Nouveau Front populaire : derrière la « purge politique » à LFI, l’union des gauches fragilisée

L’éviction de députés de La France insoumise qui ont exprimé des désaccords avec Jean-Luc Mélenchon parasite fortement le lancement de la campagne et la communication unitaire de la nouvelle alliance des forces de gauche.

Lucas Sarafian  • 15 juin 2024
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Nouveau Front populaire : derrière la « purge politique » à LFI, l’union des gauches fragilisée
Raquel Garrido et Alexis Corbière, à l'Assemblée nationale française à Paris, le 23 octobre 2022. Les deux députés n'ont pas été investis par LFI au sein du Nouveau Front populaire, mais seront candidats dans leur circonscription.
© JULIEN DE ROSA / AFP

Peut-être que la joyeuse et sincère unité n’était qu’un mirage. En milieu de journée, ce vendredi 14 juin, dans le jardin de la Maison de la Chimie, à quelques pas de l’Assemblée nationale, toute la gauche réunifiée se retrouve pour une belle photo de famille du Nouveau Front populaire. « On a fait l’union dans un esprit de responsabilité. La droite est explosée, l’extrême droite est en train de se détruire, et nous, nous donnons l’image de l’espoir », confie Pierre Jouvet, le secrétaire général du Parti socialiste (PS) récemment élu eurodéputé et négociateur central du Nouveau Front populaire.

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Mais cette « image de l’espoir » s’est sérieusement détériorée en l’espace de quelques heures. Aux alentours de 23 h 30, la France insoumise publie la liste des candidats qu’elle investit dans les circonscriptions qui lui sont accordées dans le cadre du nouvel accord. Et cinq noms manquent à l’appel, pas des moindres : Raquel Garrido, Alexis Corbière, Danielle Simonnet, Hendrik Davi et Frédéric Mathieu. Leur point commun ? Ces députés sortants sont « frondeurs » ou proches d’un « frondeur », c’est-à-dire en désaccord avec le fonctionnement interne du mouvement auquel ils appartiennent et qu’ils jugent antidémocratique.

On me fait payer le crime de lèse-Mélenchon.

R. Garrido

« On me fait payer le crime de lèse-Mélenchon. C’est fort regrettable, au moment précis où, avec le Nouveau Front populaire, nous incarnons un nouveau projet démocratique pour le pays », pointe sur X (ex-Twitter) Raquel Garrido, élue en Seine-Saint-Denis en 2022, qui annonce se maintenir contre le député choisi par La France insoumise, Aly Diouara, président du mouvement La Seine-Saint-Denis au cœur. « Nous qui voulons une VIe République et une société plus démocratique, avec un mouvement qui fonctionne comme ça, nous n’en faisons pas la démonstration », regrette au 13 h de TF1 Alexis Corbière, élu aussi en Seine-Saint-Denis, dans une circonscription où La France insoumise a décidé d’investir la médecin urgentiste Sabrina Ali Benali.

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« Le RN est aux portes du pouvoir et l’urgence pour Jean-Luc Mélenchon était donc de sanctionner Raquel Garrido, Alexis Corbière, Danielle Simonnet, Frédéric Mathieu et moi, car nous sommes opposés à lui concernant Adrien Quatennens, la démocratie, l’union de la gauche ou le Hamas », estime Hendrik Davi, proche de Clémentine Autain, élu dans la 5e circonscription des Bouches-du-Rhône où a été investi Allan Popelard, contributeur du Monde diplomatique et « proche de Paul Vannier et Manuel Bompard », selon Hendrik Davi à Mediapart. L’objectif de cette manœuvre insoumise est clair : enterrer ces figures qui ont exprimé leur désaccord avec la ligne de Jean-Luc Mélenchon et qui auraient pu paraître comme centrales dans les équilibres futurs du Nouveau Front populaire.

Contactée par Politis, Danielle Simonnet, députée insoumise dans la 15e circonscription de Paris où a été investie Céline Verzeletti, membre du bureau confédéral de la CGT, perçoit dans ces décisions une tentative de « purge politique » : « Je suis très en colère. Face à l’extrême droite, on a réussi à construire le Nouveau Front populaire. Avec cette union, nous créons un espoir et nous pouvons gouverner. Dans ce contexte, Jean-Luc Mélenchon fait une purge. C’est irresponsable d’écarter les députés qui ont exigé plus de travail unitaire, plus de démocratie interne, plus de féminisme. »

« Je maintiens ma candidature »

