Front populaire : naissance d’un accord, renaissance de l’espoir

Après une défaite électorale et une campagne faite de divisions idéologiques, les gauches ont réussi à imaginer les contours d’une nouvelle union pour contrer le péril fasciste.

Lucas Sarafian  • 11 juin 2024
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Front populaire : naissance d’un accord, renaissance de l’espoir
Rassemblement place de la République, à Paris, le 11 juin 2024, le soir de l'annonce d'une union de la gauche pour les législatives de juin et juillet.
© Maxime Sirvins

Après le séisme, la réplique. La vie politique française semble répondre aux mêmes règles qu’en sismologie. Le séisme originel se produit à 20 h 58 ce dimanche 9 juin. Moins d’une heure après les premières estimations des européennes, la réplique : Emmanuel Macron annonce lors d’une allocution la dissolution de l’Assemblée nationale. « Les partis d’extrême droite progressent partout sur le continent. En France, leurs représentants atteignent près de 40 % des suffrages exprimés. C’est une situation à laquelle je ne peux me résoudre, dit le chef de l’État. Après avoir procédé aux consultations prévues à l’article 12 de notre Constitution, j’ai décidé de vous redonner le choix de votre avenir parlementaire par le vote. Je dissous donc ce soir l’Assemblée nationale. » Stupeur dans les QG de campagne. La magnitude de cette catastrophe est inédite.

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Mais la riposte vient aussitôt. Elle porte un nom : « Front populaire ». La formule est trouvée par François Ruffin. Sur BFMTV, au soir des résultats, le député et « frondeur » insoumis de la Somme invite le communiste Fabien Roussel, l’écologiste Marine Tondelier, l’insoumis Manuel Bompard et le socialiste Olivier Faure à se rassembler. « Qu’est-ce qui reste face au Rassemblement national ? Les macronistes vont se prendre une deuxième raclée. Donc il ne nous reste que la gauche pour pouvoir faire front au Rassemblement national, lance l’élu. L’histoire nous montre que la crise de 1929 aboutit au nazisme en Allemagne mais au Front populaire en France. Il n’y a pas de fatalité. »

L’union sous conditions

Au sein des directions, les téléphones chauffent et les échanges commencent. « Nous avons l’obligation de trouver un chemin pour trouver l’unité », juge la porte-parole du PS, Dieynaba Diop, vers 23 heures. Dans la nuit, La France insoumise publie un communiqué évoquant la possibilité d’un rassemblement autour du programme de la Nouvelle Union populaire, écologique et sociale (Nupes) version 2022. Tout en posant plusieurs lignes rouges sur les potentielles négociations à venir : retraite à 60 ans, hausse du Smic, annulation de la réforme de l’assurance-chômage, sortie du nucléaire ou reconnaissance de l’État de Palestine.

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« C’est une drôle de façon de proposer l’union. Les insoumis savent que personne ne peut accepter ces conditions, réagit la sénatrice socialiste de Seine-Saint-Denis, Corinne Narassiguin. Ils ont fait campagne en nous visant, alors que nous avons strictement ciblé l’extrême droite et les libéraux, c’est difficile pour eux de revenir sur la nécessité de l’unité. »

Il faut extraire 10 mesures phares de ce qui a été établi il y a deux ans.

F. Ruffin

Qu’importent les nombreuses invectives exprimées pendant plusieurs semaines, la formule de « Front populaire » se diffuse dans les esprits. Dès le matin du 10 juin, Fabien Roussel publie quelques mots sur X (ex-Twitter) : « Un pacte pour la France. Un Front populaire pour une République sociale et écologique. » Invité de la matinale de France Inter, Olivier Faure se positionne : « J’appelle à ce que nous puissions constituer un Front populaire avec des gens qui se respectent et qui sont prêts à faire fonctionner la démocratie en leur sein. » Dans une boucle WhatsApp d’élus de gauche, le Premier secrétaire du PS envoie un texto dans lequel il affirme que ce front unitaire « ne doit pas se limiter aux formations politiques. Il faut aussi une irruption de la société civile organisée ».

