Dans l’Essonne, l’optimisme infaillible des « vieilles du porte-à-porte »

Dans la cinquième circonscription de l’Essonne, la gauche a perdu les dernières législatives à 18 voix près. Reportage à Gif-sur-Yvette sur un porte-à-porte mené par un groupe de retraité.es, optimistes pour faire basculer la « swing circo ».

Pauline Migevant  • 21 juin 2024
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Dans l’Essonne, l’optimisme infaillible des « vieilles du porte-à-porte »
Dans leur sac à dos, quatre cent tracts qu’ils et elles mettent dans les boîtes aux lettres et donnent à celles et ceux qui leur ouvrent.
© Pauline Migevant

Docs Martens aux pieds, veste en cuir à col gris, Nadia sort du RER B à Courcelles-sur-Yvette (Essonne). Mardi 18 juin, sur les coups de 18 heures, la retraitée de 68 ans, ancienne psychologue de l’Éducation nationale, rejoint Annig, 70 ans, et Claire, 69 ans, à la sortie de la station. Ce sont « les vieilles du porte-à-porte » comme Nadia les présente. Avec elles, Alain, 73 ans, enseignant d’économie à la retraite. « Pas un expert », dit l’homme, davantage habitué des tractages et des boîtages, dont la moustache et la barbe blanchies forment un îlot autour de la bouche.

La petite voiture conduite par Claire roule cinq minutes dans la vallée de Chevreuse, dans une ambiance joviale, jusqu’à la résidence de logements sociaux de Gif-sur-Yvette. Les quatre compagnons ont prévu d’y faire du porte-à-porte, un moyen d’action privilégié des militants insoumis (LFI). « Les autres n’en ont pas besoin, explique Nadia, ils ont les radios qui font tout pour eux. » Les petits immeubles forment un U autour d’une cour avec un peu d’herbe, quelques bancs et des enfants qui se déplacent en rigolant dans un caddie d’hypermarché.

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Ces bâtiments, les trois femmes les connaissent. Elles y ont fait la campagne des européennes. Annig sonne à l’interphone du premier bâtiment. « D’habitude, on y va en fin de semaine, c’est la première fois qu’on fait ça un mardi, mais vu les délais, on n’a pas le choix. » Il faut quelques noms de famille avant qu’une femme ne décroche. « Bonjour, on vient pour les élections législatives. » Avec cette campagne impromptue, la langue d’Annig a manqué de fourcher sur le nom de l’alliance. « On vient pour le Nouveau Front populaire, vous pouvez nous ouvrir s’il vous plaît ? » La femme hésite un peu, elle a peur que ça lui retombe dessus d’ouvrir à des inconnus.

« Battre Macron et Ken »

Devant la résidence, le groupe attend à l’interphone que quelqu’un leur ouvre pour faire du porte à porte. (Toutes photos : Pauline Migevant.)

Elle ouvre malgré tout. « Dans les logements sociaux, on est mieux accueillis que dans des quartiers plus chics. L’autre jour, on s’y est fait jeter. Les gens ont peur », déplore Nadia. Dans leur sac à dos, Alain et Annig ont chacun deux cents tracts environ. Ils en mettent dans chacune des boîtes aux lettres. Au recto, le visage de Pierre Larrouturou, le candidat investi par le nouveau front populaire dans cette 5e circonscription de l’Essonne. En majuscule, on lit : « Faire face à l’extrême droite, stopper la casse sociale et vivre mieux. » Au verso, les principaux engagements de la nouvelle alliance des partis de gauche.

Dans les logements sociaux, on est mieux accueillis que dans des quartiers plus chics.

Nadia

L’origine socialiste de Pierre Larrouturou ne change rien à la motivation du petit groupe, tous proches de la France insoumise. Dimanche dernier, le candidat nouvellement investi a fait un meeting avec les militants qui se sont partagé le travail et les zones de la Vallée à couvrir.  « Il est honnête », s’accordent-ils, « c’est un vrai militant ». « Ce qu’on veut, c’est battre Macron et Ken », résume Nadia. « Ken », c’est le surnom qu’elle affuble à Jordan Bardella, dont elle refuse de prononcer le nom.

