Au RN, un retour au programme xénophobe et ultra-sécuritaire

Après s’être contredit à de multiples reprises sur les retraites, la TVA et le marché européen de l’énergie, Jordan Bardella recycle les marottes habituelles de l’extrême droite sur l’immigration, la sécurité et une vision conservatrice de l’école.

Lucas Sarafian  • 26 juin 2024
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Au RN, un retour au programme xénophobe et ultra-sécuritaire
Entre reculs et approximations, Jordan Bardella présente son programme pour les législatives, lundi 24 juin aux Salons Hoche, dans le 8e arrondissement de Paris
© Quentin De Groeve / Hans Lucas / AFP

Mieux vaut tard que jamais. En fin de matinée ce lundi 24 juin aux Salons Hoche, dans le 8e arrondissement de Paris, Jordan Bardella présente au nom du Rassemblement national (RN) son programme « de redressement » devant la presse, à moins d’une semaine du premier tour des législatives, le 30 juin. Une suite de réformes censée dessiner l’agenda d’un futur gouvernement si l’alliance entre le RN et Éric Ciotti remporte une majorité de députés le 7 juillet. « L’alliance que je conduis est aujourd’hui la seule alternance crédible, responsable, capable d’engager le redressement du pays, de le faire dans le respect des institutions, des libertés individuelles et, bien sûr, de l’unité de la nation », annonce d’emblée Jordan Bardella.

Se projetant à la tête d’un gouvernement « d’union nationale » qui irait « au-delà » des murs de son parti, le président du RN, en position de force dans les sondages, qui créditent son parti d’environ 35 % des intentions de vote, découpe son hypothétique action gouvernementale en deux temps : celui des urgences, de juillet jusqu’à l’automne 2024, et celui des réformes, de la fin d’année 2024 jusqu’à la présidentielle de 2027. Avec deux objectifs en tête : l’ordre « dans la rue et dans les comptes publics ».

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S’il accède à Matignon, Jordan Bardella se fixe trois chantiers prioritaires : le pouvoir d’achat, la sécurité et l’immigration. Les antiennes récurrentes du parti. L’eurodéputé entend baisser la TVA sur l’ensemble des produits énergétiques et renégocier « rapidement une dérogation » aux règles européennes de fixation de prix de l’énergie. Deux reculs. Depuis l’automne 2022, Jordan Bardella et les troupes marinistes évoquaient la suppression de la TVA sur les produits de première nécessité.

Le texte programmatique explique qu’il s’agit, entre la fin d’année 2024 et 2027, de « protéger le pouvoir d’achat en cas de forte inflation par la suspension de la TVA sur une centaine de produits de première nécessité». Concernant le marché européen de l’énergie, il ne parle plus d’en sortir mais souhaite négocier à Bruxelles une exception française. Une façon peu subtile de rassurer le patronat.

Au chapitre sécurité, peines planchers pour « casser les récidivistes », suspension des allocations familiales pour les parents de mineurs criminels ou délinquants récidivistes, « car il n’est pas acceptable que la solidarité nationale soutienne des parents démissionnaires ». Jordan Bardella veut faire face à « l’ensauvagement qui fragilise nos droits et nos libertés ».

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Sur la question de l’immigration, il souhaite la suppression de toutes les dérogations qui empêchent les expulsions d’étrangers, le remplacement de l’aide médicale d’État (AME) par une aide d’urgence vitale, le retour du délit de séjour irrégulier ou la suppression du droit du sol, car « l’acquisition automatique de la nationalité française ne se justifie plus dans un monde à 8 milliards d’individus». Au passage, il explique vouloir intégrer les dispositions censurées par le Conseil constitutionnel « sur la forme » de la loi immigration votée en janvier 2024 pour permettre, notamment, de rehausser les ressources exigées pour le regroupement familial.

Racisme, autoritarisme et libéralisme économique

Concernant les réformes qu’il compte engager à plus long terme, Jordan Bardella ne change pas vraiment d’obsessions. Il veut ouvrir des négociations avec les partenaires européens pour réserver la libre circulation de Schengen aux seuls ressortissants européens, mettre en place la priorité nationale – par référendum si possible –, réserver les aides sociales aux Français et conditionner à cinq années de travail en France l’accès aux prestations sociales non contributives comme le RSA – par référendum si possible également –, mettre en place une législation spécifique visant les idéologies islamistes, en finir avec l’excuse de minorité et instituer une présomption de légitime défense pour les forces de l’ordre.

