Selma Labib et le NPA-Révolutionnaires veulent « être les punaises de lit du système »
Face à l’extrême droite grandissante et les politiques « antisociales » du gouvernement, la petite liste d’extrême gauche se veut une alternative pour le camp des travailleurs et de la jeunesse. En taclant tous les représentants des gauches, les forces syndicales, les médias et la vision d’une « Europe des frontières ».
À quatre jours du scrutin, les anticapitalistes tentent d’exister. Oubliés selon eux par les médias dominants comme indépendants, les militants ne baissent néanmoins pas les bras. Ce jeudi 6 juin au soir, au gymnase Japy, dans le 11e arrondissement de Paris, ils comptent bien rassembler. Dans le dernier quart d’heure de cette campagne des européennes, ils veulent croire que l’invisibilisation qu’ils subissent serait inversement proportionnelle à ce qu’ils représenteraient en réalité.
D’après eux, leur participation à toutes les luttes sociales récentes pourrait bien payer dans les urnes. « Notre visibilité ne correspond pas à ce qu’on pèse », assure quelques minutes avant le meeting Armelle Pertus, enseignante et numéro trois de la liste du Nouveau parti anticapitaliste-Révolutionnaires (NPA-R), issu de la scission du NPA datant de plus d’un an.
Aux environs de 19 h 30, les salariés en grève de MA France ouvrent le bal devant environ 400 personnes, plutôt jeunes. « On a besoin de la classe ouvrière », affirme sur scène l’un des travailleurs de cet équipementier automobile qui produit des pièces de carrosserie en Seine-Saint-Denis et sous-traitant de Stellantis, où 400 salariés sont menacés selon la CGT. « Ils veulent une usine toujours plus profitable ! » La salle hue le nom de Carlos Tavares, le P.-D.G. de l’entreprise. Plus tard, Bridget, une gréviste d’Onela, une entreprise d’aide à la personne, livrera un témoignage touchant et Romuld Pidjot, commissaire général adjoint de l’union calédonienne, se lancera dans un discours très historique aux accents quasi universitaires. Le symbole est parlant : le NPA-R veut se positionner au cœur des luttes.
Les cibles : la gauche, la droite, Macron et les médias
La salle arbore de grandes affiches faisant l’éloge de la Commune, demandant l’ouverture des frontières et plaidant pour l’urgence de la révolution. Le gymnase est loin d’être rempli, le son est particulièrement mauvais, mais le décor est posé. Sur scène, Raphaëlle Mizony, représentante du NPA-Jeunes révolutionnaires, évoque le conflit israélo-palestinien et pointe la « politique criminelle de l’État d’Israël » : « Continuons et montrons-leur qu’on ne va rien lâcher ! » La militante égratigne au passage la politique d’Emmanuel Macron sur les droits des femmes et des violences sexistes et sexuelles faites aux femmes, une question pourtant considérée par le chef de l’État comme « grande cause du quinquennat ».
Face à l’extrême droite qui progresse en France comme partout en Europe, Damien Scali, cheminot et numéro quatre de cette liste, tente de déconstruire le discours affirmant que les classes populaires et ouvrières se jettent dans les bras des droites nationalistes et populistes : « On sait que des travailleurs sont piégés en pensant voter pour eux, ils votent contre Macron. Voter pour eux, c’est voter pour la peste avant même d’avoir guéri du choléra. »
Il tente ensuite de prouver le rapprochement du Rassemblement national et du milieu patronal en citant notamment l’exemple de François Durvye, membre du très secret mais très influent club des Horaces qui conseille Marine Le Pen depuis des années, ou Vincent Bolloré qui participe activement à la campagne médiatique de toutes les droites xénophobes et nationalistes. Il raconte également la manifestation à laquelle il a participé en 2002 contre Jean-Marie Le Pen et pointe « l’échec cuisant de ceux qui nous promettaient des barrages et qui se sont transformés en passoires ». Sont ciblés la gauche, la droite, Emmanuel Macron et les médias.
Tout ce dont on a besoin, c’est une grève générale.
