Les triangulations de Macron, le « en même temps » du chaos
Tandis qu’Emmanuel Macron temporise sur la stratégie à adopter en cas de triangulaires et la question du barrage au RN au soir du premier tour des législatives, une partie de ses troupes s’émancipe.
La question agite toujours le camp présidentiel à trois jours des législatives : faut-il donner une consigne de vote en cas de triangulaire défavorable aux candidats de la majorité ? Le sujet, explosif pour les candidats et Emmanuel Macron, a fait l’objet d’une réunion en haut lieu en audioconférence le 25 juin, en présence de Gabriel Attal, des chefs des partis et des « poids lourds » du gouvernement Gérald Darmanin, Bruno Le Maire, Rachida Dati et l’ex-présidente de l’Assemblée nationale, Yaël Braun-Pivet, selon Le Parisien.
À cette occasion, le chef de l’État a refusé de donner une consigne nationale pour faire barrage au RN, repoussant toute décision au soir du premier tour, ce dimanche. Traduction : « Le président veut faire du cas par cas, en fonction des candidats de gauche et des chances de faire jouer le vote utile en notre faveur », confie à Politis un conseiller de l’exécutif. Un pari risqué qui avait viré à la « catastrophe » en 2022, lors des dernières législatives, selon notre source, qui n’hésite pas à évoquer un « bordel sans nom », face au manque de consignes claires de l’Élysée.
Pire, le camp présidentiel emploie désormais le terme de barrage pour désigner non pas la lutte contre l’extrême droite, mais contre la gauche. « Le meilleur rempart contre le Nouveau Front populaire, ce n’est pas le RN, c’est nous », a ainsi déclaré Aurore Bergé lundi sur Europe 1. Un nouveau retournement de veste alors que l’ex-UMP, puis LR, assurait qu’elle ferait « barrage, toujours, partout » depuis 2012. Une stratégie du chaos théorisée par Emmanuel Macron lui-même qu’il applique avec constance. « Pour lui, faire repasser les Français devant les urnes, c’est comme leur dire : vous avez mal voté, votez pour moi, c’est violent pour les électeurs », affirme l’un de ses interlocuteurs réguliers.
Preuve que le débat fait rage en interne, la ministre Agnès Pannier-Runacher et ses anciens collègues au gouvernement Clément Beaune et Stéphane Travers ont signé une tribune avec plusieurs personnalités de gauche dans Le Monde pour appeler à trouver un accord de désistement avant le 30 juin. Puis, une seconde tribune, toujours dans Le Monde, cette fois de ministres toujours en poste au gouvernement, appelant à lutter contre les extrêmes. Le texte, signé Nicole Belloubet, Olivier Dussopt, Sylvie Retailleau, Stanislas Guérini et toujours l’inénarrable Agnès Pannier-Runacher, fait sourire en Macronie.
Dilemme
« Ce sont les grands courageux, les mêmes qui affirmaient qu’ils allaient démissionner si la loi immigration passait avant de revenir au nid. Ils n’ont pas pour objectif de sauver la France des extrêmes mais de se sauver eux-mêmes », ironise Jean-Bernard Gaillot-Renucci, ex responsable « La droite avec Macron » au QG de 2017. D’ailleurs, la ministre candidate dans le Pas-de-Calais est finalement revenue sur ses propos, déclarant hier sur BFM qu’elle ne voterait « ni RN ni LFI ». La question est d’autant plus sensible que les dernières projections prédisent un « nombre élevé, voire record de triangulaires », comme l’explique à Politis Émeric Bréhier, directeur de l’Observatoire de la vie politique à la Fondation Jean Jaurès et ancien député PS de Seine-Et-Marne, coauteur d’une étude sur le sujet.
Un cas de figure qui se présente quand trois candidats sont parvenus à atteindre le seuil nécessaire pour se maintenir au second tour et ne se sont pas désistés, avec au minimum 12,5% des voix. « C’est prévisible, compte tenu du faible nombre de candidatures avec l’alliance des gauches dans les circonscriptions et la hausse de la participation », observe M. Bréhier. Plus d’un million de procurations ont déjà été validées, signe d’une participation en hausse, d’après le ministère de l’Intérieur. Sauf que le RN pourrait se retrouver en tête dans la plupart des circonscriptions. Un dilemme pour les candidats macronistes ?