Certains postes les plus stratégiques de l’État liés à la sécurité ou à la défense seront réservés aux citoyens français.

J. Bardella

En répondant aux questions de la presse, Bardella précise que « certains postes les plus stratégiques de l’État liés à la sécurité ou à la défense seront réservés aux citoyens français » pour se protéger d’éventuelles ingérences étrangères. Une vieille marotte lepéniste qui exclut les binationaux « contractuels ».

Côté école, le RN se montre très conservateur. Jordan Bardella plaide pour un « big bang de l’autorité» en interdisant les téléphones portables jusque dans les lycées, en recentrant les enseignements sur les savoirs fondamentaux, en remplaçant le collège unique par un collège « modulaire » et en poursuivant les expérimentations du port de l’uniforme. S’il accède à Matignon, il désire également « renouer avec le principe de la loi Ciotti de 2010 abrogée par François Hollande» prévoyant la suspension des allocations familiales et des bourses scolaires en cas de perturbations au sein des établissements.

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Sur le volet économique de son programme, le RN s’inscrit dans une logique libérale plutôt classique. ­Jordan Bardella compte s’appuyer sur les conclusions d’états généraux de la simplification qu’il compte lancer, créer un fonds souverain pour « permettre aux Français d’investir directement dans l’économie française dans le soutien aux grandes infrastructures, aux TPE, PME ou aux nouvelles technologies et à l’innovation », remplacer l’impôt sur la fortune immobilière (IFI) par un impôt sur la fortune financière.

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Il défend aussi la revalorisation des revenus du travail par une incitation forte à l’augmentation des salaires « avec un dispositif gagnant-gagnant qui offre la liberté aux entreprises d’augmenter les salaires de 10 % sans cotisations patronales pendant cinq ans et cela jusqu’à 3 fois le Smic ». Bardella annonce également un plan de rationalisation des agences publiques de l’État en réduisant les dépenses de fonctionnement et en supprimant les agences régionales de santé.

S’agissant des retraites, sur lesquelles Marine Le Pen et son parti ont adopté des positions illisibles, le président du RN tient à clarifier son point de vue. « Notre position sur la réforme des retraites a été déformée, voire caricaturée », affirme-t-il. Il veut abroger la réforme d’Emmanuel Macron et mettre en place un système progressif pour inciter les jeunes à entrer plus tôt sur le marché du travail. Seuls les Français qui ont commencé à travailler avant 20 ans et qui justifient de 40 annuités pourront partir à la retraite à 60 ans. Pour les autres, une progressivité sera mise en œuvre pour viser un âge de départ à partir de 62 ans et un nombre d’annuités allant jusqu’à 42 annuités.

Réduction de la dépense sociale par la mise en place de la priorité nationale.

En clair, la retraite à 60 ans, promise depuis longtemps par le parti et présente dans le projet de Marine Le Pen jusqu’à la présidentielle de 2022, est abandonnée. Manière de s’adapter aux positions d’Éric Ciotti, nouvel allié de l’extrême droite et assis au premier rang lors de cette conférence de presse.

Un chiffrage flou

Accusé de se contorsionner depuis le début de la campagne de ces législatives, Jordan Bardella se justifie en évoquant la situation de cohabitation et la « réalité budgétaire dégradée imputable aux mauvais choix de la majorité sortante» qui l’empêcheraient de mettre en œuvre sa politique. « Je suis le candidat de la vérité, celui qui ne promettra pas ce qu’il ne peut pas tenir », s’explique-t-il. Un peu plus tard, il dit : « Jamais on ne va chercher dans le programme d’Emmanuel Macron il y a deux ans et jamais on ne va dire à Gabriel Attal : ‘Il y a deux ans vous proposiez ça, comment vous le financez aujourd’hui ?’ À gauche, c’est pareil. »

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Et le chiffrage de ses propositions ? La réponse, ce sera pour plus tard. Jordan Bardella évoque un audit des comptes publics qui permettra d’identifier des zones d’économies possibles, la baisse de la contribution française au budget de l’Union européenne, le rehaussement de la contribution sur les rentes intramarginales et des « économies liées à la réduction de l’immigration ». Le programme parle de « réduction de la dépense sociale par la mise en place de la priorité nationale», de traquer la fraude sociale,mais ne dit rien sur la fraude fiscale, bien plus importante.

Comprendre : tout est très flou. « Mes mesures sont chiffrées et raisonnables. Et elles ont vocation à mettre fin à sept ans de déraisons budgétaires », estime Jordan Bardella. Mais peut-être est-il le seul à le croire.

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