10 raisons de ne pas avoir peur du Nouveau Front populaire

Il fait trembler les puissants, éditocrates de plateau, milliardaires, grands patrons, macronistes et fascistes : le programme de l’alliance à gauche inverse le rapport de force en faveur des plus démunis.

Vanina Delmas  et  Pierre Jacquemain  et  Pierre Jequier-Zalc  • 26 juin 2024
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10 raisons de ne pas avoir peur du Nouveau Front populaire
Manifestation à Nantes, le 22 juin 2024.
© Jerome Gilles / NurPhoto / AFP

Ni Marx ni Lénine. Plutôt Keynes. Voilà comment on pourrait résumer le programme économique du Nouveau Front populaire (NFP) : un programme classique de relance économique par la dépense publique. Autrement dit, une relance basée sur la demande. En rien une révolution anticapitaliste.

1. Le Smic à 1 600 euros

Une hausse du salaire minimum de 14 % pour le porter à 1 600 euros net apparaît, sur le papier, comme un objectif ambitieux. Toutefois, en comparaison de nos voisins européens, cette hausse ne serait pas extraordinaire. Ainsi, le 1er avril, le Royaume-Uni a augmenté de 10 % son salaire minimum, dont le montant dépasse désormais le Smic français. Même mouvement outre-Rhin, où le salaire minimum a récemment été relevé de 15 %, l’Allemagne devenant le deuxième pays de l’Union européenne avec le plus haut salaire minimum, derrière le Luxembourg. Deux pays comparables à l’Hexagone, qui sont plus connus pour leur politique libérale que pour leur supposé bolchevisme.

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Surtout, « ces hausses ailleurs en Europe ont bien montré qu’elles n’entraînaient pas de destructions massives d’emploi », assure Christine Erhel, économiste du travail au Conservatoire national des arts et métiers et directrice du Centre d’études de l’emploi et du travail. Une réalité qui va à l’encontre des arguments macronistes affirmant qu’une telle augmentation du Smic supprimerait des dizaines – voire des centaines – de milliers d’emplois. Pour rassurer le patronat, les deux ex-députés Boris Vallaud et Éric Coquerel ont même assuré que le NFP aidera les petites entreprises qui auraient des difficultés de trésorerie pour appliquer cette augmentation, notamment avec des crédits à taux nul.

2. Indexer les salaires sur l’inflation

Cette proposition s’inscrit dans le prolongement de la précédente. Pour contrer la « smicardisation » de la société, le NFP souhaite indexer les salaires sur l’inflation. L’idée est assez simple à comprendre : elle vise à permettre aux salariés de ne pas perdre de pouvoir d’achat et de ne pas voir un tassement de l’échelle des salaires au niveau du Smic, comme on l’a observé ces derniers mois avec des rémunérations ne suivant pas l’évolution du salaire minimum, qui est, lui, indexé sur l’inflation.

ZOOM : Oui, c’est possible !

Dans une tribune parue dans Le Nouvel Obs, près de 300 économistes assurent que les orientations économiques du programme du Nouveau Front populaire « répondent aux défis de notre époque ». Parmi les signataires, des grands noms reconnus internationalement pour leurs travaux comme Thomas Piketty, Gabriel Zucman, Julia Cagé ou Emmanuel Saez. Ces chercheurs soulignent que ce programme permet de « prendre le chemin d’une prospérité partagée et soutenable grâce au renforcement de la politique sociale et à l’investissement public et privé ». À l’inverse, selon ces économistes, des mesures proposées par la Macronie et l’extrême droite. Une réponse claire et sans appel aux critiques sur la crédibilité du programme du NFP.

Une nouvelle fois, cette mesure apparaît tout à fait réalisable. Comme l’explique le docteur en économie Ulysse Lojkine, elle est déjà appliquée en Belgique, avec des effets plutôt intéressants. « L’indexation intégrale pourrait apporter un complément cohérent au droit du travail en protégeant efficacement le revenu des travailleurs contre les chocs inflationnistes », conclut-il dans un article sur le sujet paru le 19 juin dans Le Grand Continent.

Le risque d’une boucle inflationniste est, selon moi, très limité.

C. Erhel

L’argument régulièrement avancé pour ne pas indexer les salaires est celui de la « boucle inflationniste ». Autrement dit, les entreprises répercuteraient la hausse des salaires sur les prix, créant donc une boucle d’inflation. Un phénomène qui ne s’est pas vérifié en Belgique au cours des derniers mois. La situation du marché du travail fait que le rapport de force reste en faveur des employeurs. Les mesures qui rééquilibrent ce rapport de force sont donc intéressantes. « Le risque d’une boucle inflationniste est, selon moi, très limité », conclut Christine Erhel.

