Nouveau Front populaire : Noé Gauchard défie de nouveau Élisabeth Borne
Dans le Calvados, le candidat de la nouvelle alliance de gauche affrontera l’ex Première ministre, candidate sortante en mauvaise posture à cause de son bilan désastreux. Il mise sur la réhabilitation des services publics, le pouvoir d’achat et la mobilité pour convaincre.
Chemise blanche, veste et pantalon de costume, mais Dr Martens aux pieds, Noé Gauchard distribue les tracts et les sourires au marché de Condé-en-Normandie (anciennement Condé-sur-Noireau) qui s’agite anormalement ce jeudi 27 juin. Les élections législatives anticipées du 30 juin et 7 juillet, dues à la dissolution de l’Assemblée nationale, a transformé l’entrée du marché en foire d’empoigne. « C’est la seule ville de la circonscription dans laquelle on n’a pas le droit de tracter à l’intérieur du marché, la mairie a pris un arrêté municipal », déplore-t-il, en gardant un œil sur l’équipe de Renaissance qui s’octroie parfois ce privilège.
Sur le pont qui enjambe la Durance, Noé Gauchard, candidat investi par le Nouveau Front populaire pour la 6e circonscription du Calvados doit côtoyer l’équipe d’Élisabeth Borne, députée Renaissance sortante, celle de la candidate LR Lynda Lahalle, et de Pascale Georget pour Lutte ouvrière. Et le candidat du Rassemblement national ? « On ne le voit jamais sur le terrain, il mise tout sur son affiche avec la tête de Bardella ! », grommelle François, un militant du NFP. Cette fois, le RN a décidé d’investir Nicolas Calbrix, 39 ans, un ancien du parti Debout la France, venu de Rouen.
Après un début de matinée aux côtés des enseignants et parents d’élèves de l’école du Tourneur à Souleuvre-en-Bocage qui réclament l’ouverture d’une nouvelle classe, Noé Gauchard s’emploie à convaincre de nouveaux électeurs, pas toujours facile dans cette partie de la circonscription, plus conservatrice et taiseuse. En 2022, les médias scrutaient ce territoire, car Élisabeth Borne, tout juste nommée Première ministre, se présentait aux élections législatives. Elle s’était imposée de justesse face à Noé Gauchard avec 52,47 % des voix contre 47,53 %.
Incertitudes
« Ici, on a à la fois la défaite du macronisme incarnée par l’ex Première ministre, qui a montré qu’elle n’a pas été à l’écoute des citoyens et du territoire, et la montée du RN. On ne peut pas affirmer haut et fort que c’est l’élection de la revanche contre Élisabeth Borne, car il y a beaucoup d’incertitudes autour du vote RN. En 2022, c’était déjà une surprise que la gauche soit au second tour, et je n’avais que 1 300 voix d’avance sur le RN au premier tour », analyse-t-il avec prudence. Aux élections européennes, la liste de Jordan Bardella a obtenu 34 % des voix, un score assez inédit dans cette circonscription plutôt modérée, ce qui rebat encore plus les cartes de la future élection.
On croise moins de personnes indécises : soit ils disent clairement qu’ils nous soutiennent à fond, soit ils assument de voter Jordan Bardella.
N. Gauchard
Et pendant ces deux ans, le rouleau compresseur de la politique d’Emmanuel Macron ne s’est pas arrêté puisqu’il y a eu la réforme des retraites, la réforme de l’assurance chômage, la loi asile et immigration, etc. Ainsi que le recours obsessionnel à l’article 49.3 par l’ancienne Première ministre. « Personne n’a oublié ! Pour attirer les gens d’ici, il suffit de leur dire qu’on est contre les 23 utilisations du 49.3 et ils comprennent tout de suite à qui on s’oppose », s’enorgueillit François qui distribue les tracts à tour de bras. Pour certains électeurs, leur choix n’est pas encore fait à trois jours du scrutin. « Je n’ai pas envie de voter pour le RN, ni pour Borne, mais LFI me fait un peu peur », confie un retraité qui a pourtant toujours voté, « même si c’était blanc en 2022 pour le duel Macron / Le Pen ».
Noé Gauchard parle tout de suite de l’alliance des gauches, de la crédibilité économique du programme et de sa suppléante, Annie Bihel, membre du parti socialiste depuis 50 ans, maire de Vaudry pendant deux mandats et conseillère régionale de 2004 à 2015. « Vous m’avez presque convaincu ! », lâche le passant, souriant.
« C’est beaucoup plus clivé qu’en 2022. On croise moins de personnes indécises : soit ils disent clairement qu’ils nous soutiennent à fond, soit ils assument de voter Jordan Bardella. Il n’y a plus d’entre deux, plus de masse d’hésitation au milieu. Les blocs sont figés. Il y a aussi les dépités de la politique qui ne votent plus du tout, et il y a aussi plus de violence parfois, dans les mots ou les actes », explique Noé Gauchard, qui voit régulièrement ses affiches arrachées, et dernièrement taguée des symboles nazis « SS ». Que se passera-t-il en cas de triangulaire au deuxième tour ? Pour Noé Gauchard, impossible de dire avant le premier tour s’il se désistera pour faire barrage au RN, car la décision dépendra du nombre de votes recueillis.
