Face au RN, « sauver notre système de santé »

La CGT demande à ses antennes locales de mobiliser salariés et fonctionnaires dans les lieux de travail pour empêcher l’extrême droite d’arriver au pouvoir. Reportage à l’hôpital d’Argenteuil.

Hugo Boursier  • 26 juin 2024
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Face au RN, « sauver notre système de santé »
Karine Marquant-Houssami, préparatrice en pharmacie et détachée à 100 % pour le syndicat sur les sujets de santé et d’action sociale. "On veut faire comprendre aux gens que le RN n’est pas la bonne solution s’ils tiennent à leur hôpital ."
© Hugo Boursier

Dans sa main droite, une pile de tracts énumérant les dangers qui pèsent sur les services publics en cas de victoire du Rassemblement national. Dans sa main gauche, une carte qui permet de lever la barrière pour accéder au parking. Devant le centre hospitalier d’Argenteuil (Val-d’Oise), la Shiva du jour à la chasuble rouge CGT s’appelle Karine Marquant-Houssami. Elle est préparatrice en pharmacie et détachée à 100 % pour le syndicat sur les sujets de santé et d’action sociale. Ce vendredi 21 juin à l’aube, jour de la Fête de la musique, son cœur bat au rythme effréné des législatives qui approchent. Mais aussi des voitures passant devant elle et son camarade cheminot, Renaud.

On veut faire comprendre aux gens que le RN n’est pas la bonne solution s’ils tiennent à leur hôpital.

K. Marquant-Houssami

L’objectif est clair : « S’ils n’ouvrent pas leur fenêtre pour avoir un tract, je n’ouvre pas la barrière ! » lance-t-elle, tout sourire, devant une conductrice amusée par ce drôle de chantage. L’opération tractage est rondement menée. L’équipe cégétiste est répartie autour du site entre l’arrivée, la sortie et la crèche de cet établissement, l’un des plus importants du département. « On veut faire comprendre aux gens que le RN n’est pas la bonne solution s’ils tiennent à leur hôpital », poursuit la syndicaliste, convaincue que la préférence nationale prônée par l’extrême droite est contraire aux valeurs universelles du soin.

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Pour le faire comprendre, Karine Marquant-Houssami essaie de révéler l’imposture sociale de Jordan Bardella auprès de ses collègues. Elle veut montrer ce qui se cache derrière la « com » que développe le patron du RN, notamment lorsqu’il se pose comme le meilleur défenseur des services publics. Argenteuil appartient à la 5e circonscription du Val-d’Oise, celle représentée par l’insoumis et négociateur du NFP Paul Vannier. En 2022, il avait remporté 44 % des suffrages au premier tour. Cette circonscription devrait lui revenir le 7 juillet sans trop de difficultés. Mais l’hôpital n’est pas traversé que par des habitants de la ville. Tout le Val-d’Oise s’y croise. Et les autres circonscriptions ne sont pas toutes acquises à la gauche.

En distribuant des tracts, les syndicalistes veulent montrer ce qui se cache derrière la com du RN. (Photo : Hugo Boursier).

« Les gens votent beaucoup RN, ou alors ils ont les arguments de l’extrême droite mais finissent par dire qu’ils ne votent plus », soupire Patrick, syndicaliste à la CGT depuis 2001. Il travaille au laboratoire de biochimie. Il est rejoint par Virginie, qui travaille en hématologie. « Ce qui m’énerve le plus, c’est quand le RN se dit de gauche. Les gens qui ne sont pas très politisés se disent que ce n’est peut-être pas si mal. Mais quand tu leur expliques ce que ses députés n’ont pas voté à l’Assemblée nationale, les opinions se détendent un peu et les gens commencent à écouter », explique-t-elle.

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Emmanuel Dumoulin vient lui prêter main-forte. Il est ingénieur et délégué syndical CGT chez Dassault, à Argenteuil. « La com du RN est bien faite, mais il faut rabâcher aux gens que le parti est contre la revalorisation du Smic et contre l’alignement des salaires avec l’inflation », explique celui qui est victime de discrimination syndicale dans son entreprise. Lui préfère ne pas tracter chez Dassault, pour deux raisons. La première, c’est que « la moitié des salariés votent RN » et que cela ne servirait à rien. La seconde est qu’« avoir un tract CGT avec le visage du candidat NFP pourrait invalider son élection », note-t-il, renvoyant au code électoral.

La com du RN est bien faite, mais il faut rabâcher aux gens que le parti est contre la revalorisation du Smic.

E. Dumoulin

Une position qui se retrouve dans les documents distribués aux agents de l’hôpital : nécessité de faire barrage, mais pas d’appel à voter Nouveau Front populaire. Une position moins affirmée que celle de la direction confédérale de la CGT et de sa secrétaire générale, Sophie Binet, alors que les syndicats pourraient voir leur action limitée par l’arrivée du RN au pouvoir.

Serment d’Hippocrate

Avec ses grands yeux doux derrière la monture noire de ses lunettes, Virginie essaie, elle, de jouer de son ancienneté pour convaincre. « On m’écoute parce qu’on me voit comme la vieille du service. C’est moi la plus ancienne », ajoute-t-elle, comme s’il fallait réquisitionner tous les arguments possibles pour mobiliser autour d’elle. Virginie travaille à l’hôpital depuis 1987. « La vie des fonctionnaires ne s’arrange pas. Nos salaires n’augmentent pas. Tout semble bloqué d’un côté, et de l’autre, les prix augmentent. Donc, quand tu n’es pas politisée, tu peux vite en vouloir aux gens qui gagnent moins que toi », analyse-t-elle, évoquant un des ressorts traditionnels du RN.