Les positions sont partagées parmi les figures du gouvernement : Gérald Darmanin n’appellera à voter ni RN ni Nouveau Front populaire, comme Yaël Braun-Pivet dans les Yvelines, tandis que la ministre déléguée Olivia Grégoire, candidate à Paris votera blanc, « sauf si c’est un socialiste modéré ». Et ailleurs ? « Je ne peux pas vous répondre avant d’être éventuellement confronté à cette éventualité », déclare à Politis le député Renaissance du Bas-Rhin Charles Sitzenstuhl, qui se dit « superstitieux ».
On a le sentiment d’être envoyés à l’abattoir.
« On se maintient », assure au contraire son collègue Rémy Rebeyrotte, député sortant de Saône-et-Loire. « Je ne vais pas choisir pas entre la xénophobie et l’antisémitisme », s’exclame l’élu, qui pointe « le candidat repoussoir de la gauche, un insoumis », dans sa circonscription du Creusot. Les autres candidats sollicités par nos soins n’ont pas souhaité s’exprimer, y compris les plus favorables à la gauche. « C’est logique, car ce genre d’annonce peut démotiver les électeurs, sourit le politologue Émeric Bréhier. On ne peut pas dire à ses troupes de se retirer si ce n’est pas le cas partout. » Surtout après la débâcle des Européennes et le traumatisme de la dissolution.
Colère
« On a le sentiment d’être envoyés à l’abattoir », souffle un député de la majorité. Reste qu’une majorité de parlementaires sortants repartent au combat. « Il n’y a pas de débandade », fait observer un conseiller de l’exécutif, le premier surpris par la « combativité » de son propre camp. Dit autrement, « on ne veut pas passer pour des défaitistes », renchérit l’un d’eux.
Une frilosité qui met en colère le Nouveau Front populaire, dont les chefs ont d’ores et déjà annoncé qu’ils donneront pour consigne de s’opposer au RN. Une fois n’est pas coutume, la gauche s’exprime d’une seule voix, même Jean-Luc Mélenchon demandera à ses électeurs de ne pas accorder leur vote à des candidats du RN au second tour, là où les candidats de gauche ne seront plus présents, des consignes seront données dimanche soir par LFI. « En 2017 et 2022, tout le monde lui a craché dessus, Macronistes y compris, car il avait refusé de donner une consigne de vote sauf de ne pas voter Marine Le Pen, il faut croire qu’il était précurseur », s’agace l’un de ses proches.
Les Macronistes se couvrent de honte.
I. Brossat
« J’avoue ne pas comprendre votre incapacité à tenir des propos aussi clairs », déplore Marine Tondelier dans une lettre ouverte envoyé à la majorité présidentielle, en proposant à « chacun » une rencontre pour s’assurer que « le barrage sera bien mis en place dès le soir du premier tour ».
« Les Macronistes se couvrent de honte, c’est à cause d’eux que le RN est aux portes du pouvoir et ils ne prennent pas leurs responsabilités en renvoyant l’extrême-droite et la gauche dos à dos, c’est affligeant », grince le sénateur PCF Ian Brossat. Le sujet a aussi été abordé au dernier conseil national du PS, selon nos informations : « Si un candidat macroniste ou LR fait face au second tour à un RN, bien sûr qu’on se désistera », confie un participant.
Fanfaronnades
Un coup de pression « un peu gros » pour l’état-major de Renaissance : « On ne va pas appeler à voter LFI avec le candidat fiché S (Raphaël Arnault, N.D.L.R.) et le fan-club du Hamas », s’étrangle un cadre du parti. En filigrane se dessine le retour du « vote utile », cher à Emmanuel Macron : « Si on a des candidats qui arrive en troisième position mais qui ont un profil rassurant par rapport au candidat LFI et au RN, on serait con de se priver d’une possibilité de victoire. » Mais cette stratégie est-elle réaliste face à la dislocation du camp présidentiel ?
Je ne prends plus mes ordres de l’Élysée, je déciderai seul de mon destin politique, en mon âme et conscience.
Pour ajouter à la confusion ambiante, certains candidats de la majorité pourraient s’émanciper des consignes nationales. « Je ne prends plus mes ordres de l’Élysée, je déciderai seul de mon destin politique, en mon âme et conscience », affirme un député Renaissance, « atterré » par « le niveau de déconnexion à Paris ». Les fanfaronnades d’Emmanuel Macron, affirmant que ses troupes pouvaient atteindre la majorité absolue et répétant que les députés « lui doivent tout », ont semé la consternation dans son propre camp. Un autre ne répond « même plus » aux SMS du président qui demande fébrilement à ses interlocuteurs réguliers des nouvelles du pays, à l’image de certains ministres, comme Gérald Darmanin, qui reprennent leur liberté. Comme si ses anciens affidés étaient déjà passés au jour d’après.
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