À Montreuil, le Nouveau Front populaire se lance malgré les brouilles 

À l’initiative de figures de la société civile, les gauches réunifiées ont lancé ce 17 juin leur premier meeting de campagne en tentant d’entretenir la flamme de l’unité.

Lucas Sarafian  • 18 juin 2024
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À Montreuil, le Nouveau Front populaire se lance malgré les brouilles 
Meeting de lancement de la campagne du Nouveau Front populaire pour les élections législatives, à Montreuil, le 17 juin 2024.
© Maxime Sirvins

La gauche veut enfin la jouer collectif. En début de soirée ce lundi 17 juin, place Jean Jaurès devant la mairie de Montreuil (Seine-Saint-Denis), le Nouveau Front populaire compte lancer sa campagne et, surtout, tourner définitivement la page des divisions. Car le spectre des règlements de compte à gauche est soudainement réapparu après la non-reconduction de cinq députés sortants de La France insoumise qui ont exprimé des désaccords avec la direction du mouvement mélenchoniste : Raquel Garrido, Alexis Corbière, Hendrik Davi, Danielle Simonnet et Frédéric Mathieu.

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« Les bisbilles, les divisions, les calculs politiques on s’en moque. Il faut que le Nouveau Front populaire l’emporte. Et ensuite, on verra les équilibres à l’Assemblée nationale, glisse l’économiste Julia Cagé, fervente défenseure de l’unité des gauches. Le message qu’on essaie de faire passer, c’est que la gauche et les écologistes ont une page d’histoire à écrire. » Avec des membres de la Primaire populaire – cette initiative née en 2022 pour contraindre les partis politiques de gauche à s’unir –, dont Samuel Grzybowski et Benjamin Ball, la chercheuse a donné rendez-vous à l’ensemble des composantes de la gauche française. Objectif : pousser les organisations politiques à faire bloc pour battre le péril fasciste.

« Qui se souvient aujourd’hui des immenses difficultés que rencontra le Front populaire pour construire son unité ? » Le maire PCF de Montreuil, Patrice Bessac. (Photos : Maxime Sirvins.)
La foule n’a pas hésité à braver la pluie pour venir écouter les personnalités de gauche. (Photos : Maxime Sirvins.)

Aux alentours de 19 heures, le maire communiste de Montreuil, Patrice Bessac, prend la parole sur cette scène protégée par une toile blanche et placée au milieu de la place qui jouxte la mairie. L’édile est grave : « La seule question qui vaille est à mes yeux celle-ci : accepterons-nous d’assumer nos responsabilités ? Qui se souvient aujourd’hui des immenses difficultés que rencontra le Front populaire pour construire son unité ? Qui se souvient aujourd’hui des insultes et des moqueries qu’affronta Jean Jaurès lorsqu’il formula son projet de grande union ? Qui se souvient des guerres infinies qui parcoururent la résistance ? »

L’heure n’est plus aux calculs politiciens. Soyez à la hauteur du moment et de notre mobilisation. 

S. Binet

La secrétaire générale de la CGT, Sophie Binet, lui succède : « Nous ne pouvons pas nous payer le luxe de querelles inutiles. Pour gagner il faut ramener celles et ceux qui ne croient plus en la politique depuis des années. L’heure n’est plus aux calculs politiciens. Soyez à la hauteur du moment et de notre mobilisation. » Difficile d’ignorer totalement les règlements de compte qui ont lieu au sein de La France insoumise. « La gauche n’est pas parfaite, mais il faut qu’on fasse avec la gauche qu’on a », affirme la militante féministe Caroline de Haas.

Nouveau Front populaire Montreuil 17 juin 2024
(Photos : Maxime Sirvins.)