3. Rétablir un ISF plus efficace

Cette mesure ne changera pas directement la vie de 99 % des gens. Par définition, ce nouvel impôt sur la fortune ne s’appliquera pas à eux. En revanche, par les recettes qu’il apportera aux caisses publiques, il permettra de financer les services publics et la transition écologique. Autant de chantiers qui amélioreront concrètement la vie de tous. Alors que les fortunes des 1 % les plus riches ont explosé depuis l’arrivée d’Emmanuel Macron au pouvoir, cet impôt vise à rétablir une taxe sur la fortune des ultrariches. Cependant, l’idée n’est pas de rétablir l’ISF tel qu’il existait avant l’élection du chef de l’État, mais de le rendre plus efficace en supprimant les niches fiscales qu’il abritait auparavant.

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Ainsi, les biens professionnels ne devraient plus être exonérés de ce nouvel ISF. « Il faut assumer clairement cela, explique à  Politis Thomas Piketty, économiste à l’École d’économie de Paris et spécialiste des inégalités, c’est à cause de ce type d’exonération que l’ISF a été vidé de sa substance. » À terme, le NFP espère récupérer une quinzaine de milliards d’euros par an. Une estimation plutôt basse pour Gabriel Zucman, économiste spécialiste des inégalités sociales et des paradis fiscaux, qui imagine que ce montant pourrait atteindre une trentaine de milliards d’euros par an.

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Souvent, l’argument apporté contre l’ISF est de dire que cela ferait fuir les riches dans d’autres pays et qu’ils échapperaient, de ce fait, à l’impôt. « Pour éviter cela, on pourrait se baser sur l’historique de résidence. Ainsi, même si la personne déménage mais qu’elle a fait toute sa fortune en France, en bénéficiant de ses infrastructures, elle reste imposable un certain nombre d’années. C’est réalisable techniquement », explique Thomas Piketty. Selon la Direction générale des finances publiques (DGFIP), 0,1 % à 0,2 % seulement des contribuables les plus riches ont quitté la France lorsqu’ils étaient imposés sur la fortune. Aux États-Unis, l’idée d’une telle taxe fait aussi son chemin face à la hausse des inégalités. Joe Biden, initialement opposé à cette mesure, y est désormais favorable et en a fait un argument de campagne.

4. Les 32 heures pour les métiers pénibles

Ce n’est pas la mesure la plus mise en avant au sein du programme du NFP. Pourtant, elle pourrait avoir des effets évidents pour les personnes effectuant les métiers les plus pénibles de notre société. En effet, la France figure parmi les grands pays européens où les conditions de travail sont le plus dégradées. Cela explique en partie les difficultés de recrutement dans des secteurs où les tâches demandées sont bien souvent pénibles.

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Réduire le temps de travail dans ces secteurs pourrait donc avoir un double effet : un gain d’attractivité pour ces métiers dits « en tension » et une amélioration de la santé au travail, entraînant ainsi un meilleur maintien dans l’emploi, notamment pour les seniors.

5. Abroger les réformes de l’assurance-chômage et des retraites

Ces deux mesures interviendraient, selon le calendrier programmatique du NFP, dès les premiers jours de la nouvelle législature. Elles reviennent sur les réformes les plus antisociales d’Emmanuel Macron. Si le Nouveau Front populaire propose leur abrogation, son programme ne dit pas ce qu’il instaurera pour les retraites, comme pour l’assurance-chômage. Un silence volontaire, l’idée étant de redonner une place importante à la démocratie sociale, c’est-à-dire à la négociation avec les partenaires sociaux, dont ce sont les prérogatives.

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6. Instaurer l’égalité salariale

Une étude du Conseil recherche ingénierie formation pour l’égalité femmes-hommes (Corif) publiée en 2017 affirme que, dans le cadre d’une égalité salariale stricte, le gain pour les recettes de l’État s’élèverait à 11 milliards d’euros par an environ. Autant d’argent pour les cotisations qui financent le régime général des retraites. L’égalité salariale femmes-hommes permettrait d’augmenter le salaire des femmes, mais bénéficierait aussi à l’ensemble de la société. Pour certain·es chercheurs et chercheuses, une politique volontariste sur ce point devrait être couplée avec une politique de transparence salariale. Au Danemark, une loi de 2006 oblige les entreprises de plus de 35 salariés à informer les employés des salaires moyens par genre et par profession. Une étude a montré que l’écart salarial entre hommes et femmes a diminué de 13 % par rapport à la moyenne avant l’adoption de cette législation.

