La droite fait péter les digues

Coming out d’Éric Ciotti, crise chez « Les Républicains » éclatés façon puzzle entre RN, macronie et autonomie, appui total des médias Bolloré à l’extrême droite. Les droites montrent leurs vrais visages et s’entendent tous, même Marine Le Pen, pour faire de la gauche leur adversaire principal. Retour sur une folle semaine.

Michel Soudais  • 19 juin 2024
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La droite fait péter les digues
Le président de « Les Républicains », Éric Ciotti (au centre) présente des candidats avec le RN, ce que Céline Imart (2e à droite) a approuvé avant de se rétracter. François-Xavier Bellamy (2e à gauche) a annoncé qu’il voterait RN contre la gauche au second tour.
© Dimitar Dilkoff / AFP

« La clarification, c’est maintenant. » Il arrive qu’Emmanuel Macron parle d’or. Ce propos tenu lors de sa conférence de presse, durant laquelle il a martelé à plusieurs reprises le mot « clarification », résume bien en effet le moment politique que nous vivons. Même si le président de la République ne se l’applique guère à lui-même. Du programme qu’il entend dérouler après le 7 juillet, s’il dispose d’une majorité, son « grand oral » ne nous a pas appris grand-chose sinon qu’il avait bien l’intention de tenir compte du message adressé par les électeurs qui ont voté à près de 40 % pour l’extrême droite aux européennes. Parole tenue lors de sa visite sur l’ïle de Sein où il commémorait l’appel du 18 juin. Le président de la République y a dénoncé le « programme totalement immigrationniste » du Nouveau Front populaire. Inquiétant !

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Ciotti fait son coming out

La première clarification politique est venue d’Éric Ciotti. En proposant une alliance avec l’extrême droite, le président du parti dit « Les Républicains » a (enfin) tombé le masque et précipité la dislocation de son parti. Car si la plupart des dirigeants LR – la quasi-totalité des députés, les sénateurs à l’unanimité – l’ont désavoué avant de réunir en urgence, et par deux fois un bureau national, pour le destituer et prononcer son exclusion – finalement refusée par le tribunal judiciaire de Paris –, il n’en va pas toujours de même parmi les cadres, les militants et les électeurs de l’ancien parti de Jacques Chirac et de Nicolas Sarkozy. Pour preuve, l’ancien athlète, Guy Drut, longtemps député RPR puis ministre des Sports se dit favorable à cette alliance LR-RN dans un long entretien au Monde.

Mercredi, le JDD bollorisé (…) annonçait que « 60 à 70 candidats issus de LR » étaient déjà investis par le parti lepéniste. Le compteur s’est arrêté à 62.

Ainsi, parmi les députés sortants, bien que trois d’entre eux aient voté la motion de censure du RN sur les retraites, le 20 mars 2023 – Pierre Cordier (Ardennes, 2e), Fabien Di Filippo (Moselle, 4e) et Maxime Minot (Oise, 7e) –, seule Christelle D’Intorni, la députée de la 5e circonscription des Alpes-Maritimes au doux surnom de « Demolition girl », partira sous les couleurs lepénistes. Dans sa circonscription, comme dans celle d’Éric Ciotti, dont elle est proche, la liste LR de François-Xavier Bellamy est arrivée très loin derrière celle de Jordan Bardella, et a même été doublée par celle de Marion Maréchal, ce qui explique cela. Ils ne seront pas seuls à se rallier au parti à la flamme.

Les « amis d’Éric Ciotti »

Mercredi, le JDD bollorisé, bien introduit dans les arcanes de l’extrême droite, annonçait que « 60 à 70 candidats issus de LR » étaient déjà investis par le parti lepéniste. C’est le cas de Bartolomé Lenoir. Ce président de la fédération LR de la Creuse l’a lui-même annoncé sur le réseau social X. Collaborateur d’Éric Ciotti à qui il reste « loyal », il est issu d’une association ultra-libérale, Contribuables associés, dont les présidents successifs (Alain Dumait, Benoîte Taffin…), rappelle notre confrère Laurent de Boissieu, journaliste à La Croix, ont tous flirté avec l’extrême droite et notamment le FN de Jean-Marie Le Pen.