Au téléphone, la députée parisienne assure qu’elle aura, comme les autres frondeurs, le soutien de toutes les autres composantes de la gauche : « Les autres membres du Nouveau Front populaire regrettent cette décision, ils partagent notre avis. Les électeurs de nos circonscriptions nous connaissent et seront derrière nous. Je reçois des dizaines de messages de communistes, d’écologistes, de socialistes, de syndicalistes et de militants de gauche. Je maintiens ma candidature et je gagnerai. »

Pour le moment, ces députés sortants évincés ont reçu le soutien des plus « unionistes » de la gauche. La députée écologiste sortante de Paris, Sandrine Rousseau, cible frontalement le triple candidat à la présidentielle et fondateur du mouvement insoumis : « Jean-Luc Mélenchon, ta responsabilité est immense en ce moment historique. Ce n’est pas le temps des purges ou des règlements de compte. » Marie-Charlotte Garin, députée écologiste sortante de Lyon, interpelle La France insoumise à peu près sur le même ton : « Purger les gens qui ne sont pas des lignards, mais garder Quatennens, ça dit beaucoup de vos méthodes et de votre rapport 1) au féminisme 2) aux désaccords. »

En plein combat résolu contre l’extrême droite, c’est irresponsable et dangereux.

E. Faucillon

La députée communiste sortante des Hauts-de-Seine, Elsa Faucillon, assure que « ces méthodes m’ont toujours révulsée, d’où qu’elles viennent. En plein combat résolu contre l’extrême droite, c’est irresponsable et dangereux. »

Car le député La France insoumise Adrien Quatennens, condamné à quatre mois de prison avec sursis en 2022 pour des violences sur son ex-compagne, a été investi par la France insoumise dans la 1re circonscription du Nord, le territoire où il a été élu en 2017 et 2022. Néanmoins, il n’a pas l’investiture du Nouveau Front populaire. En clair, les socialistes, les écologistes et les communistes ne soutiendront pas ce candidat durant cette campagne. En parallèle, Amy Bah, présidente de #NousToutes à Lille souhaite également présenter sa candidature dans cette circonscription.

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« À La France insoumise, il vaut mieux avoir été condamné pour violences conjugales que d’avoir défendu la démocratie, manifesté contre l’antisémitisme après le 7 octobre et plaidé pour l’union des gauches et des écologistes », déplore la députée insoumise de Seine-Saint-Denis, Clémentine Autain, qui fait partie de ces frondeurs au sein du mouvement mélenchoniste. L’extrême droite est aux portes du pouvoir, un rassemblement inédit vient d’être constitué à gauche, et LFI décide de fracturer notre mouvement et d’affaiblir le rassemblement. »

François Ruffin, député frondeur de la Somme, s’exprime sur la même ligne : « Après la tragédie, après l’espoir, vint la farce. La direction de La France insoumise, loin de se mettre à la hauteur de ce moment, s’abaisse aux pires combines. L’extrême droite tape à la porte du pouvoir. Et que font-ils ? Ils divisent. Ils purgent des candidats sortants, sans autre motif qu’ils et elles ont une parole libre, sans laisse ni muselière. Et, dans le même temps, qui protègent-ils ? Adrien Quatennens, auteur de violences conjugales. » L’élu picard appelle également les autres forces de gauche à soutenir ces députés évincés : « Les ‘purgés’ doivent être soutenus. Et l’accord doit tenir, le programme doit être défendu. La campagne doit être menée. »

Boris Vallaud, député sortant des Landes et ex-président du groupe PS à l’Assemblée, juge cette décision « incompréhensible. Nous avons réussi à redonner de l’espoir face à l’extrême droite, ne donnons pas le spectacle de manœuvres. Je demande la réunion immédiate des forces politiques et sociales fondatrices : le Front populaire, c’est vous et c’est nous ». La communication du Parti socialiste confirme que Boris Vallaud exige une réunion des représentants des partis membres du Front populaire.

Ligne rouge

Dans un message envoyé aux chefs de partis du Nouveau Front populaire que Libération a révélé, la secrétaire nationale des Écologistes, Marine Tondelier, se dit « en colère, et inquiète de tout ce que cela signifie, de ce que je considère comme une forme de sabotage irrespectueux de notre histoire collective ». L’écolo affirme qu’une « ligne rouge » a été franchie et qu’il a « toujours été extrêmement clair pour nous que tous les sortants de la Nupes auraient l’investiture Front populaire sauf cas de VSS, ou autre type d’affaire […]. C’est une décision de nature à entraver nos chances de victoire le 7 juillet prochain ».

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La direction du mouvement insoumis juge néanmoins que les formations politiques ont la liberté, dans les circonscriptions qu’ils ont obtenues dans le cadre de l’accord négocié en quatre jours, de choisir leurs propres candidats. Après quelques heures d’existence, le Nouveau Front populaire tout fraîchement créé vacille déjà.

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