La société civile, vent debout contre le RN

À une encablure d’un scrutin décisif, nombreux sont celles et ceux qui affichent leur unité et se mobilisent contre l’extrême droite, des artistes aux sportifs, en passant par les intellectuels, les ONG ou les syndicats. Priorité : faire barrage.

Michel Soudais  et  Pierre Jacquemain  • 28 juin 2024
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La société civile, vent debout contre le RN
Rassemblement contre l'extrême droite à Paris, place de la République, le 27 juin 2024.
© Michel Soudais

Jeudi 27 juin, de nombreux rassemblements et manifestations ont eu lieu, partout en France, pour exprimer le rejet et le danger que représente l’extrême droite. À Paris, près de 30 000 personnes se sont rassemblées, place de la République, à l’initiative d’une centaine d’organisations et de médias, dont Politis.

Des syndicalistes, Sophie Binet (CGT), Murielle Guilbert (Solidaires) ainsi qu’une représentante de la CFDT et de l’Unsa, aux artistes Judith Godrèche, Alice Diop, Corinne Masiero ou encore Nadège Beausson-Diagne, en passant par Youlie Yamamoto (Attac), l’ancien joueur international de football Vikash Dhorasoo, les humoristes Guillaume Meurice, Aymeric Lompret ou Florence Mendez, des collectifs de sans-papiers, des organisations féministes, des créateurs de contenus, des militants écologistes, à l’instar de Camille Etienne ou des militants contre les violences policières – dont Michel Zecler –, tous se sont succédé sur scène devant une assemblée captive et unanime : « No pasaran ! », pouvait-on entendre tout au long de la soirée, qui s’est terminée aux alentours de minuit.

Rassemblement République RN 27 juin 2024
Rassemblement sur la place de la République, à Paris, à l’appel de plusieurs organisations et médias, dont Politis, le 27 juin 2024. (Photos : Michel Soudais.)

Appels inédits

Depuis l’annonce de la dissolution, de nombreux appels témoignent de la mobilisation de la société civile contre la possible arrivée au pouvoir du RN. Les syndicats, qui se sont encore exprimés hier soir sur la scène de la place de la République, ont été prompts à réagir en appelant à manifester le 15 juin pour faire front contre l’extrême droite. Fait rarissime, certains – la CGT, la FSU et d’autres à un niveau local ou dans leur entreprises – donnent pour consigne de voter pour le Nouveau Front populaire.

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On peine à recenser toutes les prises de position similaires en provenance de secteurs de la société très variés. En témoignent les tribunes d’ultramarins et d’asiodescendant·es que nous avons publiées.
Signe que l’heure est grave, la prise de position du bureau de la Commission nationale consultative des droits de l’homme (CNCDH) est inédite. Sortant exceptionnellement de sa réserve, il a appelé dans un communiqué, dès le 13 juin, à faire barrage aux candidats de l’extrême droite lors des deux tours des élections législatives. Le 34e rapport annuel sur la lutte contre le racisme, l’antisémitisme et la xénophobie de cette autorité administrative indépendante, publié le 27 juin, est préoccupant : il fait état d’un recul de la tolérance, d’une très forte augmentation des actes racistes et de l’antisémitisme, et pointe une trop faible mobilisation du gouvernement.

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L’avertissement d’un collectif de 170 diplomates, signataires d’une tribune dans Le Monde, est également inhabituelle s’agissant d’un corps de l’État soumis au devoir de réserve. « Une victoire de l’extrême droite », avertissent-ils très clairement, serait lue par « nos adversaires » comme « un affaiblissement français » et une invitation à l’ingérence dans la politique de l’Hexagone, à une agressivité contre l’Europe y compris militaire, à une « vassalisation économique » du continent.

Universitaires et scientifiques montent au front

L’inquiétude du monde universitaire et de la recherche a généré plusieurs appels. Le Conseil d’administration de l’Association française de science politique, inquiet pour le devenir des 400 000 étudiants étrangers accueillis chaque année, et convaincu que « l’avènement du RN ouvrirait la voie à un régime illibéral, autrement dit privatif des libertés fondamentales, dont la liberté académique », a appelé dans un communiqué le 26 juin « à se mobiliser contre le RN et à lui faire barrage dans les urnes ». Protéger la liberté et l’objectivité scientifique motive aussi la tribune d’un collectif de chercheurs, dont cinq Prix Nobel, qui appelle l’ensemble de leur communauté, ainsi que tous les citoyens et citoyennes, à faire barrage au RN. « Les positions xénophobes et nationalistes de l’extrême droite isoleraient la France de la communauté scientifique internationale », écrivent-ils.

L’extrême droite, c’est aussi « le déni des alertes scientifiques concernant l’urgence climatique et écologique » rappelé dans une tribune de 2 500 scientifiques, dont les climatologues Valérie Masson-Delmotte et Christophe Cassou, et le sociologue Didier Fassin. Ils invitent à « lutter contre l’obscurantisme et la démagogie » et dénoncent également les discours présentant le Nouveau Front populaire comme une menace pour la République.

