L’Arcom « à la ramasse » face à des médias de plus en plus radicalisés

Le régulateur se retrouve à nouveau sous le feu des critiques face au rouleau compresseur médiatique qui adoube le RN avant les législatives.

Nils Wilcke  • 26 juin 2024
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L’Arcom « à la ramasse » face à des médias de plus en plus radicalisés
Affiche de rue dans Paris.
© Guillaume Deleurence

Mais où est passée l’Autorité de régulation de la communication audiovisuelle et numérique (Arcom) ? « On va finir par lancer une alerte disparition », s’agace un élu de gauche auprès de Politis, devant la dernière provocation du groupe Bolloré : le lancement d’une émission éphémère intitulée « On marche sur la tête » avec Cyril Hanouna reconverti en journaliste politique sur Europe 1 le temps des législatives. Le casting des invités donne le ton.

Du lundi au jeudi, le gratin de l’extrême droite, Rassemblement national (RN) en tête, la droite tendance Ciotti et parfois Renaissance défilent à la radio : Robert Ménard, l’eurodéputé RN Matthieu Valet, Éric Zemmour et Nicolas Dupont-Aignan, le responsable des jeunes LR favorable à l’alliance du RN Guilhem Carayon et Loïc Signor, ancien journaliste de CNews propulsé porte-parole du parti présidentiel.

Mais aussi Julien Odoul, député RN sortant et Marion Maréchal, accueillie comme une star, entre deux people comme la comédienne Véronique Genest, qui revendique publiquement son « islamophobie » depuis une décennie. L’extrême droite et ses alliés sont comme à la maison chez Bolloré, et la gauche, constamment présentée comme un « danger », une « alliance terrifiante » aux mesures « irréalisables ». L’iniquité est telle que même les journalistes de la rédaction d’Europe 1 font part de leur malaise dans les médias. « On se sent totalement lâchés par l’Arcom », confie ainsi l’un d’eux à France Info.

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Sur la défensive, le « gendarme de l’audiovisuel » affirme au contraire à Politis « être actif » sur le sujet à travers une « lettre » envoyée à la station, lui enjoignant de « traiter avec mesure et honnêteté l’actualité électorale », et ce, deux jours après le début du programme. Europe 1 doit aussi veiller « strictement » à « assurer une pluralité de points de vue dans les émissions de débats », écrit l’autorité indépendante. C’est que le sujet est ultrasensible, surtout dans un contexte de victoire potentielle du RN aux législatives.

L’Arcom, ils n’en ont rien à branler.

En interne, la missive fait ricaner Cyril Hanouna et la direction du groupe Bolloré, selon nos informations. « L’Arcom, ils n’en ont rien à branler », confirme crûment un ancien journaliste de la station qui continue d’avoir ses contacts sur place. D’autant que leurs propos ne font l’objet d’aucun décompte car le débat est libre, ce que confirme l’Arcom à Politis. L’animateur vedette de TPMP a fini par appeler le communiste Léon Deffontaines jeudi 20 juin, une exception qui confirme la règle, tout en feignant de se lamenter de pas « trouver d’invités de gauche ».

Bataille idéologique

À quelques jours du premier tour des législatives, l’Arcom se retrouve à nouveau accusé de laxisme face au rouleau compresseur du milliardaire breton. « Le groupe Bolloré a été l’objet de nombreuses sanctions financières avec Hanouna (3,5 millions d’euros pour C8, après que l’animateur a insulté le député LFI Louis Boyard, N.D.L.R.), mais ses dirigeants doivent se dire qu’entre ce que leur rapportent le clic, la pub et, surtout, ce qu’ils gagnent en bataille idéologique, c’est une opération ultra-rentable pour eux », déplore Julia Cagé, spécialiste de l’économie des médias. « Le régulateur devrait adapter ses règles à des circonstances précises, affirme-t-elle. L’Arcom se retrouve complètement démunie face au groupe Bolloré en pleines législatives, c’est un vrai problème démocratique. »

L’Arcom se retrouve complètement démunie face au groupe Bolloré en pleines législatives, c’est un vrai problème démocratique.

J. Cagé

L’économiste des médias milite dans une tribune publiée dans Le Monde au début de l’année pour classer les chroniqueurs et autres intervenants en fonction de critères susceptibles d’éclairer leur orientation politique : leur participation à des universités d’été de partis, leurs contributions à des think tanks et leur soutien à des candidats à la présidentielle. Une méthode originale qui permet de prendre en compte les engagements passés ou présents de l’intervenant, plus que de sa prise de parole dans les médias.

L’autorité indépendante répète inlassablement qu’elle s’appuie sur les conventions passées avec les éditeurs comme Europe 1 lors des périodes électorales et se réfugie derrière les « remontées » qui lui sont faites. Sauf que les contrôles s’effectuent sur une base déclarative, a posteriori. En coulisses, les critiques fusent. « L’Arcom est une machine lourde et à la ramasse face à l’agilité des chaînes d’information et d’opinion », confie l’un des anciens membres du collège de l’autorité indépendante. « Ils ne sont pas taillés pour faire le job », tance un autre membre qui est parti « dégoûté » de l’institution.

