.

Sur le même sujet : Qui peut parler au nom des musulmans ?

Faire de l’homophobie une problématique qui n’existerait que dans les quartiers populaires et sous-entendus parmi les personnes musulmanes, c’est précisément entretenir le discours du RN : « Dans certains quartiers, j’entends de plus en plus souvent qu’il ne fait pas bon être femme, ni homosexuel, ni juif, ni même français ou blanc », déclarait Marine Le Pen en 2010, symbole de la manœuvre de dédiabolisation du RN (alors encore Front National) et tentative de draguer un électorat sensible à la lutte contre les discriminations en pointant les musulmans comme forcément présumés homophobes.

Un air de déjà-vu

Dans le cas d’Amal Bentounsi, c’est aussi la rapidité avec laquelle émergent d’anciens posts qui a un air de déjà-vu : en 2018, après une prestation très remarquée dans The Voice, Mennel Ibtissem avait vu plusieurs de ses publications sur les attentats de Nice et de Saint-Etienne-du-Rouvray exhumés et diffusés par la fachosphère. Sous la pression médiatique, la chanteuse a fini par quitter l’émission. « Aucun.e autre candidat.e dans l’histoire de l’émission n’a subi l’enquête minutieuse dont elle a fait l’objet par la suite, exhumant certains de ses tweets. Si Mennel Ibtissem n’avait pas été musulmane, voilée et chantant en partie en arabe, personne ne serait allé fouiller dans son passé afin de trouver des éléments pour la discréditer », avait alors analysé l’association Lallab

Si Mennel Ibtissem n’avait pas été musulmane, voilée et chantant en partie en arabe, personne ne serait allé fouiller dans son passé.

Lallab

Plus qu’un détournement de l’attention médiatique et un moyen de monopoliser l’énergie d’une candidate en la poussant à communiquer, cette polémique est aussi symptomatique du soupçon d’homophobie qui pèse sur les personnalités publiques identifiées comme musulmanes et comment une pression médiatique s’organise sur elles pour les faire passer pour intolérantes. En outre, le nom d’Amal Bentounsi apparait dans les premiers cités de la tribune Pour une alliance féministe et trans publiée en septembre 2022.

Mais cette information n’apparaît pas dans les médias cités précédemment, bien qu’il constitue une preuve de son soutien sans ambiguïtés aux luttes LGBTQI. La tribune en question faisait suite à la vague transphobe menée par l’extrême-droite contre le Planning familial après sa campagne montrant un homme trans enceint. Un engagement pourtant plus significatif et plus récent qu’un post Facebook nébuleux.

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