La riposte féministe bouillonne face à l’extrême droite
Comme les partis politiques, les associations féministes font front commun contre le Rassemblement national, mettant de côté leurs divergences pour lutter contre des menaces très concrètes pour les droits des femmes.
dans l’hebdo N° 1815 Acheter ce numéro
« L’extrême droite au pouvoir signerait la fin d’une certaine conception de la démocratie, de l’État de droit et de nombreuses libertés, déjà bien rognées ces dernières années. Le 23 juin prochain, nous sonnerons les alertes féministes. » Cet appel à manifester dans toute la France le 23 juin a été lancé par plus de 150 organisations féministes, dont le Collectif national pour le droit des femmes, la Fondation des femmes, #NousToutes, le Planning familial, Osez le féminisme ! ainsi que des ONG (Oxfam, France Terre d’Asile) et des syndicats (CGT, CFDT). Une harmonie inédite mais vitale pour faire barrage à l’extrême droite.
Dès le lendemain des résultats des élections européennes et de l’annonce de la dissolution de l’Assemblée nationale par Emmanuel Macron, quelques féministes se sont appelées et ont commencé à cogiter autour d’une seule obsession : comment agir collectivement ? Le jour suivant, une réunion en ligne rassemblait 90 associations féministes pour acter ce rendez-vous du 23 juin. « Nous étions toutes prêtes à mettre nos désaccords habituels en pause car il y a urgence à organiser une vraie résistance féministe face au danger imminent », indique Sarah Durocher, présidente du Planning familial.
Nous étions toutes prêtes à mettre nos désaccords habituels en pause car il y a urgence à organiser une vraie résistance.
S. Durocher
« C’est un appel symbolique, et aussi un message adressé aux politiques venant d’associations féministes très différentes, mais qui partagent les mêmes inquiétudes. D’abord sur le danger qui pèse sur les droits des personnes dites de minorité – c’est-à-dire les femmes, les personnes racisées, handicapées, trans, LGBTI, migrantes. Puis sur leur propre survie et donc leurs capacités futures à aider les femmes dans le besoin, car l’extrême droite n’est pas habituée à travailler avec des associations et n’hésitera donc pas à couper leurs financements », détaille Zoé Royaux, porte-parole de la Fondation des femmes.
En effet, les mouvements féministes s’accordent pour alerter sur la mise en danger concrète de nombreuses associations, notamment le Planning familial. « Depuis les dernières élections législatives de 2022, qui ont vu arriver 88 parlementaires du Rassemblement national, on a vu une augmentation du nombre d’attaques de nos locaux, et des menaces récurrentes de suppression de nos financements », confirme Sarah Durocher. En février 2023, la façade des locaux en Gironde a été taguée avec une inscription en lettres rouges ciblant l’IVG, revendiquée par l’Action directe identitaire. Le mois suivant, ce fut le tour de ceux de Strasbourg et des Hautes-Alpes.
Certaines associations ont déjà été maltraitées sous le gouvernement actuel, notamment à cause du contrat d’engagement républicain imposé aux associations dans le cadre de la loi contre le séparatisme. La potentielle arrivée de l’extrême droite au pouvoir fait craindre un déferlement de décisions xénophobes, à l’instar de ce qui s’était passé en février 2022 à Chalon-sur-Saône. Le maire (LR) avait interdit au Planning familial local d’installer un stand d’information sur la voie publique, arguant que l’une des femmes sur l’affiche de l’événement était voilée. L’association avait contesté cette décision devant la justice administrative et obtenu gain de cause.
Un mouvement perpétuel de balancier
Les associations féministes sont unanimes : elles savent que les femmes et les minorités seront les premières sacrifiées sur l’autel des politiques d’extrême droite. « Ils marcheront sur deux jambes : l’instrumentalisation des droits des femmes et des minorités pour taper sur les étrangers et, en même temps, le retour d’un ordre moral et le polissage des possibilités pour rentrer dans le moule de la nation telle qu’ils l’envisagent, donc en ciblant les personnes LGBTI, les femmes musulmanes voilées » , analyse Arya Meroni, de l’Assemblée féministe Paris-banlieue.
Des craintes légitimes au regard de la ligne adoptée par les divers gouvernements d’extrême droite dans le monde. En Italie, Giorgia Meloni a pris des mesures pour inciter les femmes à procréer afin de pérenniser sa vision traditionaliste de la famille, et fragilisé l’accès à l’IVG sur tout le territoire. Un amendement récent, déposé par son parti, permet aux groupes opposés à l’IVG d’intervenir directement dans les centres de consultation. Du côté de l’Espagne, le parti Vox remet en cause continuellement les lois consacrées à l’éradication des violences fondées sur le genre, alors que le pays est avant-gardiste sur le sujet depuis une quinzaine d’années.
