« Nos valeurs démocratiques sont à défendre plus que jamais »

Le Festival La Rochelle Cinéma se tient du 28 juin au 7 juillet, en plein pendant les législatives. Sa codirectrice, Sophie Mirouze, expose comment cette 52e édition peut répondre à ces circonstances.

Christophe Kantcheff  • 25 juin 2024 libéré
« Nos valeurs démocratiques sont à défendre plus que jamais »
Le festival propose une rétrospective Marcel Pagnol (ici Le Schpountz, de 1938), dont les films sont empreints d’humanisme et de solidarité.
© Les Films Marcel Pagnol / Collection Christophel / AFP

Les dates du Festival La Rochelle Cinéma (Fema) et des législatives coïncident. Voilà qui relève davantage de la collision que de l’heureux hasard. Comment s’adapter à ces circonstances inattendues ? Quelles seraient les conséquences sur la culture d’une victoire de l’extrême droite ? En quoi la programmation de cette 52e édition du Fema, préparée des mois en amont, résonne-t-elle pourtant avec les enjeux de ces élections ? Réponses avec Sophie Mirouze, codirectrice du Fema.

Comment avez-vous reçu l’annonce de la dissolution, qui place les deux scrutins des législatives sur les deux dimanches où a lieu le festival ?

Sophie Mirouze : J’ai d’abord ressenti une grande inquiétude en tant que citoyenne. Puis, avec Arnaud Dumatin, qui dirige le festival avec moi, nous avons commencé à réfléchir à l’impact que pouvaient avoir ces dates : le 30 juin, jour du premier tour, correspond à notre week-end d’ouverture, et le second tour à celui de clôture. Nos premières craintes étaient logistiques : par exemple, nous investissons un lieu prêté par la ville de La Rochelle qui sera aussi un bureau de vote. Mais, surtout, nous redoutons une baisse de la fréquentation. Le 30 au soir, nous accueillons Françoise Fabian pour un hommage dans la grande salle de la Coursive. On peut penser qu’à 20 heures les Rochelais comme les festivaliers désireront connaître les résultats. Nous nous adapterons donc à ce contexte inédit et très particulier.

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Le dimanche 7, nous proposons une projection exceptionnelle du Napoléon vu par Abel Gance, film de 1927 restauré par la Cinémathèque française, qui dure sept heures et est divisé en deux époques, il est probable qu’il n’y aura pas foule pour la seconde partie, à 19 h 30. Enfin, nous nous interrogeons sur l’atmosphère générale du festival, car nous ne savons pas ce qui peut se passer entre les deux tours. La politique l’emportera sur le cinéma, c’est certain. En même temps, ce sera un lieu où se retrouver, échanger. Et, cette année, nos valeurs démocratiques, à travers nos choix de programmation et nos invités – comme le cinéaste iranien Mohammad Rasoulof –, sont à défendre plus que jamais.

Que signifierait pour vous une baisse de la fréquentation ?

Les conséquences seraient directes, car les entrées représentent notre première source de financement. Or nous rencontrons des difficultés pour boucler le budget de cette 52e édition. Les charges explosent en raison de l’inflation – la location des lieux, les transports, les tarifs hôteliers… Nous nous efforçons aussi de revaloriser les salaires de l’équipe. Dans le même temps, les subventions publiques stagnent, voire diminuent.

Imaginer un gouvernement d’extrême droite est douloureux. Ce serait terrible pour la culture.

Que représenterait pour vous l’arrivée de l’extrême droite au pouvoir ?

Nous avons du mal à nous projeter, car nous sommes à quelques jours du début du festival, les yeux rivés sur son organisation. Imaginer un gouvernement d’extrême droite est douloureux. Ce serait terrible pour la culture, qui constituerait l’une de ses premières cibles, avec la liberté d’expression.

« Nous portons un regard sur l’histoire du cinéma »

L’extrême droite a recours à l’accusation d’élitisme à l’encontre des manifestations culturelles qui ne lui paraissent pas aller dans son sens. Est-ce une crainte, selon vous ?

