Européennes : le maelström électoral

Les élections en France n’ont produit aucune heureuse surprise. Elles ont confirmé ce qui était attendu chez nous et qui s’est produit à l’échelle de l’Union. Analyse des résultats.

Roger Martelli  • 10 juin 2024
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Européennes : le maelström électoral
Meeting de Raphaël Glucksmann pour les élections européennes, au Zénith de Paris, le 30 mai 2024.
© Maxime Sirvins

En partenariat avec Regards.


L’air du temps est à droite

À Strasbourg (1), le curseur s’est comme prévu déplacé vers la droite. Le Parti populaire européen et les Socialistes et démocrates conservent, certes, leur statut prééminent – regroupant à eux seuls près de 45 % des sièges. Mais le recul sévère du groupe réputé centriste de Renew – celui des macronistes – et celui des Verts européens, joints à la stagnation de la Gauche unitaire européenne, laissent le champ libre à une consolidation de l’extrême droite.

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Siège officiel du Parlement européen.

Cette extrême droite est pour l’instant divisée, mais elle compte pour près d’un quart de l’assemblée qui vient d’être élue. Elle dispose ainsi d’une solide minorité de blocage, que la gauche « radicale » européenne ne peut plus guère assumer à elle seule, malgré des scores remarqués du Parti du travail en Wallonie et à Bruxelles. En France, pour la troisième fois, le parti de Marine Le Pen arrive en tête du scrutin européen. Mais, à la différence des consultations précédentes, il surclasse ses concurrents, de droite comme de gauche. Les résultats définitifs sont sans appel.

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Pour la première fois dans l’histoire démocratique de la France, l’extrême droite devient la première force du pays. Si l’on s’en tient aux seuls scrutins européens, on constate qu’elle attire aujourd’hui près de quatre votants sur dix.

La grande revanche des extrêmes droites

Le RN à lui seul est en tête dans la quasi-totalité des départements, atteint la majorité absolue dans l’Aisne et dépasse les 40 % dans une vingtaine d’autres, situés pour la plupart dans le Grand Est, les Hauts-de-France et le littoral méditerranéen. Les européennes ont conforté le profil connu depuis quelque temps. La propension au vote RN est en général plus forte dans les milieux modestes, qui cumulent les statuts subordonnés, les formations les plus courtes et les bas revenus. Mais ces élections ont aussi poussé un peu plus loin le constat que, si le vote RN est nettement plus populaire que les autres groupements électoraux, Marine Le Pen a étendu son attraction à l’ensemble des milieux, ce qui lui donne un profil sociologique de plus en plus proche de celui de la société française tout entière.

La gauche : un petit mieux, mais…

Entre la première élection européenne au suffrage universel et le début de la décennie 2010, la droite classique n’était jamais descendue au-dessous des 40 % des suffrages. Depuis cette date, elle ne cesse de reculer. En ce sens, les déboires du macronisme n’ont fait que prolonger un déclin déjà bien engagé. Mais, comme cela a été le cas lors des précédentes élections, présidentielles et législatives, la gauche n’en a profité que bien modestement et, au total, c’est une droite largement « droitisée » qui s’est installée dans le paysage politique français.

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En 2019, les Verts avaient créé la surprise, profitant d’une conjoncture où le défi climatique était tenu pour le plus urgent. La France insoumise et le PS regroupé autour de Glucksmann avaient petitement fait jeu égal. En 2024, les socialistes décident – comme les Verts et le PC – d’aller une nouvelle fois chercher le soutien des électeurs de gauche, visant celles et ceux qui ne pouvaient se reconnaître dans une alliance trop dominée par la France insoumise et le « système Mélenchon ». Un temps largement distancée par Glucksmann, la FI a donc décidé de faire un double pari : « présidentialiser » le scrutin européen pour mettre en orbite la probable candidature de Mélenchon en 2027 ; attirer la jeunesse (son public de prédilection) et la population racisée des « quartiers » en mettant l’accent sur le soutien nécessaire à la cause palestinienne.

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Le résultat a deux visages. Le parti de Jean-Luc Mélenchon a fait un remarquable come back dans la dernière ligne droite, longtemps rivé du côté des 7 % et frôlant les 10 % en fin de parcours. Elle a ainsi réduit un écart avec le PS qui prenait l’allure d’un gouffre. En outre, elle a littéralement « cartonné » dans les zones urbaines métropolitaines et notamment en région parisienne. Elle dépasse les 36 % en Seine-Saint-Denis, les 20 % dans le Val-de-Marne et les 15 % à Paris, en Essonne et dans les Hauts-de-Seine.

Rassembler sans tarder, le plus à gauche possible, le plus largement possible.

Dans l’espace traditionnel du PCF, elle écrase la liste communiste officielle, dépasse souvent la majorité absolue et s’installe la plupart du temps en tête de la gauche. Le patrimoine municipal des communistes se trouve ainsi doublement menacé, en région parisienne par le rival insoumis et ailleurs par un RN aux aguets du désarroi populaire. Le choix stratégique de LFI n’a donc pas été conjoncturellement sans force. Les sondages suggèrent ainsi qu’il a cette fois dépassé le RN dans les tranches d’âge les plus jeunes et touché à la fois des chômeurs, des employés, des revenus modestes et des diplômes élevés.

Mais à la différence de l’électorat RN et de celui du PS, le vote insoumis est plus déséquilibré et politiquement resserré sur les espaces politiques de la France insoumise, sans mordre suffisamment sur les autres espaces. Ajoutons que la surmobilisation des milieux les plus engagés, des plus « radicaux », peut fonctionner pleinement dans une élection à faible participation, sans être assuré de pouvoir le faire dans d’autres contextes électoraux.

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Enfin, si LFI a évité le gouffre annoncé entre son résultat et celui de Glucksmann, elle n’a pu parvenir à ce qu’elle annonçait à grands cris dans les derniers jours : le sorpasso et la première place à gauche. LFI et PS étaient à égalité en 2019 ; en 2024, le PS est passé devant. Dans cheminement vers la présidentielle, on peut donc considérer que le verre est donc à moitié vide et à moitié plein.

Faire face au pire

L’incroyable et irresponsable pari de Macron met la gauche et tous les démocrates au pied du mur. Il ne faut pas que se constitue un bloc parlementaire permettant une nouvelle cohabitation. Les précédentes mettaient face à face, un président de gauche et un gouvernement de droite ou réciproquement. Mais la rupture qui s’engagerait en cas de victoire du RN serait d’une tout autre nature que le balancier classique de la droite et de la gauche. Nous entrerions dans l’inconnu, une zone grise dont les risques sont d’autant plus grands que l’état du monde ne porte guère à l’optimisme.

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Il faut donc une fois de plus conjuguer les forces pour conjurer le pire. Et pour cela il faut se garder tout autant des consensus trop faciles que des partitions dictées par celui ou celle qui s’estime le plus fort. « Quand les blés sont sous la grêle. Fou qui fait le délicat. Fou qui songe à ses querelles. » Les vers d’Aragon n’ont pas vieilli. Rassembler sans tarder, le plus à gauche possible, le plus largement possible : les trois exigences doivent se penser ensemble, sans hiérarchie entre elles.

Nous n’avons plus le temps.

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