Médias Cyril Hanouna
(Photo : Jerome Gilles / NurPhoto / AFP.)

Le cas Zemmour en est la preuve, selon notre source : « Il pérorait chaque soir, son équipe annonçait sa campagne et le CSA a attendu d’être secoué avant de dire que son temps d’antenne serait décompté. » Dans les faits, l’ex-CSA a adressé une première mise en demeure à CNews quatre mois après le lancement de l’émission « Face à l’info », contre le chroniqueur, puis a infligé une amende de 200 000 euros à la chaîne pour « incitation à la haine ».

L’ancien journaliste du Figaro avait déclaré lors d’un débat autour des mineurs étrangers isolés : « Ils n’ont rien à faire ici, ils sont voleurs, ils sont assassins, ils sont violeurs, c’est tout ce qu’ils sont, il faut les renvoyer et il ne faut même pas qu’ils viennent. » Et de marteler : « Tous, Christine, tous », à l’attention de l’animatrice de l’émission, Christine Kelly. La journaliste était une ancienne conseillère du CSA, un comble… Il est vrai qu’il a fallu attendre de longs mois pour que l’autorité indépendante décide de décompter les interventions d’Éric Zemmour sur la politique française.

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En filigrane, c’est aussi la gouvernance de la « machine » qui est remise en cause : « Ce sont des hauts fonctionnaires qui tiennent la baraque, ils ne connaissent rien au monde audiovisuel et aux journalistes, et la tendance s’est aggravée avec les années. Si les conventions passées avec les éditeurs du groupe Bolloré avaient été respectées à la fois dans les mots et dans l’esprit, on n’en serait pas là aujourd’hui », critique un troisième ancien membre du collège.

Ses missions doivent être revues car les excès et les dérives de certains médias sont documentés.

R. Bachelot

Roselyne Bachelot avait tiré la sonnette d’alarme lors de son audition au Sénat en 2022 comme ministre de la Culture : « L’Arcom est indispensable, tempère l’ancienne élue, devenue éditorialiste sur BFM et sociétaire des « Grosses Têtes » sur RTL. Mais ses missions doivent être revues car les excès et les dérives de certains médias sont documentés. » L’ex-ministre est d’autant plus renseignée que c’est elle qui a opéré la fusion entre le CSA et Hadopi pour créer l’Arcom. Mme Bachelot a parfaitement identifié le danger des médias Bolloré, qu’elle confie à Politis ne pas regarder : « L’Arcom continue de se fonder sur la loi relative à la liberté de communication de 1986 alors que le monde des médias a changé de façon phénoménale en quarante ans. »

Le banc des accusés

Le Nouveau Front populaire tente de résister au rouleau compresseur Bolloré mais aussi à une couverture éditoriale souvent hostile, y compris sur le service public. « Franchement, on va s’arrêter, j’ai eu douze questions sur Mélenchon », s’agace Marine Tondelier dimanche sur LCI face à Arlette Chabot qui la relance sur la stratégie du patron de LFI. Comme elle, les huiles du Nouveau Front populaire et leurs candidats doivent batailler dans les médias qui tirent à boulets rouges sur l’alliance de gauche. Le lendemain, c’est au tour de la députée LFI sortante Clémence Guetté d’être constamment interrompue sur France Info alors qu’elle tente de pointer les failles du RN et de Jordan Bardella : « J’y arrive à Jean-Luc Mélenchon », s’époumone l’élue, comme pour calmer la journaliste Alix Bouilhaguet.

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Même Lionel Jospin ne peut cacher son exaspération lundi sur BFM face à Benjamin Duhamel qui le ramène constamment au leader des insoumis et aux accusations d’antisémitisme qui le visent : « Oh ça va ! Ça fait cinq fois que vous répétez cela, c’est bon », lâche l’ancien Premier ministre, qui parvient quand même à alerter sur les dangers de l’extrême droite et l’importance de l’union à gauche. Et que dire du cas de Raphaël Arnault, porte-parole du groupe antifasciste La Jeune Garde, investi par la gauche et présenté comme « le fiché S de Mélenchon » sans aucune précaution par les médias Bolloré, alors que ce classement ne signifie pas pour autant que l’intéressé fait l’objet de poursuites ou de sanctions pénales ?

Si le RN arrive au pouvoir, il n’y aura peut-être plus de régulateur dans trois semaines. 

Au contraire du Nouveau Front populaire, la « dynamique » du RN est célébrée par Pascal Praud, Cyril Hanouna et leurs obligés. En filigrane, l’inaction de François Hollande et d’Emmanuel Macron, qui avaient chacun fait la promesse de réformer l’autorité indépendante sans jamais la réaliser, est pointée. « Ni l’un ni l’autre n’ont pris le temps de remettre à plat les règles du régulateur. On risque de le payer très cher », cingle un ancien membre qualifié du collège de l’Arcom. « De toute façon, si le RN arrive au pouvoir, il n’y aura peut-être plus de régulateur dans trois semaines », souffle un haut fonctionnaire, très inquiet pour la survie de l’institution.

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