Quand tu n’es pas politisée, tu peux vite en vouloir aux gens qui gagnent moins que toi .

Virginie

Elle s’inquiète de l’arrêt de certains traitements pour des patients étrangers si l’extrême droite passe. « Il y a des procédures qui coûtent 300 000 euros, comme quand on envoie des molécules pour les faire tester aux États-Unis. Est-ce qu’on va les refuser à un patient parce qu’il n’est pas français ? » interroge-t-elle, alarmée par la rupture du fameux serment d’Hippocrate. Karine ­Marquant-Houssami tend l’oreille. « Voilà, c’est pour ça qu’on a écrit ‘Ne nous laissons pas berner !’ sur notre tract, c’est qu’ici les gens peuvent entendre ce discours de rejet », explique-t-elle

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Pour elle, les attaques de l’extrême droite sur l’hôpital se concentrent sur deux aspects : une politique raciste d’exclusion des médecins et des patients étrangers, et une politique d’assèchement économique de la Sécurité sociale. « Il ne faut pas oublier que le RN est pour l’expulsion des praticiens à diplôme hors Union européenne, rappelle-t-elle, alors que la France manque de soignants ! » Depuis plusieurs semaines, ils se font entendre sur l’immense précarité administrative dans laquelle ils sont plongés. Gagnant un salaire au rabais et confrontés à un flou juridique, ces médecins étrangers « tiennent parfois à bout de bras nos services de soins », avait admis Emmanuel Macron lui-même en début d’année.

Le RN va vite se rendre compte que la France a besoin des étrangers.

Un des agents de sécurité de l’hôpital tient le même propos. Il a reçu les tracts de la CGT, « comme tout le monde, je crois, non ? » plaisante-t-il, devant deux syndicalistes positionnés à la sortie. Il reprend plus sérieusement : « Les mesures racistes annoncées par le RN, je sais qu’ils ne vont pas les appliquer s’ils arrivent au pouvoir. » Est-il prêt à courir le risque ? « Je vais regarder le débat à la télé le 25 juin. On va voir qui va bien parler », explique l’agent, qui vit à Paris. En tout cas, pour lui, « le RN va vite se rendre compte que la France a besoin des étrangers ».

Perte de confiance

Même argument du côté de la salle d’attente du bâtiment Léonard-de-Vinci. Il n’est pas encore 8 h 30, l’ambiance est calme. Chacun attend son tour. Les personnes âgées sont assises aux premiers rangs. Didier, 63 ans, est au fond de la salle. Son dossier est ficelé, tout comme son vote. « Ce sera une abstention », résume-t-il. « L’extrême droite n’est pas une solution. Se baser sur le rejet de l’autre ne mène à rien. Il faut voir la réalité en face : les étrangers prennent des boulots durs que les Français refusent », explique le jeune retraité, auparavant contrôleur de gestion dans la finance. « Et en face, Mélenchon veut attirer tout le monde vers lui », poursuit-il. Sur le social, d’un côté « il y a trop d’aides », de l’autre « les grosses entreprises font des bénéfices records et se partagent les dividendes, alors que c’est l’employé qui fait rentrer l’argent ».

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Un partage des richesses absent du discours du RN, note-t-on. « J’ai longtemps voté à gauche dans ma vie, mais je n’ai plus confiance. » Dans la salle d’attente, parmi les personnes interrogées, c’est le seul qui a précieusement gardé le tract. Certes, il est rangé derrière ses ordonnances. Mais il n’est pas plié en quatre et ne traîne pas autour des poubelles des bâtiments grisâtres. « Qu’il y ait des gens qui continuent à se battre, c’est très bien. Moi aussi je l’ai fait. Avant, je me portais volontaire pour informer les gens et pour dépouiller les votes », raconte Didier, qui assure qu’il votera à gauche en 2027 si Marine Le Pen est candidate. « Beaucoup de Français se disent que le RN pourrait mettre le bordel d’ici à 2027, mais qu’à ce moment-là Le Pen ne passera pas », promet-il.

Les gens viennent en France pour la Sécurité sociale.

Un « bordel » que d’autres, dans la salle d’attente, ne voient pas du même œil. « Argenteuil était très bien avant. Maintenant c’est la zone. Je veux voir de la propreté », balaie une dame, « sûre de [son] vote ». Ticket C019, elle est appelée à l’accueil, laissant sa place à Irène, 66 ans. « Il y a trop de laisser-aller », embraie-t-elle. Sa fille est secrétaire à la préfecture de police de Paris. « Les gens viennent en France pour la Sécurité sociale ». Avant d’ajouter que « le RN a un discours de haine » qu’elle ne « partage pas ». Comme si la banalisation de la xénophobie n’avait pas fini de contaminer ses idéaux. En 2002, son espoir de changement avec Lionel Jospin s’était envolé. Depuis, elle ne vote quasiment plus, mais estime que le RN a « 40 % de bonnes idées ». Reste au Nouveau Front populaire à assurer les 60 % restants.

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