Oui. D’autant que le festival se déroule dans une ville dont la sociologie est plutôt bourgeoise, dans un lieu, la Coursive, qui est une scène nationale – par nature suspectée d’élitisme par l’extrême droite. Au Fema, un événement non compétitif, loin du glamour et des tapis rouges, nous faisons en sorte d’aller chercher les publics à l’année avec une activité hors les murs importante – notamment par l’éducation à l’image. Nous cherchons aussi à élargir la programmation, en introduisant du cinéma de genre et des films populaires. Cet été, nous proposons une rétrospective Marcel Pagnol, dont les films, tous restaurés, sont empreints d’humanisme et de solidarité. Parce que nous portons un regard sur l’histoire du cinéma, nous montrons aussi du cinéma muet ainsi que de nombreux documentaires, du plus intime au plus politique. Donc, en effet, nous avons beaucoup à craindre d’un gouvernement d’extrême droite. Cela dit, je me demande ce qu’est réellement le cinéma élitiste. En tout cas, la plupart des films programmés au Fema s’adressent à un large public.

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Diriez-vous que le Fema a une dimension politique, et si oui, laquelle ?

Oui, d’abord à travers ses engagements en termes de parité, d’écoresponsabilité, d’accessibilité et de transmission des savoirs. Mais aussi avec sa programmation éclectique et internationale, et sa ligne éditoriale forte. Nous avons toujours souhaité proposer un festival ouvert à toutes et à tous. Par ailleurs, notre mission est d’accompagner les œuvres : cette année, chaque jour, un film de Pagnol sera suivi d’une rencontre avec un spécialiste du cinéaste. Cela constituera neuf regards complémentaires sur cette filmographie. Tous les documentaristes seront aussi présents, avides de discussions avec le public. Et la parole circule beaucoup à La Rochelle, parce que le festival est convivial. Dès lors, la salle devient un lieu d’échanges, donc un lieu politique.

Nous allons rappeler combien le cinéma argentin (…) paye le prix fort de l’arrivée à la tête du pays du populiste Javier Milei.

Vous ne pouviez évidemment pas envisager que le festival se déroule dans ces circonstances. Cependant, il y a dans les grands axes de votre programmation des échos à la situation politique. Par exemple, vous invitez le cinéaste argentin Benjamin Naishtat, dont vous montrez les quatre longs-métrages.

J’ai découvert son dernier film, El Profesor, coréalisé avec Maria Alché, au Festival de Saint-Sébastien. Il porte sur la confrontation de deux professeurs d’université, l’un terne et introverti, l’autre brillant et charismatique, qui luttent pour obtenir la chaire de philosophie de l’université de ­Buenos Aires. Ce film drôle, voire burlesque, devient politique. Le soir de ­l’annonce de la dissolution, j’ai pensé à cette avant-première prévue le samedi 29, veille du premier tour. Élaborée en partenariat avec la CMCAS et la CCAS, des organismes sociaux qui mobilisent un public engagé, cette soirée sera salutaire. Avec la présence de Benjamin Naishtat, nous allons aussi rappeler combien le cinéma argentin, un des plus singuliers d’Amérique latine, paye le prix fort de l’arrivée à la tête du pays du populiste Javier Milei, qui a d’emblée supprimé le ministère de la Culture. C’est comme si, en France, on tirait un trait sur le Centre national du cinéma et les aides essentielles qu’il dispense à tout le secteur.

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Vous proposez aussi une rétrospective consacrée à Chantal Akerman : voilà un cinéma émancipé des formes traditionnelles, féministe, avec, dès les années 1970, des représentations des amours lesbiens. Aux antipodes de l’esprit prude et conformiste de l’extrême droite…

Il faut rappeler que, quand elle tournait Jeanne Dielman, son chef-d’œuvre, Chantal Akerman n’avait que 25 ans ! Sa précoce maturité est indéniable, que ce soit dans la forme cinématographique comme dans son discours sur la condition des femmes. En 2022, Jeanne Dielman a été élu meilleur film de tous les temps dans le classement de la revue Sight and Sound. Le film est ressorti, avec un réel succès – alors qu’il est hors norme, y compris dans sa durée (plus de trois heures) –, et les féministes des nouvelles générations l’ont revendiqué. Des jeunes, aujourd’hui, se reconnaissent dans Jeanne Dielman et en ont fait un symbole.

Citons enfin un autre cinéaste auquel vous rendez hommage, Michael Haneke, dont vous projetterez l’œuvre intégrale, y compris ses films pour la télévision.

Michael Haneke est un cinéaste très important, qui manque beaucoup aujourd’hui. Le monde divisé, violent, le retour du populisme, l’incommunicabilité entre les êtres, la violence des images, le malaise dans nos sociétés matérialistes et individualistes sont des thèmes qu’il a abordés dès ses premiers films, Le Septième Continent, Benny’s Video ou 71 Fragments d’une chronologie du hasard. Haneke est un cinéaste profondément européen. Sa filmo­graphie très politique est marquante. Il faut impérativement la faire redécouvrir.

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