Maryse Condé, une invitation au voyage

Décédée début avril, l’autrice, engagée dans le mouvement indépendantiste guadeloupéen, laisse une œuvre aussi riche qu’importante. Cette « conteuse » aura su narrer la grande histoire de la diaspora noire africaine.

Maboula Soumahoro  • 5 juin 2024
Partager :
Maryse Condé, une invitation au voyage
Maryse Condé, à Gordes, le 7 octobre 2021, alors nominée pour le prix Nobel de littérature 2021.
© CLEMENT MAHOUDEAU / AFP

C’est à l’âge de 90 ans que l’écrivaine Maryse Condé s’est éteinte dans le sud de la France, le 2 avril. Celle qui a choisi de quitter ce monde drapée des couleurs indépendantistes de la Guadeloupe est à présent enterrée dans un cimetière parisien, en terre hexagonale, loin de son pays natal et bien-aimé : la Guadeloupe. Ce que l’on peut retenir d’une telle vie et d’une telle œuvre ? Sans doute trop, sans doute pas assez.

La couverture médiatique de la disparition de la grande écrivaine a été impressionnante, tout comme l’hommage national rendu par le président de la République en personne, accompagné de plusieurs ministres régaliens. Cela ne peut qu’étonner au vu du relatif anonymat dans lequel a évolué Maryse Condé au sein du monde des lettres national. Car il est important de rappeler que l’autrice d’une œuvre aussi riche et importante, faite d’une thèse de doctorat, d’articles universitaires, de romans, de pièces de théâtre, d’émissions de radio, de littérature jeunesse, a principalement mené sa prestigieuse carrière universitaire outre-Atlantique.

Sur le même sujet : « Il faut défataliser l’histoire de l’empire colonial »

Cet état de fait n’est pas sans rappeler d’autres grandes figures, telles que Léon-Gontran Damas et Édouard Glissant. Le premier a longtemps dispensé ses enseignements au sein de l’université noire d’Howard, le second a enseigné jusqu’à sa retraite au Graduate Center of the City University of New York. Comment expliquer un tel fossé dans le degré de reconnaissance nationale pour des hommes et des femmes de lettres, tous issus de territoires extra-hexagonaux (la Guyane et la Martinique), qui ont tant brillé ailleurs ? Il y a eu cet hommage national, il est vrai. Mais ce dernier ne saurait passer sous silence ni effacer l’engagement solide et pérenne de Maryse Condé dans le mouvement indépendantiste guadeloupéen.

La littérature comme arme de réparation massive

La grande histoire de l’éclatement, de la dispersion, de l’éparpillement et de toutes les disséminations.

Maryse Condé se décrivait elle-même comme « une conteuse » ne sachant « que raconter des histoires ». À cela, peut-être faut-il ajouter sa capacité, de même que sa détermination, à raconter la grande histoire. La grande histoire de la diaspora noire africaine, née à l’ère moderne occidentale, dans le contexte de la traite transatlantique des esclaves et de l’esclavage colonial. La grande histoire de l’éclatement, de la dispersion, de l’éparpillement et de toutes les disséminations, circulations et pérégrinations des populations d’ascendance africaine. Tout cela narré dans un souffle effréné, sous forme de petites histoires de femmes et d’hommes, souvent lancés dans la recherche d’amour, de vengeance, de sens, de vérité, de bien-être.

Sur le même sujet : L’esclavage, un deuil éternel en héritage

La littérature employée par l’autrice comme arme de réparation massive : récupérer l’humanité et la dignité dont ont été déchus ceux et celles qui, depuis le départ de l’Afrique, le continent originel et de tous les fantasmes, sont devenus les Noirs du monde et ont été traités comme tels. C’est par la littérature, cette arme miraculeuse, que la réparation devient d’abord envisageable puis possible. La littérature, en effet, par la complexité qu’elle permet, restaure une humanité pleine et entière aux personnages créés, voire cannibalisés.

Maryse Condé, une invitation au voyage, donc. La Guadeloupe au cœur. En toute logique finalement, puisque « Gwada sé an ti mervèy ». Qu’elle soit lue en paix.

Recevez Politis chez vous chaque semaine !
Abonnez-vous
Soutenez Politis, faites un don.

Chaque jour, Politis donne une voix à celles et ceux qui ne l’ont pas, pour favoriser des prises de conscience politiques et le débat d’idées, par ses enquêtes, reportages et analyses. Parce que chez Politis, on pense que l’émancipation de chacun·e et la vitalité de notre démocratie dépendent (aussi) d’une information libre et indépendante.

Faire Un Don

Pour aller plus loin…

Médecine alternative : l’ombre sectaire
Idées 16 avril 2025 abonné·es

Médecine alternative : l’ombre sectaire

Un rapport de la Miviludes met en lumière un phénomène inquiétant. Depuis la pandémie de covid-19, l’attrait pour les soins non conventionnels s’est accru, au risque de dérives dangereuses, voire mortelles.
Par Juliette Heinzlef
Didier Lestrade : « On assiste à des retours en arrière effroyables »
Entretien 16 avril 2025 abonné·es

Didier Lestrade : « On assiste à des retours en arrière effroyables »

Le fondateur d’Act Up-Paris puis du mensuel Têtu publie aujourd’hui ses « mémoires ». Un retour passionnant sur une vie faite d’amours au masculin, de combats militants contre le VIH et les discriminations, de journalisme et de critique musicale.
Par Olivier Doubre
Julie Couturier : « Attaquer l’État de droit, c’est attaquer la démocratie »
Justice 9 avril 2025 abonné·es

Julie Couturier : « Attaquer l’État de droit, c’est attaquer la démocratie »

Depuis la condamnation de Marine Le Pen, le Rassemblement national et sa cheffe de file crient à une décision « politique », opposant l’institution judiciaire à une supposée « souveraineté populaire ». Repris jusqu’au sein du gouvernement, ces discours inquiètent la présidente du Conseil national des barreaux.
Par Pierre Jequier-Zalc
Contre le fascisme, un printemps des peuples ?
Manifeste 9 avril 2025 abonné·es

Contre le fascisme, un printemps des peuples ?

Loin de marquer la fin de l’histoire, notre millénaire tremble des révoltes qui éclatent partout dans le monde. Un manifeste collectif, fruit de discussions transcontinentales, tente d’en tirer des leçons pour un avenir révolutionnaire.
Par François Rulier