Le barycentre de l’union

Mais il reste encore à trouver une réponse à une question existentielle pour la gauche : le barycentre de l’union. Grisés par le score obtenu par Raphaël Glucksmann (13,8 %), les socialistes estiment qu’une renégociation sur le taux de radicalité est nécessaire. Ce que les insoumis, convaincus que seule une ligne de rupture pourrait battre l’extrême droite dans les urnes, refusent d’avance. « Il va falloir lever les obstacles du PS qui n’est plus sur la ligne de la Nupes, et aussi de LFI qui ne va pas forcément accepter de signer un accord qui ne respecte pas la logique du programme des législatives de 2022, développe Alain Coulombel, membre de l’exécutif des Écologistes. Il y a deux ans, le rassemblement s’est construit autour de LFI. Le problème aujourd’hui, c’est qu’on a des rapports de force chamboulés. »

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Néanmoins, les échanges bilatéraux continuent dans la journée. Mais de nouvelles interrogations apparaissent. Que doit être le périmètre de l’unité ? Un cadre de gauche résume les débats : « Il y a ceux qui souhaitent un rassemblement sans exclusive sur la base du programme de la Nupes et ceux qui veulent surtout poser des conditions pour écarter La France insoumise ou la direction de ce mouvement. » Dès lors, la gauche doit-elle défendre l’ensemble des 650 mesures du programme partagé en juin 2022 ou porter un pack resserré de « grands combats » ? Comme les insoumis, les Écologistes choisissent la première option. « Une base de discussion existe déjà avec le programme de la Nupes, ce qui ne nous empêche pas de rediscuter de quelques points », considère François Thiollet, de l’exécutif du parti écolo.

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Les socialistes et François Ruffin penchent plutôt vers un programme rétréci qui se concentrerait sur la lutte contre les déserts médicaux, la reconstruction d’une police républicaine, la réindexation des salaires sur l’inflation, la reconnaissance de l’État palestinien ou l’abrogation des réformes sur les retraites, sur l’assurance-chômage et sur l’immigration. « On ne va pas se prendre la tête en discutant sur tout un programme. Il faut extraire 10 mesures phares de ce qui a été établi il y a deux ans », propose le député La France insoumise Hendrik Davi, proche de Clémentine Autain.

« La jeunesse exige le Front populaire ! »

Après des discussions sans la direction insoumise, les Écologistes et les communistes se retrouvent à 16 heures au siège des Écologistes, rue des Petits-Hôtels dans le 10e arrondissement de Paris, à la suite de la proposition de rencontre adressée par Manuel Bompard quelques heures plus tôt. Les socialistes ne sont pas là : ils rejoignent finalement la réunion à 19 heures après avoir publié un communiqué avec Place publique listant quelques préalables comme le « rejet de la brutalisation du débat public » ou le « soutien aux progrès de la construction européenne ». Un peu plus tard, les Écologistes répondent eux aussi par un communiqué exposant dix priorités programmatiques comme un soutien « indéfectible » à l’Ukraine ou la défense du projet européen.

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Au bout de près de sept heures de négociations qui semblent patiner, des centaines de jeunes militants de toutes les familles de gauche viennent bousculer ce petit conclave en criant, au pied du QG des Écologistes où se jouent les négociations : « Et la jeunesse exige le Front populaire ! » et « Trouvez un accord ! ». Face à cette pression, les dirigeants de gauche cèdent. Quelques minutes avant 23 heures, ils annoncent sur le trottoir la bonne nouvelle : un accord a été trouvé sur le principe des candidatures uniques dans toutes les circonscriptions. « Nous souhaitons porter un programme de ruptures sociales et écologiques pour construire une alternative à Emmanuel Macron et combattre le projet raciste de l’extrême droite », est-il écrit dans un court texte commun.

Il n’est pas question de l’incarnation. Les gauches doivent surtout se concentrer sur les deux prochaines semaines.

G. Ancelet

Toutefois, une question ne trouve pas de réponse : à qui reviendra le leadership de cette nouvelle unité ? Invité au 20 heures de France 2, Raphaël Glucksmann soumet le nom de Laurent Berger, l’ex-secrétaire général de la CFDT, comme candidat à Matignon. La direction insoumise balaye cette proposition qu’elle considère comme une initiative personnelle. D’autres poussent le nom de François Ruffin, le catalyseur de cette union nouvelle qui s’organise depuis un certain temps pour apparaître aux yeux de tous comme un candidat potentiel pour la prochaine présidentielle.

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« Il a une certaine notoriété et il est en position de force. C’est une personnalité qui pèse à gauche aujourd’hui, défend Sébastien Peytavie, le député Génération·s qui pourrait être l’un des futurs porte-parole de l’initiative ruffiniste. Mais l’important, c’est que toute la gauche soit embarquée. » Guillaume Ancelet, président de Picardie debout, le micro-parti de Ruffin, alerte sur le risque d’un échec des gauches lors de ces élections anticipées : « Il n’est pas question de l’incarnation. Les gauches doivent surtout se concentrer sur les deux prochaines semaines et la campagne à mener. Si on se rate aujourd’hui, on perd nos chances pour 2027. » En clair, les gauches doivent encore se montrer à la hauteur de l’enjeu.

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