« Ouvrir des perspectives »

Néanmoins, les tribuns qui se succéderont sortiront progressivement de ces désaccords d’appareils. L’économiste Michaël Zemmour salue le programme du Nouveau Front populaire qui « permet d’ouvrir des perspectives ». Anne-Laure Delatte, économiste elle aussi, se réjouit de l’affaiblissement des niches fiscales prévues par le contrat de législature des gauches. Murielle Guilbert, co-déléguée générale de Solidaires, souligne « l’espoir » que suscite l’alliance des gauches. Bernard Thibault, ex-secrétaire général de la CGT de 1999 à 2013, s’attelle à déconstruire le mensonge qui présente le Rassemblement national (RN) comme un débouché politique aux questions sociales : « L’extrême droite vous désignera votre voisin au motif de sa couleur de peau, de sa confession, de ses origines. Jamais le RN ne portera l’exigence d’une autre répartition des richesses dans le pays. »

L’économiste Thomas Piketty tente de répondre au procès en incompétence fait à la gauche sur les questions budgétaires et économiques. Avant que la secrétaire générale du Snes-FSU, Sophie Vénétitay, ne prenne la parole, ainsi que l’historienne de l’éducation Laurence de Cock, l’ancien ministre de l’Éducation nationale et ex-candidat socialiste à la présidentielle en 2017, Benoît Hamon, et le vice-président de l’Union syndicale lycéenne, Manes Nadel. Enfin, le cofondateur de Mediapart, Edwy Plenel, le président de SOS Racisme, Dominique Sopo, et la secrétaire générale du Syndicat de la magistrature, Nelly Bertrand, avertissent sur le danger sur l’État de droit en France si l’extrême droite est majoritaire à l’Assemblée nationale le 7 juillet, jour du second tour des législatives anticipées.

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À 20 heures, la pluie, qui avait commencé à apparaître quelques minutes plus tôt, s’accentue. Alors que les parapluies s’ouvrent et que la foule tente de se couvrir la tête avec des pulls et des vestes, c’est au tour des personnalités politiques de prendre la parole. Et les chefs à plume se la jouent plutôt collectif. Chacun est à son poste. Marine Tondelier, secrétaire nationale des Écologistes, tente de glorifier l’accord ressuscitant l’union des gauches : « Quand Emmanuel Macron a eu son idée de génie de la dissolution, il a certainement cru que la gauche n’arriverait jamais à s’organiser. Bravo ! Champion du monde ! Qui aurait pu prédire qu’en quatre jours, les chefs de partis écologistes, communistes, insoumis et socialistes se mettraient d’accord ? »

Attaques frontales contre le RN

Le RN, « des gens qui n’aiment pas la France, des gens qui n’aiment pas la République, des gens qui n’aiment pas notre pays tel qu’il est ». Ian Brossat, du PCF. (Photo : Maxime Sirvins.)

Le sénateur communiste de Paris, Ian Brossat, s’attaque frontalement au RN qui est décrit comme « l’extrême droite la plus répugnante », « une bande de fachos », « des faussaires de la question sociale » ou « des gens qui n’aiment pas la France, des gens qui n’aiment pas la République, des gens qui n’aiment pas notre pays tel qu’il est ». Quant à la cheffe de file des députés insoumis, Mathilde Panot, l’élue évoque les conséquences possibles de l’arrivée de l’extrême droite au pouvoir : « C’est une question de vie ou de mort. Pour les femmes où, en Pologne, 6 femmes sont mortes du fait de la quasi-interdiction de l’avortement. Pour les LGBTQ+ où, en Italie, on traque les personnes transgenres et les familles homoparentales. Pour nos concitoyens que l’extrême droite, avec ses amis allemands de l’AfD, veut remigrer ou à qui elle veut enlever la double nationalité. »

Imaginez des grands groupes et des hyper riches qui mettraient vraiment au pot commun !

C. Autain

L’eurodéputée insoumise nouvellement élue, Rima Hassan, prend ensuite le micro. Sa prise de parole n’était pas initialement prévue. « Ensemble, nous avons tracé le début d’un chemin. L’union ne peut pas tenir avec le poison distillé de la trahison. Pour la génération à laquelle j’appartiens et qui est intransigeante, il n’y a pas de gauche sans lutte antiraciste et décoloniale, assure calmement la juriste en lisant son texte écrit sur son téléphone. L’antiracisme a besoin de voix et de visages incarnés et non pas de porte-parole éloignés de ces réalités. Cette époque du porte-parolat est révolue. » Hassan cible clairement Alexis Corbière et Raquel Garrido, remplacés respectivement par la médecin Sabrina Ali Benali et le président du mouvement La Seine-Saint-Denis au cœur, Aly Diouara, deux candidats issus de la diversité. La mi-temps de l’unité vient subitement de prendre fin.