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Dans les Hauts-de-Seine, nous apprend Le Parisien, quatre candidats LR dans le 92 sont « soutenus » par le RN dans le cadre de l’accord Ciotti-Bardella. Dans la 2e circonscription (Asnières-Colombes sud), la 5e (Clichy-Levallois), la 6e (Neuilly-Puteaux-Courbevoie sud) et la 10e (Vanves-Issy), celle de Gabriel Attal. Dans les Yvelines (7e circ.), c’est la restauratrice et animatrice télé Babette de Rozières qui partira sous cette bannière ; conseillère régionale LR, elle n’en est pas à son premier virage politique.

Après enregistrement en préfecture, le compteur s’est arrêté sur 62 candidats. Assez pour permettre au (futur) parti ciottiste de prétendre à la première fraction du financement public des partis politiques.

Attal rétrécit l’arc républicain

Le Premier ministre a clarifié le 14 juin le positionnement politique du clan présidentiel. Là, où Emmanuel Macron s’était dérobé lors de sa conférence de presse en restant évasif, Gabriel Attal s’allie à la droite des Hauts-de-Seine, département où il est candidat : « Nous avons décidé, pour faire barrage aux extrêmes de droite comme de gauche, de créer un arc républicain dans notre département », lit-on dans un communiqué signé avec le président LR du département, Georges Siffredi, le président de la fédération LR 92, le député Philippe Juvin, le président de l’UDI, Hervé Marseille, et les responsables départementaux du MoDem et d’Horizons.

Ces accords achèvent aussi de disperser façon puzzle la droite LR, dont la ligne « ni Macron, ni Le Pen » est enfreint des deux côtés

Les signataires se sont partagé les 13 circonscriptions du département le plus riche de France et donnent la liste des candidats qu’ils s’engagent à soutenir mutuellement. Parmi eux, la porte-parole du gouvernement Prisca Thévenot (8e circonscription) et Stéphane Séjourné, le président de Renaissance, le parti de Macron, parachuté avec l’assentiment du maire LR Boulogne-Billancourt dans la 9e circonscription. De quoi conforter le sentiment que cette alliance départementale a vocation à être répliquée sous la forme d’accords locaux.

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C’est le cas dans le Val-de-Marne où le champ libre a été laissé au maire LR de L’Haÿ-les-Roses, Vincent Jeanbrun, pour tenter de battre l’insoumise Rachel Kéké. Comme d’autres bénéficiaires de tels accords – en Loire-Atlantique, Savoie, Yvelines, Nord, Haute-Saône –, il se présente sous le slogan « Ensemble pour la République », qui est aussi celui du Premier ministre.

Politiquement, la leçon est double. Ces accords, essentiellement avec une partie de la droite, mettent à mal le soi-disant « progressisme » dont Gabriel Attal, issu des rangs du PS, se réclamait encore au lendemain de l’annonce de la dissolution pour tenter d’élargir la majorité (relative) présidentielle conformément au vœu d’Emmanuel Macron de travailler à une « fédération de projet » avec des opposants « constructifs ». Ils achèvent aussi de disperser façon puzzle la droite LR, dont la ligne « ni Macron, ni Le Pen » est enfreint des deux côtés.

Les limites de l’autonomie des LR

Les « chefs à plume » du parti Les Républicains-canal historique se sont offusqués de ces entorses à la ligne autonome traditionnelle de leur parti. Ils revendiquent avoir investi 400 candidats qui peuvent se retrouver en concurrence avec des Ciottistes LR-RN ou des LR-Macronistes. Du moins au premier tour. Car au second, l’hostilité à la gauche semble déjà l’emporter sur toute autre considération.

Une chose est certaine : jamais, je ne donnerai ma voix au Front populaire.

B. Retailleau

Le 13 juin, François-Xavier Bellamy qui partage la gouvernance du parti avec Annie Genevard, depuis l’éviction d’Éric Ciotti, a ainsi déclaré au micro d’Europe 1 n’avoir « aucun problème » dans un second tour opposant l’union de la gauche au Rassemblement national : « Je fais barrage évidemment à la France insoumise et cette alliance de la gauche » qualifiée de « scandale qui menace la France ». Le président du groupe LR au Sénat, Bruno Retailleau, ne cache pas non plus préférer une victoire du RN à celle de la gauche : « Une chose est certaine : jamais, je ne donnerai ma voix au « Front populaire » », a-t-il déclaré sur X.

