« Le RN n’a rien compris aux leviers de la lutte contre le dérèglement climatique »

Jean-François Julliard, directeur général de Greenpeace France revient sur la menace que représente l’extrême droite climatosceptique pour la transition écologique et sociale, et sur le rôle décisif de la société civile auprès du Nouveau Front populaire.

 

Vanina Delmas  • 17 juin 2024
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« Le RN n’a rien compris aux leviers de la lutte contre le dérèglement climatique »
Jean-François Julliard devant la mairie de Thionville, le 27 février 2018 au jour de l'ouverture du procès de huit militants et deux responsables de Greenpeace France pour une action menée à l'intérieur du site de la centrale nucléaire de Cattenom, en octobre 2017.
© JEAN-CHRISTOPHE VERHAEGEN / AFP

« Jordan Bardella, Premier ministre, c’est le scénario du pire, la promesse d’un réchauffement climatique accéléré », a clamé Jean-François Julliard, directeur général de Greenpeace France lors de la conférence de presse du Nouveau Front populaire, le 14 juin. Pour Politis, il revient en détail sur la menace que représente l’extrême droite climatosceptique pour la transition écologique et sociale de la France, et explique le rôle décisif de la société civile auprès de la nouvelle coalition de gauche.

Quelle a été la réaction première de Greenpeace à l’annonce des résultats des élections européennes, puis de la dissolution de l’Assemblée nationale ?

Jean-François Julliard : Nous avons d’abord été très inquiets des résultats des élections au niveau français et au niveau européen car nous avons rapidement compris que nous n’aurions pas un Parlement européen solide, ambitieux face aux enjeux climatiques et environnementaux. Mais cela n’a pas été une surprise. En revanche, nous ne nous attendions pas à l’annonce de la dissolution. Nous avons été stupéfaits, et très en colère. Nous nous sommes aussitôt dit que l’échelle de temps nous séparant de l’éventualité de l’extrême droite au pouvoir passait de trois ans à trois semaines. Depuis quelques mois, nous discutons avec quelques associations (Amnesty International, la Cimade, la Fondation Abbé Pierre, la Ligue des droits de l’homme, etc.) autour d’idées de partage qui nous rassemblent, de préoccupation du monde et sur la manière dont on peut agir collectivement pour faire en sorte que l’extrême droite n’arrive pas au pouvoir en France. Nous avons donc déjà établi des liens entre toutes ces associations.

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Quels risques fait courir la potentielle arrivée de l’extrême droite au pouvoir aux associations environnementales et aux politiques écologiques ?

Il y a deux catégories de risques. D’abord, sur les sujets environnementaux car quand on regarde les engagements et les promesses de campagne du temps passé de l’extrême droite, rien ne va : que ce soit au niveau de la végétalisation de l’alimentation, de la sobriété énergétique ou des décisions sur les infrastructures autoroutières. Ils prônent une France avec plus de pesticides, moins d’énergies renouvelables incarnée notamment par cette déclaration totalement ubuesque de Marine Le Pen disant qu’ils démantèleront les mâts d’éoliennes déjà existants. C’est une évidence : le Rassemblement national n’a rien compris aux leviers qui permettent de lutter efficacement contre le dérèglement climatique.

Comment exister en tant qu’association de contre-pouvoir, radicale, avec une indépendance d’action sous un gouvernement RN ?

Ensuite, on pressent également un risque pour notre existence même en tant qu’organisation de la société civile, comme lanceur d’alerte. Greenpeace pourrait concrètement être entravé dans sa capacité d’action, dans sa liberté de parole. Depuis deux ou trois ans, des députés d’extrême droite essaient de faire passer un amendement dans le projet de loi de finances visant à supprimer la capacité d’émettre un reçu fiscal aux donateurs d’une association dont les adhérents ont été condamnés pour des actions désobéissance civile. Greenpeace pratique effectivement la désobéissance civile, certains de nos militants se retrouvent condamnés en justice après avoir dénoncé le projet de terminal méthanier au Havre, le lancement de l’EPR, les projets de déforestation ou autres. Un tel amendement adopté mettrait en péril l’indépendance financière de Greenpeace car nous nous ne vivons que de l’argent amené par des donateurs privés.

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C’est vrai que la répression a augmenté depuis l’élection d’Emmanuel Macron, c’est vrai qu’il y a eu une criminalisation des mouvements, c’est vrai que des ministres, en commençant par Gérald Darmanin, se sont permis de nous traiter d’écoterroristes. Un climat dangereux pour nos militants et nos associations est déjà là. Mais on sent bien qu’on passerait un cran supplémentaire avec l’extrême droite car ce pourrait être généralisé, systématisé, voire planifié. Toutes les associations autour de nous se posent la même question : comment exister en tant qu’association de contre-pouvoir, radicale, et avec une indépendance d’action sous un gouvernement RN ?

Comment riposter en tant qu’associations ?

Nous ne sommes pas un parti politique, nous ne sommes pas là pour soutenir un parti politique en particulier mais notre rôle est d’agir pour changer les politiques publiques. Et cela ne peut passer que par une majorité politique. Il faut sans doute assumer plus clairement qu’à une époque, le fait d’être en contact avec les politiques permet d’avoir une réelle influence lorsqu’ils seront élus. Nous devons également continuer la dynamique engagée depuis quelques années maintenant de l’interassociatif, et même au-delà notamment avec les syndicats.

