Ni défection, ni hésitation

Quel Premier ministre en cas de victoire du Nouveau Front populaire ? Sur ce point, la figure omniprésente de Mélenchon ne cesse d’agiter la coalition de gauche. L’urgence est ailleurs : dans l’isoloir, le 30 juin, l’alliance de gauche doit ne faire qu’une.

Denis Sieffert  • 26 juin 2024
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Ni défection, ni hésitation
Sur un mur du 18e arrondissement, à Paris.
© Guillaume Deleurence

Pas sûr que la question obsède les Français. Elle passionne en tout cas les journalistes. Et pour cause ! Elle est de nature à semer la zizanie à gauche. Car il n’y a guère qu’à gauche que l’incertitude demeure sur le nom du Premier ministre. À l’extrême droite, Jordan Bardella claque déjà des talons devant la porte de Matignon. Et Gabriel Attal pourrait prolonger son bail en cas de victoire très improbable de Renaissance. Quant à l’hypothèse LR, elle relève de la fiction la plus farfelue. Que la question se pose à la gauche est donc plutôt bon signe. C’est la preuve que plus personne n’ose exclure un succès du Nouveau Front populaire. Mais la question n’en reste pas moins embarrassante. Le problème s’appelle Mélenchon. Il ne cesse de faire acte de candidature tout en jouant de l’esquive : « Je ne m’impose pas, mais je ne m’élimine pas » ; « J’ai l’intention de gouverner ce pays » (France 5, le 22 juin) ; « Je ne suis candidat à rien » (France 2, le 24 juin).

Revoilà Mélenchon devenu le chat noir de la gauche, omniprésent dans les médias, où il est un « bon client » en même temps qu’une cible idéale.

Mais le fondateur de LFI ne brille pas dans les sondages, dans lesquels il est maintenant devancé par François Ruffin. Il fait plus peur, nous dit-on, que Marine Le Pen. Et il n’est pas tenu en grande estime (litote) par ses partenaires. L’insoumis en chef paye la brutalité des rapports qu’il a institués au cours des dernières années. Pourtant, il reste à Mélenchon quelques arguments. Son talent d’abord. Il peut toujours briller dans un débat. Son passé ensuite. Le Front de gauche, en 2009, c’est lui. LFI, en 2016, c’est lui. La Nupes, qui a redonné vie à une représentation parlementaire de la gauche, en 2022, c’est lui. Et, surtout, son score à la dernière présidentielle, qui aurait dû faire de lui un leader incontesté. Hélas, Mélenchon se plaît à donner des coups de pied dans les châteaux de sable qu’il construit. L’élimination de la direction de LFI, en décembre 2022, de Ruffin, Autain et Corbière reste incompréhensible. Si ce n’est l’urgente nécessité d’écarter ceux qui risquent de lui faire de l’ombre.

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Il a fortement aggravé son cas, en début de la présente campagne, en retirant leur investiture à des députés sortants irréprochables, au risque de faire perdre des sièges à la gauche. Son rapport distendu à la démocratie fait peur. Le voilà devenu le chat noir de la gauche. Mais un chat noir omniprésent dans les médias, où il est un « bon client » en même temps qu’une cible idéale. Pas étonnant que Bardella et Attal se soient accordés (en vain) pour demander la présence de Mélenchon au débat des « premiers ministres », le 25 juin sur TF1. C’était la promesse de poursuivre leur offensive sur le thème de l’antisémitisme. C’est aussi, accessoirement, l’aveu de la complicité de l’extrême droite et de la Macronie. Tous contre la gauche !

Dans l’isoloir, le 30 juin, le Nouveau Front populaire doit ne faire qu’un.

Chez ses partenaires, on a fini par parler cash : « Jean-Luc Mélenchon ne sera pas Premier ministre, et le candidat de gauche sera choisi par “consensus” des quatre principaux partis qui forment le Nouveau Front populaire, dont l’insoumis n’est pas le leader », a déclaré sans ambages l’écologiste Marine Tondelier, porte-parole officieuse de la coalition. « Ce sont des jaloux », a répliqué Mélenchon le soir même. Un peu court ! Mais « consensus » n’est pas son mot préféré. On s’interroge sur sa stratégie. Car le bougre en a toujours une en réserve. Pense-t-il qu’une « chambre ingouvernable » poussera Macron à la démission avant la fin de l’année ? Ou, plus scabreux encore, qu’une victoire du RN ouvrira une séquence révolutionnaire ?

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« Un changement en prépare un autre », disait Machiavel, que l’insoumis aime bien. Mais il n’est pas le seul à commettre des incartades. Raphaël Glucksmann a lui aussi tenté le passage en force en sortant de sa boîte à malice le nom de Laurent Berger. L’ennui, c’est que l’ancien secrétaire général de la CFDT ne veut pas en entendre parler. Quant à Hollande, qui conseille à Mélenchon de se taire, on aurait aimé qu’il commence par se faire oublier lui-même. Du coup, une crainte nous saisit. Il ne faudrait pas que ces fissures à gauche fassent perdre de vue l’essentiel aux électeurs. L’enjeu historique de ces législatives ne tolère aucune défection, ni aucune hésitation. Mais Que ceux qui hésitent parce qu’ils ont dans leur circonscription un candidat qui ne leur plaît pas surmontent leurs réticences. Le programme du RN, xénophobe et lourd de toutes les violences sociales, fait froid dans le dos. La politique du pire n’est pas notre option. L’heure est à la mobilisation. Le Premier ministre de gauche attendra.

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