Immigration : devancé par Trump dans les sondages, Biden courtise la droite
Les mesures prises par le président étasunien pour limiter les demandes d’asile copient la stratégie juridique qu’avait employé Donald Trump à la Maison-Blanche. Ou comment convaincre l’électorat critique de sa politique migratoire, au risque de se mettre à dos l’aile gauche démocrate.
Revirement sur l’immigration. Joe Biden a signé, ce mardi 4 juin, un ordre exécutif pour bloquer les demandes d’asiles. « La simple vérité est qu’il y a une crise mondiale des migrants, a-t-il déclaré, et si les États-Unis ne sécurisent pas leur frontière, il n’y aura aucune limite au nombre de personnes qui pourraient essayer de venir. » Désormais, lorsque le nombre de passages illégaux à la frontière dépasseront 2 500 par jour en moyenne sur une semaine – un chiffre fréquent – les demandes d’asiles seront bloquées. La mesure est entrée en application ce mercredi 5 juin, et sera levée si les autorités estiment que le nombre de passages illégaux à la frontière descend en dessous de 1 500 par jour.
Le système américain, pour le droit d’asile, permettait aux migrants de démarrer leurs démarches administratives aux États-Unis et d’y attendre une réponse. Mais l’administration est saturée, et le traitement des demandes peut prendre des années. Avec la nouvelle mesure, le processus se complexifie, et la plupart des migrants entrés illégalement dans le pays seront détenus avant d’être reconduits dans leurs pays ou à la frontière mexicaine. Quelques exceptions sont prévues, mais l’annonce marque un revirement majeur de la part du président démocrate. Lors de sa campagne de 2020, il avait fustigé la politique anti-immigration de Donald Trump et la construction de son « mur » à la frontière avec le Mexique.
L’ordre exécutif de Joe Biden s’appuie sur la section 212(f) de l’« Immigration and Nationality Act ». Cette loi autorise le président à suspendre l’entrée d’étrangers s’il estime que leur présence pourrait être « néfaste pour les intérêts des États-Unis ». Ces termes font débat chez les juristes. Cette même section avait servi de base juridique à Donald Trump pour réduire le nombre de visas délivrés aux ressortissants de pays majoritairement musulmans, surnommé le « Muslim ban » [« Interdiction des musulmans »].
Image de fermeté
Mais à cinq mois d’une élection présidentielle serrée, alors que la majorité des sondages le donnent désormais devancé par Donald Trump, Joe Biden cherche à se donner une image plus ferme. L’immigration est devenue une des priorités des électeurs, avec la sécurité et l’économie. En janvier, 70 % des électeurs républicains ou « avec un penchant républicain » ont qualifié la situation à la frontière de « crise ». Et si seulement 22 % des démocrates ou « avec un penchant démocrate » les rejoignent dans l’appréciation, selon une étude de l’institut de recherche Pew Research Center en février, la question reste cependant un « problème majeur » pour 44 % des électeurs démocrates.
L’immigration est un des sujets principaux des Démocrates. Les Républicains sont perçus comme plus compétents pour le gérer.
B. Tamas
« L’immigration est un des sujets principaux des Démocrates. Les Républicains sont perçus comme plus compétents pour le gérer. La campagne de Joe Biden cherche à leur retirer ce monopole », explique Bernard Tamas, professeur de sciences politiques à la Valdosta State University dans l’État de Géorgie. L’annonce n’a pas pour autant convaincu les Républicains. « L’ordre exécutif du président Biden n’est rien d’autre qu’une manœuvre politique désespérée pour tenter de stabiliser sa cote en chute libre dans des sondages », a critiqué le chef Républicain de la chambre des représentants, Mike Johnson, dans un communiqué cosigné avec d’autres élus de son parti.
Le revirement de Joe Biden est cependant en préparation depuis plusieurs mois. En février et en mai, son administration avait déjà tenté de faire passer au Congrès une loi de teneur similaire à celle de l’ordre exécutif. Mais la proposition de loi, qui prévoyait des milliards de dollars pour financer le contrôle aux frontières, avait été rejetée par les Républicains, mis sous pression par Donald Trump. La critique de la politique migratoire de Joe Biden est un des arguments principaux de la campagne du milliardaire. Et ce n’est pas le seul. « La campagne de Robert F. Kennedy [le neveu de John Kennedy et candidat indépendant qui arrive troisième dans les sondages, N.D.L.R] adopte une ligne dure sur l’immigration. C’est presque la même que celle des Républicains. Biden pourrait être vu comme le plus à gauche entre Kennedy et Trump », poursuit Bernard Tamas.
« Ça envoie le message qu’ils se fichent des migrants »
Et cette politique ne fait bien sûr pas l’unanimité chez les Démocrates. « Je suis inquiet des conséquences […] pour les personnes vulnérables qui viennent aux États-Unis pour leur sécurité et pour une protection. Nous devons garantir un accès permanent au droit d’asile », regrette dans un communiqué, Bennie G. Thompson, député démocrate de l’État du Mississippi. Cette mesure risque d’éloigner l’aile gauche du parti démocrate, déjà divisée sur la question du soutien affiché par Joe Biden au gouvernement israélien dans sa guerre contre le Hamas.
« Ça envoie le message qu’ils se fichent des migrants, et qu’ils essaient de se débarrasser de nous », regrette Jorge Granados, président des Jeunes Démocrates du comté de Gwinnett en Géorgie. Sa mère est arrivée du Mexique, il y a une trentaine d’années. « Traverser la frontière va devenir encore plus dangereux, en particulier pour les femmes et les enfants, et avec les coyotes » [nom donné aux passeurs à la frontière mexicaine, N.D.L.R.], continue-t-il. L’organisation pour les droits humains, l’American Civil Liberties Union, a annoncé qu’elle allait contester cet ordre exécutif en justice : « Il était illégal quand Trump l’a fait, et il n’est pas moins illégal maintenant », a justifié l’association dans un communiqué.