« Le RN au pouvoir est une menace pour les principes fondateurs de la justice »
TRIBUNE. L’avocat Vincent Brengarth alerte sur le risque d’une arrivée au pouvoir du parti d’extrême droite, qui marquerait la mise au pas de la justice pour en faire une mécanique punitive implacable.
« C’est souvent parce que le Conseil constitutionnel est un rempart de nos droits et de nos libertés qu’il est pris pour cible » affirmait Laurent Fabius, Président du « Conseil des sages », dans un entretien donné au journal Le Monde en mai. Ce constat traduit une tendance qui s’aggrave consistant, pour une partie de la classe politique, et en particulier le RN, à conspuer les contre pouvoirs, garants de la préservation de l’État de droit, lorsque leurs décisions font obstacle aux mesures politiques les plus démagogiques.
La justice n’a pas à être la courroie de transmission de l’exécutif, encore moins si ce dernier définit exclusivement sa politique par le biais de la répression.
L’électoralisme du RN se construit sur le rejet des institutions qui révèle le caractère inapplicable des mesures qu’il défend. Il entend construire une réalité normative parallèle, où le curseur du contrôle serait exclusivement indexé sur la volonté du pouvoir. Le fait que le RN, qui promet notamment le principe de « priorité nationale » en dépit des risques manifestes d’inconstitutionnalité, se rapproche aujourd’hui de responsabilités exécutives accentue le risque des clivages avec des institutions conçues pour protéger nos libertés. Chacun doit aujourd’hui prendre ses responsabilités face au péril qui nous guette collectivement. Nous, professionnels du droit, avocats, le devons, au même titre que d’autres professions. Il est temps de rétablir des réalités factuelles, juridiques sur un discours que nous avons laissé trop longtemps prospérer.
La critique institutionnelle verbalisée par le RN ne s’arrête pas au gardien de la Constitution, puisqu’elle implique également le juge judiciaire. En 2022, Marine Le Pen, à l’occasion du débat télévisé avec Emmanuel Macron affirmait : « Et dans le domaine de la justice, les Français ont le sentiment que c’est devenu le laxisme le plus total. » De telles déclarations, qui ne reposent sur aucune réalité tangible, font naître un risque d’inféodation des juges, au mépris du principe de l’indépendance. La justice n’a pas à être la courroie de transmission de l’exécutif, encore moins si ce dernier définit exclusivement sa politique par le biais de la répression.
Entre autres mesures, la présidente d’alors du RN avait également annoncé son intention de revoir l’excuse de minorité, principe cardinal de la justice pour mineurs. Jordan Bardella a également rappelé, le 14 juin 2024, une volonté de « rétablir les peines planchers », en violation du principe d’individualisation des peines.
Changement de paradigme
Il est clair qu’aucune juridiction ne doit être au-dessus des critiques, encore moins alors qu’un étiolement des libertés est déjà à l’œuvre et que le Conseil constitutionnel ou le Conseil d’État peinent à jouer leur rôle. Nos gouvernants n’ont pas plus de leçons à donner sur le respect de l’indépendance de la justice, mis à mal pour réprimer les contestations populaires, notamment contre la réforme des retraites. L’arrivée du RN ne marquerait cependant pas une nouvelle aggravation de ce durcissement autoritaire mais un complet changement de paradigme vers une société démocratique illibérale.
Non seulement les mesures sont inapplicables sauf à s’affranchir des garde-fous institutionnels les plus élémentaires mais elles alimentent plus généralement une culture du vide, faisant croire au miracle d’un durcissement répressif qui résoudrait tous les maux.
De telles idées ne peuvent que prospérer par le biais d’une pédagogie insuffisante et par une faible connaissance du fonctionnement effectif du monde de la justice. Il est à regretter que l’opinion soit bercée par l’illusion d’une justice complaisante à l’égard des délinquants, qui plus est alors que la surpopulation carcérale n’a de cesse de battre de nouveaux records chaque mois. Les citoyens doivent en avoir conscience. Ce sont des faits contre des idées, qui font certes le succès des plateaux télévisés mais ne sont pas étayées. Le débat n’est pas idéologique, il est un débat de pragmatisme.
C’est un gouvernement par la peur qui se dessine.
Les grands principes de la justice sont aujourd’hui menacés par la perspective d’une mainmise du RN sur l’Assemblée nationale. C’est un gouvernement par la peur qui se dessine. Il entraînera une dépossession de l’œuvre de juger au profit d’une mécanique implacable punitive. Le seul examen des déclarations passées devrait nous faire déciller les yeux sur la réalité de ce qui est à l’œuvre.
L’année où nous regrettons la disparition de Robert Badinter, nous prendrions également le risque de dérouler le tapis rouge de l’Assemblée nationale à un parti dont la Présidente déclarait, en 2011 : « Je suis pour la peine de mort. » Marine Le Pen a, par la suite, suggéré l’utilisation d’un référendum pour la rétablir. Une telle perspective nous place à l’envers de tout l’édifice que la France est parvenue à construire, au fil des siècles et qui fait aussi que, par son histoire, elle doit être, encore plus que d’autres pays, celui qui résiste.
Des contributions pour alimenter le débat, au sein de la gauche ou plus largement, et pour donner de l’écho à des mobilisations. Ces textes ne reflètent pas nécessairement la position de la rédaction.
Chaque jour, Politis donne une voix à celles et ceux qui ne l’ont pas, pour favoriser des prises de conscience politiques et le débat d’idées, par ses enquêtes, reportages et analyses. Parce que chez Politis, on pense que l’émancipation de chacun·e et la vitalité de notre démocratie dépendent (aussi) d’une information libre et indépendante.
Faire Un Don