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Clémentine Autain, députée de Seine-Saint-Denis de Seine et frondeuse au sein du mouvement insoumis, n’entre pas sur ce terrain. Elle prend un peu de hauteur et se met à rêver d’un Nouveau Front populaire au gouvernement : « Imaginez la vie dans quelques semaines. Le Nouveau Front populaire est au pouvoir, il a écarté l’extrême droite, il fait déferler une vague de liberté, d’égalité, de fraternité. Imaginez ce gouvernement qui n’attendrait pas la sentence des agences de notation mais l’avis du peuple. Imaginez l’esprit public au pouvoir, la reconstruction des écoles, des hôpitaux, de la justice. Imaginez des grands groupes et des hyper riches qui mettraient vraiment au pot commun ! »

« Imaginez ce gouvernement qui n’attendrait pas la sentence des agences de notation mais l’avis du peuple. » Clémentine Autain, LFI. (Photo : Maxime Sirvins.)
« Dimanche, nous avions le moral dans les chaussettes. Et ce cri, ‘Front populaire’, a surgi et a rallumé la lumière dans la nuit. » François Ruffin, LFI, au micro. (Photo : Maxime Sirvins.)
(Photo : Maxime Sirvins.)

Mais François Ruffin, député de la Somme et frondeur lui aussi, met un terme à cette aspiration. « Puisque nous sommes à Montreuil et, ici, ce que vous appelez une élection est en fait une primaire de la gauche, je veux dire mon plein soutien à mon camarade et ami Alexis Corbière », commence-t-il. Dans le public, applaudissements et huées. Sur scène, Ruffin attend et ne dit pas un mot. Julia Cagé tente de calmer le jeu et lance au micro : « Union populaire ! Union populaire ! » L’économiste se rend compte qu’elle se trompe de slogan, « l’Union populaire » fait en effet partie du champ lexical exclusivement mélenchoniste. Elle se reprend : « Front populaire, c’est encore mieux ! »

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Après quelques secondes, l’élu picard enchaîne : « Dimanche, nous avions le moral dans les chaussettes. Et ce cri, ‘Front populaire’, a surgi et a rallumé la lumière dans la nuit. En sept jours, les partis se sont unis. En sept jours, nous avons gagné contre la pente du pire, de la résignation, du découragement et de la division. » Il revient sur des refrains plus unitaires : « Maintenant que nous sommes tous rassemblés, ce qu’il nous faut aussi, ce sont les artistes, les youtubeurs, les chanteurs, les humoristes, les poètes. Le Front populaire, ce doit devenir les hommes et les femmes de bonne volonté. Le cariste de chez Aldi, l’auxiliaire de vie, les soignants, les enseignants qui ne réclament que des mesures de décence et de bon sens. »

En sept jours, nous avons gagné contre la pente du pire, de la résignation, du découragement et de la division.

F. Ruffin

Plus unitaire que jamais, le premier secrétaire du Parti socialiste, Olivier Faure concède que « la gauche n’a pas toujours été à la hauteur […]. Je sais que c’est l’une des raisons pour lesquelles l’extrême droite est à ce niveau. Mais si nous sommes ensemble, c’est pour aller jusqu’à la victoire ». Au passage, il émet l’idée que des figures issues de la société civile pourraient intégrer un gouvernement hypothétique de gauche.

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« Quand il a fallu passer des 60 heures aux 40 heures, des 40 heures aux 39 heures, des 39 heures aux 35 heures… À chaque étape de l’histoire, il y a toujours eu des gens pour nous dire que ce serait la faillite. Mais nous l’avons fait, et nous avons permis aux gens de vivre mieux, c’est ce que nous avons réussi ensemble. Alors ne cédons à rien, ne cédons jamais, restons unis. Faisons front ensemble, celui de 1935, celui qui unissait la CGT, la Ligue des droits de l’Homme, le Parti communiste, la SFIO. Faisons ce serment de rester unis jusqu’à la victoire, de ne jamais nous lâcher. » Sur scène, le patron des socialistes s’enflamme à la fin de son discours. Une vingtaine d’élus de toute la gauche le rejoignent. Peut-être que les bisbilles viennent soudainement de cesser.

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Politique
Publié dans le dossier
Nouveau Front d'espoir
Temps de lecture : 12 minutes
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