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Face à la menace que représente une possible victoire d’extrême droite, « il y a un esprit chez les militants que jusqu’ici, j’ignorais », confie Alain. Dimanche dernier, il a tracté sur le marché « sans même qu’on ne demande nos étiquettes ». Depuis la dissolution de l’Assemblée nationale par Emmanuel Macron, « les jeunes sont venus en masse. Surtout des femmes », constate Alain. « Elles se sentent plus visées et elles ont bien raison », ajoute Nadia.

« La dernière fois, ça s’est joué à 18 voix »

Entré dans l’immeuble, le groupe se divise, un binôme va en haut, l’autre au rez-de-chaussée. Annig et Nadia sont « les montagnardes » : elles montent les escaliers jusqu’au troisième étage. Une femme en peignoir ouvre. Quand ils tendent les tracts, les militants essaient de déterminer si les gens ont le temps ou non et glissent une phrase sur une mesure. « C’est pour bloquer les prix sur les produits de première nécessité » ou encore « c’est pour les écoles et les hôpitaux ». Quand les portes se referment, la discussion suit son cours. Cette année, le printemps froid et pluvieux a coûté cher. Claire s’est résolue à vivre à 17 degrés. Impossible pour Nadia, malgré la couverture, une bouillotte et 3 pulls. Elle met le chauffage à 20 °C, c’est son plus gros poste de dépense.

Nadia et Annig, « les montagnardes » montent les étages d’un immeuble qu’elles connaissent déjà. Elles y ont été pour la campagne des élections européennes.

Si les échanges sont très brefs, au moins peuvent-ils donner en main propre des tracts à quelques habitants. « On aurait convaincu 2-3 personnes sur la résidence que ça vaudrait le coup. La dernière fois, ça s’est joué à 18 voix, » dit Claire. La dernière campagne des législatives pour Cédric Villani, qui venait « de la Macronie », Nadia ne l’avait pas menée. Les autres avaient tracté « à reculons ». Il avait finalement manqué 18 voix à la Nupes pour battre le député de la majorité, faisant du territoire l’une de ces « swing circo » évoquées par François Ruffin, en référence aux « swing states » états-uniens, dont les résultats peuvent tanguer d’une élection à l’autre.

Alors que le groupe sort du premier immeuble, un homme d’une cinquantaine d’années, refuse net le tract qui lui est tendu. « Pas intéressé du tout », dit-il sans s’arrêter. « Par le Front populaire qui va améliorer votre vie ? » « Tout le monde se réveille maintenant », reprend-il. « Pas nous », lui répond Nadia. « Je n’irai voter ni pour l’un ni pour l’autre, tout le monde m’emmerde. Tout le monde ment. Je ne vote plus moi. »

Je comprends que les gens soient écœurés.

Claire

« Je comprends que les gens soient écœurés » soutient Claire, ancienne bibliothécaire et engagée à la CGT. Dans le groupe, tous ont déjà connu ce sentiment les conduisant à s’éloigner du militantisme.  « Mais on y revient toujours », explique Annig, gilet jaune et infirmière à la retraite, « car on n’accepte pas de se laisser écraser ». Alain, lui avait cessé son engagement socialiste au moment du quinquennat de François Hollande avant de rejoindre LFI. Au rez-de-chaussée, un des hommes est syndicaliste de la CFDT : « On compte sur vous, il faut gagner », leur lance-t-il. « On va gagner ! », affirme le groupe.

