Neutralité bien ordonnée

Le quotidien « de référence » n’a pas signé l’appel « Pour un front commun contre l’extrême droite », sans doute au nom de l’objectivité. Qui peut vite se muer en lugubre plaisanterie, à y regarder de plus près.

Sébastien Fontenelle  • 25 juin 2024
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Neutralité bien ordonnée
© Guillaume Deleurence

Le 19 juin, plusieurs dizaines de médias – dont, évidemment, Politis – ont signé ensemble un appel « Pour un front commun contre l’extrême droite », rappelant que « sans presse libre » il n’y a « pas de démocratie ». Le Monde, journal dit « de référence », ne l’a quant à lui pas signé. On ne sait pas ce qui a motivé cette abstention, mais l’on suppose – et suppute (1) – que, pour ce vénérable quotidien qui aime se poser en arbitre des élégances médiatiques, il s’agissait de ne pas déroger aux sacro-saintes lois de la neutralité journalistique – cette farce dont nous verrons tout à l’heure qu’elle peut vite tourner à la sinistre plaisanterie.

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De fait, Le Monde – nul·le ne peut lui retirer cela – pousse très loin cette prétendue objectivité. Tout au long des deux dernières années, par exemple, il a renvoyé dos à dos, à longueur d’articles et de chroniques – et à l’unisson, notamment, d’Élisabeth Borne, ex-première ministre d’Emmanuel Macron –, la gauche antiraciste et l’extrême droite xénophobe, en les présentant comme « les extrêmes ». On a vu, le 9 juin, un résultat concret de ce long travail d’atténuation de la singularité de l’extrême droite xénophobe et de normalisation de sa dangerosité particulière, quand le Rassemblement national (RN) de Jordan Bardella et Marine Le Pen, cofondé en 1972 par un Waffen SS, est devenu dans les urnes, à l’issue des élections européennes, le premier parti de France.

La neutralité journalistique, lorsqu’elle consiste à tracer un signe d’égalité entre des antiracistes et des racistes, est une farce.

Depuis, Le Monde continue à cultiver sa belle neutralité : il a notamment publié, dans son édition datée des 23 et 24 juin, un éditorial qui mettait sur le même plan « l’antisémitisme » largement imaginaire de « la gauche » antiraciste et celui, bien réel, de l’extrême droite xénophobe.

Cependant, il peut arriver que cette scrupuleuse équité atteigne sa limite : c’est ce qui s’est passé samedi 22 juin, quand Le Monde a mis en ligne, sur la page d’accueil de son site, et l’un à côté de l’autre, deux articles d’actualité narrant, pour le premier, que, d’après Marine Le Pen, les immondes insultes racistes proférées quelques heures plus tôt par deux sympathisant·es de son parti devant une caméra de France 2 n’étaient « pas racistes », et traitant, pour le second, de la « divergence » de vues entre Jean-Luc Mélenchon et François Ruffin au sein de La France insoumise.

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Mais très curieusement – et c’est là que l’objectivité revendiquée du Monde a soudain volé en éclats – le premier papier était illustré d’une photo de Marine Le Pen tout sourire, et tout à fait avenante, cependant que le second l’était d’un cliché montrant un Mélenchon éructant. La neutralité journalistique, lorsqu’elle consiste par exemple à tracer un signe d’égalité entre des antiracistes et des racistes, est, comme on le disait, une farce, qui avantage évidemment les seconds : c’est quand elle offre un sourire à l’extrême droite pour mieux enlaidir ses adversaires de gauche qu’elle devient une lugubre plaisanterie.

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De bonne humeur

Sébastien Fontenelle est un garçon plein d’entrain, adepte de la nuance et du compromis. Enfin ça, c’est les jours pairs.

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