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7. Assurer l’isolation complète des logements

Le secteur du bâtiment est responsable de près du quart des émissions de gaz à effet de serre de la France et de la moitié de la consommation finale d’énergie du pays (43 %). De plus, 12 millions de ménages français souffriraient de précarité énergétique, laquelle touche les 30 % de ménages les plus modestes. Les chiffres montrent que s’attaquer à l’isolation des logements avec un accompagnement social serait une politique plus globale et ambitieuse que celle menée jusqu’ici, à coups de chèques énergie et de subventions. Selon la Cour des comptes, les subventions ­MaPrimRénov’ débloquées en 2021, qui concernaient la rénovation de 700 000 logements, n’ont permis qu’à 2 500 « passoires thermiques » de perdre leur statut, au lieu des 80 000 annoncées par le gouvernement. Ainsi le NFP propose-t-il d’assurer l’isolation complète des logements en renforçant les aides pour tous les ménages et en garantissant leur prise en charge totale pour les ménages modestes.

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8. Soutenir la filière bio et l’agroécologie

Selon les spécialistes, l’agroécologie pourrait nourrir les 530 millions d’habitant·es de l’Union européenne en 2050, à quelques conditions : rééquilibrer l’alimentation des Européens avec plus de céréales, de fruits et de légumes, plus de protéagineux et moins de viande ; abandonner les intrants chimiques, diversifier les cultures et réduire la taille des élevages, redonner de la place aux prairies naturelles. Un scénario qui demande une réelle volonté politique, car il mène à une baisse de la productivité agricole dépendant des cultures.

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En France, un rapport de la Cour des comptes de 2022 pointait « une politique de soutien à l’agriculture biologique qui n’est pas à la hauteur de l’ambition affichée par les pouvoirs publics ». Selon l’Agence bio, en 2023, la consommation de produits bio représentait 5,6 % du panier des Français (6 % en 2022). Le NFP prévoit d’encourager la conversion en bio des exploitations en reprenant leur dette dans une caisse nationale et de garantir un débouché aux produits bio dans la restauration collective. Celle-ci est en effet un levier important et la loi Égalim, votée en 2018, prévoyait d’y intégrer 20 % de produits bio. En 2022, 27,5 % des achats des restaurants collectifs auraient été durables et de qualité, dont 13 % bio, selon les statistiques du ministère de l’Agriculture.

9. Création d’un nouveau statut de « déplacé climatique »

« Immigration : pourquoi la gauche française a-t-elle si peur d’en parler ? », pouvait-on lire sur le site JDD.fr, le 7 juin, dans la chronique du très souverainiste Paul Melun. Une accusation communément admise dans les médias et à droite de la classe politique. Ainsi, la gauche et les écologistes feraient l’impasse sur un sujet majeur, celui des migrations – ou pour le moins ne seraient ni audibles ni crédibles. Si l’immigration n’est pas l’un des sujets les plus revendiqués par la gauche – qui considère à juste titre que ça ne fait pas partie des priorités des Français –, c’est aussi parce qu’elle ne partage pas le constat de la « submersion migratoire », quand ce n’est pas celui du « grand remplacement » – l’essentiel des migrations se faisant du Sud vers le Sud.

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Sur le plan programmatique, la gauche a toujours été favorable à l’extension des droits liés à l’asile, à l’organisation d’un accueil digne des exilés et à la régularisation des sans-papiers. Le programme du NFP propose donc d’abroger sans délai les lois asile et immigration mises en place depuis 2017 par Emmanuel Macron, tout en promettant de renégocier le pacte européen en matière d’accueil, en faveur d’une plus grande solidarité entre États membres. Enfin, parce que le dérèglement climatique va générer des déplacements massifs de populations, la nouvelle coalition de gauche veut créer un nouveau statut de « déplacé climatique ».

10. Rétablir la police de proximité

Même constat sur les questions de sécurité : la gauche est « laxiste », « angélique ». Bref non crédible pour s’occuper de la sécurité des Français. Pire, elle voudrait même « désarmer la police », ainsi que le martèlent les détracteurs du NFP à longueur de plateaux de télé et de radio. Pourtant, rien de tel dans le programme de la gauche et des écologistes, qui entendent augmenter les effectifs en rétablissant notamment la police de proximité, mise en place par Jean-Pierre Chevènement en 1998 et supprimée par Nicolas Sarkozy en 2003 – une suppression qui a laissé de nombreux quartiers populaires à l’abandon.

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Pour prévenir les violences policières, qui conduisent à de trop nombreuses victimes, le NFP veut allonger la durée des formations des forces de l’ordre. Il propose aussi de supprimer l’inspection générale de la police nationale (IGPN) et celle de la gendarmerie nationale (IGGN), très critiquées pour leur manque d’indépendance et pour les conclusions très favorables aux forces de l’ordre qu’elles rendent face aux victimes de violences policières. Elles seraient remplacées par un nouvel organisme indépendant qui serait rattaché à la Défenseure des droits.

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