Nouveau Front populaire : une gauche unie et prête à gouverner
En présentant un « contrat de législature » et en promettant une « autre » façon de procéder quant à la désignation du chef de file de l’alliance, la gauche rassemblée défend son projet de gouvernement.
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À Montreuil, le Nouveau Front populaire se lance malgré les brouilles Nouveau Front populaire : derrière la « purge politique » à LFI, l’union des gauches fragilisée Front de la jeunesse populaire : « On n’est pas là simplement pour faire barrage » Nouveau Front populaire : ils l’ont fait et c’est historique !La gauche a passé la seconde. En quatre jours, tout a été réglé. La répartition des circonscriptions ? D’accord. Le programme commun ? Signé. Le candidat au poste de Premier ministre ? La question est remise à plus tard. Mais le plus difficile vient peut-être d’être fait : de lundi jusqu’à jeudi soir, insoumis, socialistes, écologistes et communistes ont réussi à s’entendre pour faire campagne ensemble pour ces législatives anticipées dans le cadre d’une nouvelle alliance baptisée « Nouveau Front populaire ». Dans le communiqué diffusé jeudi 13 juin aux alentours de 20 heures 30, les forces de gauche affirment avoir « œuvré à un programme politique de rupture avec une déclinaison pour les 100 premiers jours du mandat, des propositions concrètes et réalistes, pour que la vie des Françaises et des Français change, vraiment ».
Ce vendredi 14 juin en milieu de journée à la Maison de la Chimie, à quelques pas de l’Assemblée nationale, toute la gauche s’est attelée à présenter son programme que tous les cadres et élus préfèrent appeler « contrat de législature », qui « comprend près de 150 mesures qui détaille et qui séquence notre programme de rupture. Il s’agit de proposer au pays une rupture totale avec la politique d’Emmanuel Macron pour répondre aux besoins immédiats du peuple et faire la bifurcation écologique aujourd’hui indispensable », annonce Manuel Bompard, coordinateur national de La France insoumise. Ce document électoral de 24 pages se découpe en trois temporalités. Les 15 premiers jours, c’est « la rupture ». Les 100 premiers jours, « l’été des bifurcations ». Les mois suivants, « les transformations ».
Dans un premier temps, le Nouveau Front populaire décrétera l’état d’urgence sociale. Blocage des prix sur l’alimentation et l’énergie, abrogation de la réforme des retraites et de l’assurance-chômage, hausse du Smic à 1 600 euros net, revalorisation des APL de 10 %, mise en place de prix planchers pour les agriculteurs, relance de la construction de logements sociaux, mise en place de la gratuité des cantines scolaires et des fournitures… La gauche rassemblée compte bien récupérer l’électorat qui s’est tourné vers le Rassemblement national à coups de mesures très sociales.
Concernant l’écologie, le Nouveau Front populaire met la priorité sur l’adoption d’un moratoire sur les mégabassines et le décret d’un moratoire sur les grands projets d’infrastructures. Quant à l’Union européenne, il refusera les contraintes austéritaires du Pacte budgétaire et proposera une réforme de la politique agricole commune. Mais la gauche n’oublie pas non plus le volet sécuritaire puisqu’elle propose notamment le déploiement de premières équipes de police de proximité, l’interdiction des LBD et le démantèlement des Brav-M.
Bifurcations
Dans un second temps, celui des « bifurcations », le Nouveau Front populaire promet 5 grandes lois pour le pouvoir d’achat (contenant l’indexation des salaires sur l’inflation), pour la santé (proposant de réguler l’installation des médecins dans les déserts médicaux), sur l’éducation (en défendant la réduction des effectifs par classe ou la mise en place d’une garantie d’autonomie qui complète les revenus des ménages situés sous le seuil de pauvreté), un important texte sur l’énergie et le climat qui garantira le principe de la règle verte et planifiera la neutralité carbone en 2050, et un projet de loi de finances rectificative le 4 août, réformant l’héritage et rétablissant un impôt de solidarité sur la fortune (ISF) qui intègre un volet climatique.
Enfin, la gauche définit dès aujourd’hui les 21 grands chantiers sur lesquels elle travaillera les mois qui suivront sa potentielle arrivée au gouvernement. Pour le service public, le Nouveau Front populaire souhaite lancer le rattrapage des postes manquants de fonctionnaires à l’hôpital public, dans le soin et le médico-social, à l’école publique, dans la justice, dans les services et les agences de l’État, en revalorisant les métiers et les salaires et veut un plan Grand âge pour rénover les Ehpad. Concernant les institutions, la gauche défend l’instauration du référendum d’initiative citoyenne (RIC), l’abrogation du 49.3. Et surtout, le passage à une VIe République en convoquant une assemblée constituante citoyenne élue.