A. Pertus
Puis Armelle Pertus, troisième de la liste du NPA-R et enseignante, pointe les politiques « antisociales » et inégalitaires menées par la politique des gouvernements successifs sous Emmanuel Macron. Encore une fois. Elle tacle aussi les stratégies syndicales qu’elle juge « pitoyables », et Sophie Binet, la secrétaire générale de la CGT qui a récemment déclaré que « l’extrême droite est la pire ennemie des travailleurs » le 23 mai sur BFMTV et qui « n’a pas un mot pour tout ce qui est vivant et ceux qui luttent ». « Tout ce dont on a besoin, c’est une grève générale », conclut-elle.
Pas d’appel à voter LFI
Quant à Gaël Quirante, numéro deux de la liste, le syndicaliste et postier licencié parle à nouveau de la répression en Nouvelle-Calédonie, tacle la « bourgeoisie française », cette presse « qui nous a si peu donné la parole », pointe la criminalisation des mouvements sociaux en France, fait l’éloge de la grève, critique LCI qui « accueille à bras ouverts ce criminel de guerre » (Benyamin Netanyhaou) et l’Otan qui « fait durer la guerre » en Ukraine. Les sujets s’enchaînent. Au passage, il répond aux propos d’Emmanuel Macron, ambigu quant à l’envoi de troupes armé pour défendre le peuple ukrainien. « Peut-être qu’à un moment il faut lui faire fermer sa bouche », lance-t-il. Avant d’ouvrir le chapitre des critiques adressées à la Nouvelle union populaire, écologique et sociale (Nupes).
« Nous n’appellerons pas à voter pour La France insoumise. Nous avons un programme pour le mouvement ouvrier et la jeunesse. » Petite gifle adressée à l’autre scission du NPA, celle d’Olivier Besancenot et de Philippe Poutou, qui a appelé dans la même journée à voter pour Manon Aubry et la liste de La France insoumise. « Être anticapitaliste, c’est vouloir en finir avec le pouvoir du patronat, assure-t-il. Pas d’accommodation, pas de cohabitation avec le patronat. C’est eux ou nous. » En clair, il souhaite opposer l’union des gauches perçue ici comme « institutionnelle » au « pôle des révolutionnaires ». « On l’a commencé dans cette campagne et on ne va pas s’arrêter », lâche-t-il avant de partir.
« Une France sans frontière ni patron »
Selma Labib, tête de la liste et conductrice de bus, prend la parole. Avec un débit rapide, elle étrille « les programmes bourgeois des politiciens traditionnels ». Et défend l’augmentation des salaires de 400 euros partout sur le Vieux continent, l’instauration d’un salaire minimum de 2 000 euros net, l’interdiction des licenciements, la régularisation de tous les sans-papiers, le droit de vote accordé à tous les étrangers et la liberté de circulation et d’installation. « L’immigration, ce n’est pas un problème ! »
En clair, elle compte porter « une France sans frontière ni patron » et oppose le « drapeau rouge des révolutionnaires » au « drapeau bleu, blanc, rouge, de la France coloniale ». Dans la salle, on crie : « Refugees welcome ! De l’air ! Ouvrez-les frontières ! » La jeune tête de liste, 28 ans, perçoit l’Union européenne comme « l’instrument du capital » ou « une union sans fin pour le dumping social ». Acclamée par une salle enthousiaste, Selma Labib glorifie les luttes sociales : « C’est toujours la lutte des travailleurs qui va dans le sens du progrès social. » Mais surtout, elle prend du recul sur cette élection : « Notre lutte se place sur un tout autre terrain. »
Même si notre pourcentage est faible, on sortira la tête haute de cette élection.
S. Labib
Une façon d’anticiper un mauvais score potentiel – les sondages ne créditent pas cette liste de plus de 1 % des voix – mais aussi d’appeler à la lutte dès le 10 juin. « Ce qui compte, c’est ce qui va se passer après les élections, prévient-elle. On veut renverser ce système capitaliste ! » Juste après avoir cité Karl Marx, elle lance : « Même si notre pourcentage est faible, on sortira la tête haute de cette élection. On continuera à être les punaises de lit du système. » Le message, pas dénué d’humour, a le mérite d’être clair.