Maryse Condé, une invitation au voyage
Décédée début avril, l’autrice, engagée dans le mouvement indépendantiste guadeloupéen, laisse une œuvre aussi riche qu’importante. Cette « conteuse » aura su narrer la grande histoire de la diaspora noire africaine.
dans l’hebdo N° 1813 Acheter ce numéro
C’est à l’âge de 90 ans que l’écrivaine Maryse Condé s’est éteinte dans le sud de la France, le 2 avril. Celle qui a choisi de quitter ce monde drapée des couleurs indépendantistes de la Guadeloupe est à présent enterrée dans un cimetière parisien, en terre hexagonale, loin de son pays natal et bien-aimé : la Guadeloupe. Ce que l’on peut retenir d’une telle vie et d’une telle œuvre ? Sans doute trop, sans doute pas assez.
La couverture médiatique de la disparition de la grande écrivaine a été impressionnante, tout comme l’hommage national rendu par le président de la République en personne, accompagné de plusieurs ministres régaliens. Cela ne peut qu’étonner au vu du relatif anonymat dans lequel a évolué Maryse Condé au sein du monde des lettres national. Car il est important de rappeler que l’autrice d’une œuvre aussi riche et importante, faite d’une thèse de doctorat, d’articles universitaires, de romans, de pièces de théâtre, d’émissions de radio, de littérature jeunesse, a principalement mené sa prestigieuse carrière universitaire outre-Atlantique.
Cet état de fait n’est pas sans rappeler d’autres grandes figures, telles que Léon-Gontran Damas et Édouard Glissant. Le premier a longtemps dispensé ses enseignements au sein de l’université noire d’Howard, le second a enseigné jusqu’à sa retraite au Graduate Center of the City University of New York. Comment expliquer un tel fossé dans le degré de reconnaissance nationale pour des hommes et des femmes de lettres, tous issus de territoires extra-hexagonaux (la Guyane et la Martinique), qui ont tant brillé ailleurs ? Il y a eu cet hommage national, il est vrai. Mais ce dernier ne saurait passer sous silence ni effacer l’engagement solide et pérenne de Maryse Condé dans le mouvement indépendantiste guadeloupéen.
La littérature comme arme de réparation massive
La grande histoire de l’éclatement, de la dispersion, de l’éparpillement et de toutes les disséminations.
Maryse Condé se décrivait elle-même comme « une conteuse » ne sachant « que raconter des histoires ». À cela, peut-être faut-il ajouter sa capacité, de même que sa détermination, à raconter la grande histoire. La grande histoire de la diaspora noire africaine, née à l’ère moderne occidentale, dans le contexte de la traite transatlantique des esclaves et de l’esclavage colonial. La grande histoire de l’éclatement, de la dispersion, de l’éparpillement et de toutes les disséminations, circulations et pérégrinations des populations d’ascendance africaine. Tout cela narré dans un souffle effréné, sous forme de petites histoires de femmes et d’hommes, souvent lancés dans la recherche d’amour, de vengeance, de sens, de vérité, de bien-être.
La littérature employée par l’autrice comme arme de réparation massive : récupérer l’humanité et la dignité dont ont été déchus ceux et celles qui, depuis le départ de l’Afrique, le continent originel et de tous les fantasmes, sont devenus les Noirs du monde et ont été traités comme tels. C’est par la littérature, cette arme miraculeuse, que la réparation devient d’abord envisageable puis possible. La littérature, en effet, par la complexité qu’elle permet, restaure une humanité pleine et entière aux personnages créés, voire cannibalisés.
Maryse Condé, une invitation au voyage, donc. La Guadeloupe au cœur. En toute logique finalement, puisque « Gwada sé an ti mervèy ». Qu’elle soit lue en paix.
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