« Rien n’est immuable ! Il faut garder en tête les paroles de Simone de Beauvoir qui disait qu’à la moindre crise politique ou économique, les droits des femmes seront remis en question, et de Benoîte Groult sur la fragilité des droits des femmes qui ne sont jamais acquis. C’est un mouvement perpétuel de balancier. Je ne pense pas que le droit à l’IVG sera remis en cause, maintenant qu’il est inscrit dans la Constitution, mais quid du droit à la contraception, de l’égalité au travail et des salaires, de l’éducation sexuelle ? Et du traitement judiciaire des violences sexuelles si l’ordre moral devient la ligne politique ? », s’interroge Zoé Royaux, avocate et petite-nièce de Benoîte Groult.
Rien n’est immuable ! Il faut garder en tête les paroles de Simone de Beauvoir.
Z. Royaux
La dédiabolisation du RN est aussi passée par un changement de discours sur « la condition féminine en France et même dans le monde » porté par Marine Le Pen, comme il est écrit dans sa « lettre aux Françaises » publiée le 8 mars 2022. Cette semaine, Jordan Bardella apparaît dans une vidéo pour « s’adresser à toutes les femmes de France » et fustiger « l’extrême gauche [qui] cherche à s’arroger le monopole de la défense des droits des femmes ». Or il suffit de regarder quelques votes des élus RN pour constater l’écart entre les discours et les actes. Si Marine Le Pen a effectivement soutenu l’inscription de l’IVG dans la Constitution, seulement 46 député·es RN sur 88 ont voté pour lors du Congrès de Versailles, en mars 2024.
Le mois suivant au Parlement européen, les élu·es du groupe RN sont absents ou s’abstiennent lors de l’adoption de la résolution visant à inclure le droit à l’avortement dans la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, en avril dernier. En 2023, le RN s’était abstenu lors de l’adoption de la Convention d’Istanbul sur « la prévention de la lutte contre la violence à l’égard des femmes et la violence domestique », et sur la directive européenne concernant la « transparence et l’égalité des rémunérations ».
Un électorat déterminant
L’appel « Alertes féministes » mobilise pour « faire barrage à l’extrême droite les 30 juin et 7 juillet et à voter massivement pour un avenir qui permette l’émancipation et la liberté de tou·te·s. » sans donner de consigne de vote. Mais de nombreuses associations féministes se sont engagées, comme le Planning familial qui a appelé à voter pour le Nouveau Front populaire, une première après soixante-dix ans d’existence. « Nous avons souvent appelé à voter contre, mais jamais pour. Cette fois, il s’agit de voter pour le Nouveau Front populaire, qui est un projet de société, et non pour un parti », explique Sarah Durocher.
Il est primordial de réussir les manifestations pour montrer que nous sommes là, visibles et audibles.
Marie
Un appel à voter qui s’adresse aussi à toutes les femmes car entre 2019 et 2024, le RN a bondi de dix points dans l’électorat féminin, passant de 20 % à 30 %. « Je regrette que la gauche ne s’empare pas davantage du sujet, que les femmes ne soient jamais considérées comme un électorat possible, déterminant », poursuit-elle.
En Pologne, les femmes ont massivement voté lors des élections législatives en octobre 2023, participant significativement à faire émerger la coalition démocrate mettant fin au règne du parti populiste-nationaliste Droit et Justice (PiS). Une mobilisation massive qui a commencé en 2020 lorsque le Tribunal constitutionnel a décidé de l’interdiction quasi totale de l’avortement. Même réflexion du côté de #NousToutes.
« Il est primordial de réussir les manifestations pour montrer que nous sommes là, visibles et audibles, que nous prenons place dans l’espace public face à cette menace de l’extrême droite. Mais il faut aussi convaincre les abstentionnistes ainsi que celles et ceux qui doutent de leur choix de voter pour le Nouveau Front populaire, résume Marie, l’une des porte-parole du collectif, lequel a pris parti pour l’alliance de gauche après un sondage auprès de ses militantes. Nous souhaitons une alternative de gauche, féministe, antiraciste. Nous insisterons auprès de la gauche pour que les droits des femmes, des personnes LGBTI, des racisées soient portés pendant cette campagne et par la suite quand les députés seront élus. »
Même gravité et détermination à faire pression sur la gauche du côté d’Arya Meroni, qui voit en ce Nouveau Front populaire « l’occasion d’ouvrir un espace pour essayer une vraie fusion du social et du politique » et sortir des sentiers battus du militantisme : « Il faut prendre la mesure de ce que sera notre pays avec l’extrême droite au pouvoir, avec la police radicalisée, avec les médias d’extrême droite qui mènent des campagnes depuis des années contre les mouvements sociaux, contre nos mouvements qu’ils accusent d’être responsables de la ‘panique woke’. L’extrême droite au pouvoir, ce ne sera pas juste du Macron en plus autoritaire, ce sera la transformation de l’État en État fasciste ! »
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