« Monsieur le Président, vous avez échoué… et vous allez devoir l’assumer »
Dans cette lettre ouverte, Maryse Souchard, universitaire, présente à Emmanuel Macron son sinistre bilan qui amène l’extrême droite aux portes du pouvoir. Dans une telle hypothèse, elle le somme de ne pas démissionner et d’assumer d’être le dernier rempart institutionnel.
Vous avez échoué et vous nous entraînez dans votre échec. Vous avez échoué à construire le projet d’avenir que vous nous promettiez qui devait faire reculer l’extrême droite pour longtemps. Vous avez échoué à tenir vos promesses : « Ce vote m’oblige », disiez-vous… Vous avez échoué à gouverner au centre, alors que la France ne se gouverne pas au centre : François Mitterrand s’y était essayé. Il a juste réussi à écraser ce qui se trouvait à sa gauche. Le Parti communiste va alors dégringoler : 16 % aux législatives de 1981, 10 % en 1986 comme en 1997, à 4,8 % en 2002, 2,7 % en 2017. Pendant ce temps, l’extrême droite suivait une courbe inverse.
Vous avez peut-être été un bon banquier, Monsieur le Président, mais vous êtes un piètre politique.
Elle n’est pas rassurante votre lettre. L’incantation à la « confiance » (8 fois) ne suffit pas. Vous nous avez bien trop souvent trahi. Il faudrait des gestes forts, déterminés, inattendus de votre part. Vous dites ne pas vouloir démissionner. Mais comment vous croire ? Vous disiez aussi qu’il n’y avait pas de relations entre les élections européennes et la politique nationale… Et cette nouvelle peur que vous distillez contre la gauche qui va « répondre aux injustices de notre société par une augmentation massive des impôts pour tous, et pas seulement pour les plus riches » serait à mourir de rire si les temps n’étaient pas sinistres. Vous mettez sur le même plan l’extrême droite raciste, excluante, au programme anti-constitutionnel et une augmentation d’impôts… Décidément, vous n’avez rien compris et ceux qui vous entourent non plus. Cette lettre marque surtout à quel point votre bateau prend l’eau. Touché-coulé votre Titanic.
Vous dites avoir réfléchi plusieurs semaines avant de prendre la décision de dissoudre l’Assemblée. Ce n’est pas rassurant du tout. On aurait pu comprendre un mouvement d’humeur qui amène cette décision sans en mesurer pleinement les conséquences. Savoir que « c’est exprès » que vous allez confier le gouvernement à l’extrême droite est encore plus angoissant.
Vous avez peut-être été un bon banquier, Monsieur le Président, mais vous êtes un piètre politique. Si votre projet « sincère » était de faire barrage à l’extrême droite, vos choix stratégiques vont l’emmener au pouvoir. Vous semblez vous dire que ce n’est pas bien grave, qu’une fois l’expérience faite, les électeurs reviendront à des sentiments et des choix plus « raisonnables ». Vous avez lu ça où ? Les villes où les électeurs ont élu l’extrême droite restent à l’extrême droite à l’élection suivante.
Grâce à vos efforts, vous avez donné à l’extrême droite toute la place à droite jusqu’à vous.
Les électeurs ne sont pas des girouettes et ils ne votent pas par hasard ou par colère comme des enfants contrariés. Ils votent par adhésion aux idées. Au mieux, le racisme et la désignation des immigrés comme boucs émissaires ne les dérangent pas ; au pire, ils soutiennent ces idées.
Vous semblez aussi penser que les électeurs vont soutenir vos candidats par peur de l’extrême droite ou par peur de la gauche. Cela ne va pas du tout se passer comme ça. Ceux qui ne se retrouvent pas dans les propositions de vos opposants vont s’abstenir, ce qui sera favorable à l’extrême droite bien plus qu’à vos candidats. Vous ne pensez quand même pas sérieusement que les électeurs vont vous choisir, vont choisir vos candidats, par peur de la gauche ?
Vous avez cependant réussi une chose que vos prédécesseurs n’avaient pas vraiment tentée : faire imploser la droite de gouvernement. Grâce à vos efforts, vous avez donné à l’extrême droite toute la place à droite jusqu’à vous. On parle d’« échiquier politique », vous avez joué aux « échecs » avec notre avenir, vous nous avez mis « en échec ». Et nous mettrons des années à nous en relever.
Il va vous falloir assumer les conséquences de vos échecs et ne pas vous enfuir, comme d’autres l’ont déjà fait, devant les résultats qui s’annoncent.
D’autres, avant vous, ont eu les mêmes tentations, avec les mêmes effets : « Mon programme ne sera pas un programme de gauche », déclarait un ancien Premier ministre socialiste en ouvrant sa campagne à l’élection présidentielle de 2002… La gauche n’a pas voté (moins voté) et Jean-Marie Le Pen est arrivé au deuxième tour. Pourtant, c’est toujours à la gauche que la droite fait appel pour faire barrage à l’extrême droite. La droite ne vote pas à gauche pour faire barrage à l’extrême droite – à de très rares exceptions près, merci encore Monsieur Philippe Séguin.
Il va vous falloir assumer les conséquences de vos échecs et ne pas vous enfuir, comme d’autres l’ont déjà fait, devant les résultats qui s’annoncent. La tentation va être grande de tout laisser tomber, de claquer la porte et de vous enfuir loin de la « bêtise » de vos « con »citoyens qui ne vous auront pas suivi et que vous tenez déjà responsables des résultats du vote. Après tout, ce sera la faute des électeurs et pas la vôtre. Ils n’ont qu’à bien voter, c’est-à-dire à voter pour vos candidats. S’ils ne le font pas – et ils ne le feront pas –, ils devront en assumer les conséquences. J’ai l’impression d’entendre déjà votre discours au soir du second tour.
Il va vous falloir rester, il va vous falloir tenir, il va vous falloir trouver des conseillers moins veules.
Il va vous falloir rester, il va vous falloir tenir, il va vous falloir trouver des conseillers moins veules, moins courtisans, moins obséquieux, moins lâches. Il va vous falloir sortir du cercle des présomptueux qui vous entourent. Dans notre Ve République, le Président a de vrais pouvoirs – le Général de Gaulle n’était pas un démocrate sincère – et il va vous falloir exercer ces pouvoirs au risque de vous heurter à vos alliés d’aujourd’hui, cette droite qui n’hésitera pas à flirter avec l’extrême droite quand elle n’y sera pas franchement alliée.
Il va vous falloir plus de courage que de mauvaise humeur ou de mauvaise stratégie – mais quels sont les abrutis qui vous ont convaincu de dissoudre ? Quels sont les lâches qui n’ont pas su vous dissuader d’une telle folie ? Parce que même si nous, le peuple de gauche, nous votons encore pour faire barrage à l’extrême droite au deuxième tour des élections législatives – et dans la pure hypothèse où nous le ferions –, cette fois ce ne sera pas suffisant. Vous resterez le dernier rempart institutionnel, que cela nous plaise ou non.
Des contributions pour alimenter le débat, au sein de la gauche ou plus largement, et pour donner de l’écho à des mobilisations. Ces textes ne reflètent pas nécessairement la position de la rédaction.
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