Le jeune candidat de 24 ans sait qu’un réservoir de voix existe, mais qu’il est difficile à agréger. Alors il mise sur son parcours et le réseau militant consolidé localement depuis deux ans. D’abord porte-parole du mouvement Youth for Climate lors des marches pour le climat, il a ensuite rejoint le Parlement de l’Union populaire avant d’être investi comme candidat par La France insoumise. Il a suivi des études de sciences politiques et a été le collaborateur ces deux dernières années de Manon Meunier, députée LFI de la Haute-Vienne, qui a particulièrement travaillé sur les sujets liés à l’agriculture.
Ancrage local
En parallèle, il n’a pas abandonné le terrain que ce soit lors de la réforme des retraites, des mobilisations des agriculteurs, ou en octobre dernier, en organisant une fête de l’Union populaire à la ferme d’Escures, à Saint-Jean-le-Blanc, en présence de Manon Aubry, Elsa Faucillon et Chantal Jourdan (candidate du NFP dans la première circonscription de l’Orne). Il y a deux ans, leur boucle de messages Telegram pour s’organiser entre militants locaux était composée de 25 personnes. Cette année, ils étaient 160 dès les premiers jours.
L’autre atout : son ancrage local. Différence de taille avec ses principaux concurrents parachutés ou aux abonnés absents. Petit-fils d’agriculteurs et fils d’enseignants sur ce territoire, il est souvent reconnu sur les marchés, et connaît parfaitement les enjeux et difficultés du territoire, malgré une circonscription très hétéroclite, qui s’étend des abords de Caen à ceux de la Manche et de l’Orne, assez conservateurs, en passant par la Suisse normande plutôt progressiste. Les sujets d’inquiétude ne sont pas surprenants : le pouvoir d’achat, les retraites, les services publics en lambeaux, les mobilités, le sentiment d’abandon et de trahison.
Il y a toutes les problématiques de la distance, de la ruralité et de l’enclavement de ces territoires qui sont loin de tout.
N. Gauchard
« Il y a toutes les problématiques de la distance, de la ruralité et de l’enclavement de ces territoires qui sont loin de tout. Mais c’est un cercle vicieux : Comment attirer les familles si les écoles, les collèges ferment ? Comment faire pour installer des médecins si le territoire n’est pas attractif avec des services publics ? Et s’il n’y a plus de services publics, les commerces ferment, les familles partent et les médecins ne veulent pas s’installer ici », analyse le candidat.
Les habitants sont encore traumatisés par la fermeture en 2013 de l’usine de plaquettes de freins Honeywell à Condé-en-Normandie pour la délocaliser en Roumanie, mais aussi par la fermeture de la maternité de Vire la même année, le manque de médecins généralistes, et la fermeture du collège dans le quartier populaire de Vire à la rentrée prochaine. L’autre grande bataille réclamée par plusieurs personnes concerne la réouverture de ligne ferroviaire Caen-Flers, fermée depuis les années 1970 et transformée en voie verte. Une alternative au tout-voiture économique et écologique.
Pour conclure la journée, une réunion publique est organisée à Thury-Harcourt, 2500 habitants, au nord de la circonscription. Celle-ci devait être consacrée à l’écologie et l’agriculture, mais seule la Confédération paysanne a accepté de s’afficher dans ce rendez-vous politique. Stéphane Bourlier, porte-parole de la Confédération paysanne Calvados, dénonce « les supercheries et les dangers de l’extrême droite pour les agriculteurs », et déplore que certains se laissent séduire par ces discours. Il lance un appel « pour des campagnes vivantes », et avertit qu’en cas de victoire du NFP, ils seront là pour leur rappeler leur programme et les propositions des défenseurs d’une agriculture paysanne.
Appliqué et enthousiaste, Noé Gauchard énumère les trois points clefs pour les agriculteurs, « pas compliqués à mettre en place avec de la volonté politique » : des prix planchers rémunérateurs, un encadrement des marges pour l’agro-industrie et la grande distribution, et la fin des traités de libre-échange pour ne pas avoir « du lait de Nouvelle-Zélande alors qu’on a tout ce qu’il faut ici, dans l’ouest de la France, pour la production laitière ».
Méfiance
Emmanuel, paysan à Ouézy, apostrophe le candidat avec un brin de provocation. « Imaginez, vous devenez ministre de l’Agriculture : vous aurez à votre droite la FNSEA, à votre gauche l’Europe, sans oublier la grande distribution et les lobbies. Vous n’aurez plus le temps pour la Confédération paysanne, pour nos propositions. Comment ferez-vous ? », interroge-t-il avant de s’excuser de jouer les oiseaux de mauvais augure. La cinquantaine de personnes présentes dans la salle soutient Noé Gauchard et le NFP, mais point tout de même la méfiance, la crainte d’être déçues une nouvelle fois par les élus et par la gauche.
Ne vous déchirez pas, le Nouveau Front populaire doit rester uni jusqu’au bout !
Rester vigilant après le 7 juillet et continuer de faire pression sur les élus trotte dans toutes les têtes. « Ne vous déchirez pas, le Nouveau Front populaire doit rester uni jusqu’au bout !, supplie Nathalie, salariée syndiquée à la CGT. Et si tu es élu, Noé, s’il te plaît, n’oublie pas ta circonscription, car ici aussi, on a de grands besoins ! » Le mot est passé.
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