Dès le lendemain de l’annonce de la dissolution, Greenpeace s’est mis en mode crise.

C’était la raison d’être par exemple de l’Alliance écologique et sociale. On en voit aujourd’hui les effets bénéfiques concrets : être capables de prendre des mesures communes rapidement, de s’alerter les uns les autres sur des préoccupations précises, de prendre le pouls de différentes composantes de la société qu’on ignore. Par exemple, Greenpeace n’est pas dans les usines, nous n’avons pas de contact direct avec les salariés de certains secteurs industriels donc nous posons des questions aux syndicats avec lesquels nous travaillons (CGT, SUD-Rail, FSU, etc.). De la même manière, nous apportons aux syndicats la vision de ce qu’il se passe au sein du mouvement climat et écolo qui est particulièrement bouillonnant, radical et moteur de dynamiques plus globales.

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Dès le lendemain de l’annonce de la dissolution, Greenpeace s’est mis en mode crise, c’est-à-dire qu’on a passé en revue le programme et le calendrier prévus et on priorise le travail ébauché pour empêcher l’arrivée de l’extrême droite au pouvoir dans trois semaines. Les groupes locaux de Greenpeace se sont aussi mobilisés immédiatement dans toutes les manifestations spontanées contre l’extrême droite, nos couleurs sont aussi présentes et visibles dans les cortèges parisiens. Nous avons également signé beaucoup de tribunes pour se positionner clairement, notamment une avec la LDH, une autre qui allait plus loin encore en soutenant le Nouveau Front populaire avec Bloom, Attac, Action Justice Climat, etc.

Vous avez également participé personnellement à la conférence de presse de présentation de ce Nouveau Front populaire.

La Nupes était une alliance de partis, là, c’est une dynamique de société qui va plus loin.

Dans l’histoire de Greenpeace, nous avons systématiquement appelé à voter contre l’extrême droite quand la menace était là, que ce soit en 2002 avec le Front national de Jean-Marie Le Pen ou à chaque fois que Marine Le Pen était au second tour. Aujourd’hui, Greenpeace fait un pas supplémentaire : nous ne sommes plus dans l’appel à faire barrage, nous assumons un soutien à cette dynamique engagée par le Nouveau Front populaire, car c’est la seule dynamique qui peut lutter efficacement contre le RN. La Nupes était une alliance de partis, là, c’est une dynamique de société qui va plus loin. Dans leur programme commun, de nombreuses mesures sont en accord avec les campagnes que nous menons mais ce soutien ne signifie pas qu’on leur donne un chèque en blanc.

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Les associations doivent rester un contre-pouvoir même si une majorité de député·es du Nouveau Front populaire est élue ! Avec les autres associations, avec les syndicats, nous affirmons clairement que nôtre rôle aujourd’hui est de soutenir la dynamique notamment parce qu’on se base sur le programme, mais que demain, nous serons exigeants. Si le Nouveau Front populaire l’emporte, il y aura un travail colossal à mener afin de mettre en œuvre tout ce qui est annoncé dans leur programme et nous serons là pour exercer une sorte de vigie démocratique, leur rappeler régulièrement leurs engagements, pour s’assurer que les promesses d’aujourd’hui seront des mesures mises en œuvre demain.

« Nous serons là pour exercer une sorte de vigie démocratique »

Quels points du programme commun vous semblent à l’heure actuelle cruciaux et sur lesquels ne lâcherez-vous rien ?

Parmi les points les plus importants, il y a l’instauration de l’ISF climatique, sujet que porte Greenpeace depuis des années, et la taxation des superprofits. Ce sont des mécanismes qui permettront le financement de tout le reste, et c’est évidemment un des points qui émerge dans le débat politique. Ensuite, beaucoup de mesures sectorielles correspondent à des campagnes que nous menons, notamment la demande de moratoire sur les mégabassines, sur les grands projets d’infrastructures autoroutières, la sortie des fermes usines, le rétablissement du plan Écophyto mais aussi toutes les mesures sociales de rétablissement des postes au sein de l’Office national des forêts, de Météo France, de l’Office français de la biodiversité. En clair, arrêter une dynamique qui nous inquiétait de productivisme forcené.

Et sur l’énergie ? Le nucléaire est le grand absent du programme commun…

Nous avons évidemment regardé de près les annonces sur l’énergie parce qu’on sait que les différents partis du Nouveau Front populaire n’ont pas la même vision sur la question du nucléaire : les Écologistes et la France insoumise sont très engagés pour une sortie du nucléaire, le Parti communiste soutient la construction des EPR et les socialistes sont sûrement entre les deux. L’essentiel est qu’ils proposent le vote d’une loi Énergie-Climat dès les 100 premiers jours qui sera centrale pour la planification écologique.

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C’est dans le cadre du débat parlementaire autour de cette loi programmation énergie que la question de la place du nucléaire par rapport aux énergies renouvelables, aux questions de sobriété énergétique seront débattues. Sur ce sujet en particulier, nous serons vigilants et actifs afin de faire valoir notre vision des choses, à savoir une sortie du nucléaire. Aujourd’hui, le gouvernement d’Emmanuel Macron a abandonné la loi de programmation Énergie-Climat qui est pourtant une obligation légale et qui aurait dû être adoptée avant le 1er juillet 2023.

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