Quant aux droits des travailleurs, le Nouveau Front populaire s’est par exemple mis d’accord sur une conférence nationale sur le travail et la pénibilité. Six mois après le mouvement des agriculteurs, la gauche réaffirme également ses propositions sur le sujet : interdiction de « l’importation de toute production agricole ne respectant pas nos normes sociales et environnementales » et soutien de l’agroécologie et de la filière bio. Pêle-mêle, la gauche réunifiée soutient l’arrêt du service national universel (SNU), l’abrogation de la loi asile et immigration ou l’annulation des dispositions « liberticides » des lois sécurité globale et séparatisme.
Au diapason sur l’international, les retraites et le nucléaire
Les gauches ont même réussi à s’aligner sur les questions internationales, et notamment l’Ukraine et le conflit israélo-palestinien, principaux sujets de conflit de ces derniers mois. Le Nouveau Front populaire défend « indéfectiblement la souveraineté et la liberté du peuple ukrainien » par la livraison d’armes et la saisie des avoirs des oligarques qui « contribuent à l’effort de guerre russe ». Les actes du Hamas sont qualifiés de « massacres terroristes » et la gauche demande à « faire respecter l’ordonnance de la Cour Internationale de Justice (CIJ) qui évoque, sans ambiguïtés, un risque de génocide ». La bataille sémantique, qui avait divisé les socialistes et les insoumis, vient donc de prendre fin. Néanmoins, le chapitre européen laisse tomber la question de l’élargissement de l’Union à l’Ukraine.
Autres points de cristallisation des négociations : le nucléaire et l’âge de départ à la retraite. Le programme propose de « revenir sur la fusion entre l’Agence de sûreté nucléaire (ASN) et l’Institut de recherche sur la sûreté nucléaire (IRSN) » mais ne pose pas frontalement le sujet de la place de l’atome dans le mix énergétique français, même si le programme annonce toutefois la volonté d’un renforcement de la « structuration de filières françaises et européennes de production d’énergies renouvelables ». Concernant les retraites sur lesquelles les gauches n’étaient pas d’accord sur 60 ans ou 62 ans, le texte programmatique annonce « réaffirmer l’objectif commun du droit à la retraite à 60 ans ».
Nous avons tous fait des pas pour converger l’un vers l’autre.
F. Roussel
« Nous avons tous fait des pas pour converger l’un vers l’autre », concède Fabien Roussel, secrétaire national du Parti communiste (PCF). « On est venus avec des lignes très claires sur la question de l’Ukraine, la caractérisation des massacres terroristes du Hamas, sur la question de l’antisémitisme. Et on a tous fait des pas incroyables en un temps record », témoigne Aurore Lalucq, eurodéputée Place publique. Ceux qui ont fait partie des négociations décrivent ce contrat de législature comme un empilement de propositions venant des programmes de toutes les chapelles de gauche, mais aussi du travail des quatre groupes élus à l’Assemblée nationale sous l’étiquette de la Nouvelle union populaire, écologique et sociale (Nupes) en 2022.
« Nous allons faire quelque chose d’inédit »
Dans le jardin de la maison de la Chimie ce 14 juin, les gauches s’affichent fièrement ensemble, comme si la campagne des européennes n’avait pas finalement eu lieu. Tous se sont félicités d’avoir pu bâtir en moins d’une semaine un plan de gouvernement face au péril fasciste. « Nous allons faire quelque chose d’inédit. Nous serons à la hauteur de la crise politique, sociale, environnementale, et institutionnelle », dit Marine Tondelier, secrétaire nationale des Écologistes. « Entre les uns qui partent dans la collaboration avec Marine Le Pen, et les autres qui sont la cause de l’exaspération et de la montée de l’extrême droite, il reste nous », affirme Olivier Faure, premier secrétaire du PS.
Bien sûr, il faudra que quelqu’un soit Premier ministre ou à la présidence de l’Assemblée, mais il faut surtout une équipe.
M. Tondelier
Mais il reste néanmoins une question : qui sera le visage de ce Nouveau Front populaire ? « Nous sommes une équipe. Bien sûr, il faudra que quelqu’un soit Premier ministre ou à la présidence de l’Assemblée, mais il faut surtout une équipe », répond Marine Tondelier. « Nous sommes une team. C’est notre équipe de France et on veut surtout marquer des points. En fonction de la majorité qui se dessinera à l’Assemblée, on verra qui est le meilleur d’entre nous », pour Fabien Roussel.
« Le portrait-robot de la personne qui dirigera le gouvernement est simple : il faut quelqu’un qui puisse fédérer la coalition, quelqu’un qui puisse réparer ce pays fracturé, estime Olivier Faure. Ça peut être François Ruffin, c’est un nom possible parmi d’autres mais je ne décide pas tout seul. Il faut une autre façon de procéder et je ne dirai de mal de personne. » Pour le moment, la proposition du nom qui pourrait accéder à Matignon en cas d’obtention de la majorité au Palais Bourbon se décidera en fonction de l’importance du groupe politique élu à l’Assemblée le 7 juillet, date du second tour des législatives anticipées.
En attendant les débats télévisés, les chefs de parti pourraient se succéder de manière tournante pour porter la voix du Nouveau Front populaire. En clair, la gauche tourne enfin la page des velléités hégémoniques.
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