« Les vieux emmerdent le Front national »

Un homme ouvre à Claire et Alain. Manifestement dérangé par l’opération, il dit en regardant d’un air blasé le prospectus :  « Je suis bien au courant des 286 milliards de ce programme… Je lis la presse. » La discussion s’achève vite, il referme la porte. « Il se prend pour un riche, mais ce n’est pas à lui que ça va coûter, » déplore Claire. Les 286 milliards font référence au coût estimé par l’équipe de campagne macroniste des mesures du Nouveau Front populaire. Un chiffre largement repris par les médias alors que les recettes de ces mesures ne sont pas prises en compte et que la brièveté de la campagne ne permet pas de chiffrer précisément les différentes mesures.

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L’étage d’au-dessus, sur un paillasson défraîchi, un message : « on espère que vous avez une bonne raison de faire aboyer le chien ». « Ah ça oui, on a une bonne raison », réagit Claire d’un ton déterminé. Mais la porte reste close. Dans certains appartements, on entend du bruit sans que les portes ne s’ouvrent. Parmi celles qui le font, une ado qui ne peut pas voter, mais prend le tract pour ses parents, une femme qui veut réfléchir toute seule. Certains qui savent « déjà pour qui voter ». D’autres n’ont pas le droit de vote, car ils sont étrangers. Une femme assure : « Ne vous inquiétez pas, on a le même objectif. »

Si du bruit émane de certains appartements, beaucoup de portes restent fermées.

Il arrive que la discussion dépasse quelques minutes. Comme avec cette femme d’une quarantaine d’années, qui sort sur le palier. Avant de changer d’avis, il y a encore quelques jours, cette femme d’origine haïtienne s’était dit qu’elle pourrait bien voter pour Jordan Bardella. « Pour regarder ce qu’il a à nous offrir ». Elle ne pense pas que ça puisse être si dangereux, « on n’est pas en monarchie », explique-t-elle. « Macron avec les institutions de la Ve République, il s’est conduit comme un monarque, répond Alain. En quelques années, il peut faire beaucoup de dégâts. »

Tu ne lui as pas dit qu’on avait déjà essayé l’extrême droite il y a 85 ans ?

Nadia

Les militants ont des arguments, mais de toute façon, sa fille l’a depuis convaincue de voter pour le Nouveau Front populaire. Quand Annig relate à ses compagnons la teneur de la discussion, Nadia demande : « Tu ne lui as pas dit qu’on avait déjà essayé l’extrême droite il y a 85 ans ? » Toujours énergique, elle raconte qu’à la dernière manifestation, elle a repris le slogan de la jeunesse pour crier : « Les vieux emmerdent le Front national ».

Près de la station de RER, des affiches appelant à voter pour le nouveau front populaire.

Un homme traverse le hall du dernier bâtiment. Il a déjà reçu un tract le matin même à la gare. « Beaucoup de militants sont venus de Paris, explique Alain, car on a une circonscription qu’on peut gagner. » Aux européennes, 42 % des personnes ayant voté dans la circonscription avaient voté pour l’un des partis désormais alliés au Nouveau Front populaire. Renaissance, le parti d’Emmanuel Macron, y a obtenu 20 % des voix et le Rassemblement National (RN), 13 %, soit 18 points d’écart avec la moyenne nationale. « Pour nous, c’est plié », estime Nadia. Jusqu’aux élections, ils entendent retourner frapper aux portes « des autres petits coins de la Vallée ».

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Dans le RER du retour, Nadia pense aux JOP qui doivent suivre les élections. « Si l’autre ‘Ken’ arrive au pouvoir, ce sera vraiment comme en 1936… », dit-elle en évoquant les Olympiades qui avaient alors eu lieu à Berlin. « Mais on est optimistes », se reprend-elle. En face d’elle, Claire hoche la tête et répond en écho « on est optimistes ». Citant Gramsci, Nadia déclare : « ‘Il faut allier le pessimisme de la raison et l’optimisme de la volonté’. C’est la vie des militants ça. » « Mais cette fois, ajoute-t-elle, on est optimistes à tout point de vue ».

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