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En appui et soutien à l’alliance des partis de gauche, 150 chercheurs, universitaires, artistes, journalistes et médecins appellent à créer un comité de vigilance et pour une alternative face à l’extrême droite. « Si nous prenons collectivement la parole, c’est pour nous donner des armes collectivement face aux menaces, aux mensonges et aux contrevérités du RN comme des anciens dirigeants de ce pays », expliquent-ils.

Fait rarissime, le très prestigieux Collège de France est sorti de sa réserve. Plus de deux cents professeurs, chercheurs et personnels de l’institution ont appelé dans une tribune à s’opposer aux candidats d’extrême droite considérant que son programme porte atteinte au monde de la recherche.

La culture en lutte

Les artistes musiciens goûtent peu le parti de Jordan Bardella et le disent de manière différente mais convergente. « Parce que le rock est né de métissages entre blues, rhythm’n’blues et country, des musiques noires et blanches, et a fait trembler l’Amérique ségrégationniste, (…) rock et RN sont radicalement incompatibles », clament les 230 artistes signataires d’un texte titré « Le Rock emmerde le RN ». Avec le RN au pouvoir, « les coups portés contre le secteur culturel seraient dévastateurs », avertit un « appel du 18 juin du monde de la musique classique » qui appelle à « faire gagner le Nouveau Front populaire » : « Nous, artistes, musiciens, chanteurs, acteurs du monde musical, relevons notre nez de nos partitions, de nos intérêts particuliers, pour nous engager clairement vers notre destin commun de travailleurs de la culture », proclame ce manifeste qui a recueilli près de 2 000 signatures.

Les actrices et acteurs du monde du livre ne sont pas en reste. Plus de 400 d’entre eux appellent à voter pour le Nouveau front populaire dans un texte qui revient longuement sur la nature et les engagements du FN/RN. « Ne pas voter pour le NFP et le programme qu’il porte revient à favoriser le Rassemblement national et l’alliance avec celui-ci promue par Emmanuel Macron », écrivent-ils.

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Menaces sur la santé et les personnes LGBTQIA +

Dans un autre secteur, ô combien vital, plus de 3 600 professionnels et usagers de la santé « expriment solennellement [leur] opposition aux partis d’extrême droite et à leurs desseins mortifères » et appellent à voter pour le Nouveau Front Populaire. Leur tribune publiée sur Mediapart rappelle que « l’accès à la santé pour tous fait partie des droits humains fondamentaux et des principes essentiels de notre pacte républicain, protecteur notamment des plus vulnérables. Toute politique xénophobe ou discriminatoire conduisant à supprimer des droits sociaux et à la santé sur des critères d’origine ou de nationalité est contraire à ces valeurs universelles ».

Des membres de Médecins sans frontières œuvrant en France refusent pareillement, dans une vidéo postée sur les réseaux sociaux, d’être instrumentalisé⸱es, et de se mettre au service d’une médecine du tri et de politiques d’exclusion.

L’exclusion c’est bien ce qui menace les personnes LGBTQIA +. Plus de 70 associations de lutte pour leurs droits s’alarment d’une possible victoire du Rassemblement national et exposent leurs craintes sur le site de pétitions Change. Elles invitent à « rejoindre massivement (…) les marches des Fiertés organisées (…) dans toute la France », notamment à Paris, le 29 juin, et à se « mobiliser les 30 juin et 7 juillet, face aux dangers des idées et du programme portés par l’extrême droite, en votant POUR les candidates et candidats qui partagent nos valeurs de liberté, d’égalité et d’inclusion dans notre pays et s’engagent à les défendre ». Car leur crainte réside aussi dans la libération de la parole homophobe et ses conséquences.

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Dans un autre appel lancé à l’initiative du collectif Les Inverti.e.s et publié par l’Humanité, 400 organisations, personnalités et militant·e·s LGBTI invitent sans détour « à faire barrage à l’extrême droite et à sanctionner le gouvernement (…) en votant pour les candidat.es du Nouveau Front Populaire ».

Jamais l’extrême droite n’a été aussi proche du pouvoir, les sondeurs laissant entendre que la majorité absolue est désormais à portée de main du Rassemblement national. Dimanche, les appels à la mobilisation seront renouvelés pour une dernière semaine de campagne décisive. Tous les regards seront tournés du côté de la majorité présidentielle sortante. À gauche, presque l’ensemble des partis de gauche ont plaidé clairement pour le désistement républicain du candidat le moins bien placé pour battre l’extrême droite au second tour.

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Reste à savoir si les candidats macronistes participeront ou non de ce barrage républicain. S’ils ne le font pas, ils porteront une responsabilité immense dans l’accession au pouvoir des amis de Marine Le Pen : une tache indélébile dans l’histoire de la Ve République.

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