Les médias de Bolloré en campagne

La collaboration active entre le groupe de médias de Bolloré et l’extrême-droite en route vers le pouvoir s’affiche en pleine lumière depuis l’annonce de la dissolution. C’est d’ailleurs avec le milliardaire breton Vincent Bolloré, et au domicile de ce dernier, qu’Éric Ciotti a orchestré l’annonce de son accord avec le RN, a révélé Le Monde. Depuis, le JDD sauce Bolloré a multiplié les annonces de ralliement à cette alliance, agrémentées de visuels sur les réseaux sociaux qui ne dépareilleraient pas dans le matériel de campagne des candidats.

Visuels du JDD diffusés sur les réseaux sociaux.

Parmi ces ralliés, on compte plusieurs chroniqueurs ou habitués des plateaux de CNews, la pseudo chaîne d’information du milliardaire. Le politologue Guillaume Bigot, éditorialiste de la chaîne, sera candidat pour le RN dans la 2e circonscription du Territoire de Belfort. Parmi ses nombreuses saillies, il a présenté un jour Sandrine Rousseau sur ce média et Europe 1 comme « une sorte de Greta Thunberg ménopausée ».

Autre habitué de CNews, comme des studios de Sud-Radio, l’avocat pro-russe Pierre Gentillet, passé par « La Cocarde étudiante » et l’UMP, a été investi par Bardella dans la 3e circonscription du Cher, dans laquelle il s’est opposé à l’installation d’un centre d’accueil de migrants.

Il est évident que la lutte prioritaire est contre le bloc islamo-gauchiste.

M. Le Pen

Également familier des plateaux de cette chaîne, l’ex-magistrat Charles Prats, qui s’est fait connaître pour ses essais contestés sur les fraudes sociales, sera candidat sous la double bannière LR-RN en Haute-Savoie, là où en 2022 il candidatait sous l’étiquette UDI, après avoir été l’un des porte-parole de Valérie Pécresse.

En direct sur C8, on a pu voir Cyril Hanouna, qui invite tous les soirs dans son émission des figures de la droite radicale, jouer les entremetteurs entre Reconquête! et le RN dans une séquence où il appelle Jordan Bardella pour que Sarah Knafo lui laisse un message de demande d’union.

Alors que l’arrêt de la saison de TPMP était prévu en fin de semaine dernière pour cause de championnat d’Europe de football masculin, la direction du groupe a décidé in extremis de donner à Cyril Hanouna sur Europe 1, de 16 h à 18 h, une émission d’actualité politique le temps de la campagne officielle. Cette émission, qui a écourté la saison d’une émission de Sophie Davant, au titre éloquent – « On marche sur la tête » – n’a qu’un but : « Faire campagne pour le RN », comme l’indique une capture d’écran de messages internes diffusée sur les réseaux sociaux par l’actrice et autrice Judith Chemla.

Cet engagement médiatique n’épargne pas non plus Le Figaro. Dans une chronique prononcée mercredi à l’antenne d’Europe 1 (encore !), Alexis Brézet, directeur de ses rédactions – le big chef, donc –, a pris la défense d’Éric Ciotti, et milité, en creux, pour une alliance LR-RN, rapporte Arrêt sur images. On est à l’heure où les taupes ressurgissent. À la fin des années 1980, Alexis Brezet avait en effet commencé sa carrière comme conseiller et plume du député européen FN Jean-Marie Le Chevallier.

L’adversaire prioritaire de Marine Le Pen n’est plus Macron

Ultime clarification d’une semaine riche en rebondissements, Marine Le Pen déroge pour la première fois à son duel avec Emmanuel Macron, dans un entretien au Figaro. Invitée à désigner son « principal adversaire » entre Macron et le Nouveau Front populaire, elle déclare ne pas mettre « les deux blocs sur un pied d’égalité ». « Il est évident que l’abomination, pour le pays, c’est la Nupes 2, qui est pire que la Nupes 1, poursuit-elle. C’est l’islamo-gauchisme qui prône de manière presque assumée la disparition de l’ensemble de nos libertés. La première d’entre elles étant la liberté d’être français et d’en tirer quelques bénéfices : la liberté de posséder, la liberté de manifester, la liberté d’expression. […] Il est évident que la lutte prioritaire est contre le bloc islamo-gauchiste. »

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Les frontières ont bien bougé en une semaine. Au nom de cette « lutte prioritaire », il n’est plus inimaginable que des lepénistes éliminés au premier tour appellent à voter contre la gauche. Et donc pour des candidats macronistes ou Macron-compatibles, en convergence avec la plupart des figures de la macronie qui, à ce jour, refusent dire qu’ils feraient barrage au RN.

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