« Vous avez déjà entendu le RN parler de patriarcat ? »
Alors que le Planning familial a appelé à voter pour le Nouveau Front populaire, Sarah Durocher, sa présidente, revient sur cette décision et appelle à se mobiliser à la manifestation du 23 juin pour préserver les droits des femmes et des personnes LGBTQI+ face à l’extrême droite.
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Dans l’Essonne, l’optimisme infaillible des « vieilles du porte-à-porte » La riposte féministe bouillonne face à l’extrême droiteLe Planning familial, ce sont 450 000 personnes accompagnées chaque année, en plus des 150 000 jeunes dans 3 000 établissements scolaires. Des dizaines de milliers de femmes, souvent précaires, qui demandent des conseils pour un contraceptif, un avortement, entreprendre des démarches administratives ou pour dénoncer des violences conjugales. Et autant de personnes gay ou trans qui ont besoin de réconfort, de soin, d’informations ou d’aide face aux agressions qu’elles subissent.
Cette organisation, installée dans 80 départements, pourrait être rayée de la carte en cas de majorité de l’extrême droite à l’Assemblée nationale. Des risques importants en termes de rupture de droit et d’accès aux soins que Sarah Durocher, sa présidente, développe pour Politis, alors qu’une manifestation féministe est prévue à l’appel de nombreuses organisations ce dimanche 23 juin.
Pourquoi votre appel à voter Nouveau Front populaire vous semblait aussi nécessaire ?
Sarah Durocher : On avait déjà appelé à voter pour un candidat : c’était en 1981 pour François Mitterrand, et en 2007, pour Ségolène Royal. Mais là, la situation est exceptionnelle, d’autant plus depuis notre position où l’on subit les conséquences de la montée en puissance de l’extrême droite depuis plusieurs années. Pour le Planning familial, c’était une question de survie, et donc pour les 450 000 personnes que l’on accueille tous les ans. On a décidé de se positionner clairement puisqu’on avait devant nous deux projets de société : un qui poursuivait notre politique d’accès aux droits pour les personnes qui en sont le plus éloignées, et l’autre qui veut censurer, attaquer, et assécher les finances du Planning. On n’avait pas le choix. Il fallait se positionner.
Les femmes pauvres, les femmes seules, non-blanches, handicapées ou sans-papiers, nous serons les premières ciblées.
Si le Rassemblement national arrive au pouvoir, que pourrait-il décider pour le Planning familial ?
Les femmes pauvres, les femmes seules, non-blanches, handicapées ou sans-papiers, nous serons les premières ciblées. Depuis plusieurs années, des parlementaires demandent la baisse de nos financements, tout comme des élus locaux pour nos antennes départementales. Le Planning a toujours été attaqué parce qu’il veut une société plus juste. Les 89 députés du Rassemblement national légitiment l’action violente des mouvements d’extrême droite. Des locaux sont attaqués. Des messages anti-IVG sont affichés. On sent que nos libertés d’expression seraient limitées.
Plus le RN a de députés, plus les femmes sont en danger dans leurs droits les plus élémentaires. Nos financements seraient coupés, nos actions d’accompagnement pour avorter, de sensibilisation sur l’éducation sexuelle et affective, d’accès au droit et aux soins seraient limitées voire annulées. Comment les 150 000 jeunes vont-ils s’informer librement ? Où vont aller les femmes qui veulent avorter ? Le RN est un ennemi du droit des femmes.
La politique du RN aura des conséquences sur nos mères, nos sœurs, nos amies, nos voisines, mais sur vous-même aussi.
Après l’attaque des locaux du Planning familial en Gironde, dans la nuit du mardi au mercredi 8 février 2023, vous dénonciez le double jeu de l’extrême droite : « dédiabolisation d’un côté », « attaques répétées envers des organisations de l’autre ». Craignez-vous que son accession au pouvoir renforce cette logique ?
Il y a un lien évident entre le RN et les groupuscules ultraviolents. L’extrême droite est la même partout : le fascisme, cela ne s’essaie pas parce que ce serait nouveau. Au lendemain des élections européennes où le RN est arrivé en tête, un jeune homosexuel s’est fait tabasser. Plus le RN est haut, plus il légitime ces exactions.
Dans une vidéo postée ce lundi, Jordan Bardella se présente comme un défenseur des « droits de la femme ». Il promet « le droit fondamental à disposer de son corps ». Pourtant, pour citer un exemple parmi d’autres, la moitié des députés RN (42 sur 88) a voté contre la constitutionnalisation du droit à l’IVG. Votre prise de position est-elle aussi là pour soulever cette hypocrisie ?
Il faut rétablir certaines vérités : le RN n’a aucune définition d’un programme féministe. Pas plus sur les questions LGBTQIA+. D’ailleurs, dans sa vidéo, Jordan Bardella n’en parle même pas. Comme si ces personnes n’existaient pas. Et sur l’avortement, déjà la moitié des députés a voté contre sa constitutionnalisation, mais en plus, ils se sont toujours opposés à l’allongement des délais d’IVG. Ils instrumentalisaient le droit des femmes. Jordan Bardella utilise le droit des femmes pour s’attirer leur vote ; pourtant, dès que l’extrême droite arrive au pouvoir, les femmes déchantent et luttent contre leur projet de société réactionnaire.
Le Planning familial est présent dans 80 départements. Jusqu’à quel point vous affaiblir aurait des conséquences sur la santé des femmes précaires, dont se réclame pourtant le RN ?
Diviser les femmes, c’est une spécialité de l’extrême droite. Pour nous, il n’y a pas de division.
On a deux formes d’actions : des personnes viennent nous voir, et il y en a d’autres que l’on rencontre en se déplaçant dans des centres sociaux, des centres d’hébergement, des maisons à caractère social. Tout cela risque d’être sérieusement fragilisé. La politique du RN aura des conséquences sur nos mères, nos sœurs, nos amies, nos voisines, mais sur vous-même aussi, parce que l’on est tous et toutes concernées. Le RN a une politique nataliste et hétérocentrée. Ils repoussent l’idée d’un droit à l’avortement et placent l’hétérosexualité au rang de modèle. Mais le 8 juillet, on sera prêtes à riposter. On discutait déjà avec les Colombiennes et des Argentines pour savoir comment elles avaient lutté contre le fascisme chez elles. On pensait avoir 3 ans devant nous ; on a trois semaines.
« Le RN souhaite ramener les femmes à la maison et leur dire de faire des enfants »
Quand il s’adresse aux femmes, le RN cherche beaucoup à les diviser pour mieux discriminer celles que le parti rejette, à savoir les femmes racisées et surtout musulmanes. Comme si ces femmes s’opposaient. Que voudriez-vous répondre à cette stratégie ?
On est un mouvement féministe et intersectionnel qui propose un accueil inconditionnel des personnes. On prend en compte l’ensemble des dominations que peuvent subir les personnes qui viennent nous voir. Diviser les femmes, c’est une spécialité de l’extrême droite. Pour nous, il n’y a pas de division. Si certaines femmes sont privilégiées, on vit toutes le patriarcat. D’ailleurs, vous avez déjà entendu le RN parler de patriarcat ? Jouer sur les questions d’insécurité migratoire en parlant des violences, c’est méconnaître ce fait établi par toutes les études : l’immense majorité des violeurs font partie de l’entourage de la victime. Le discours du RN n’est pas un discours d’émancipation des femmes : il souhaite les ramener à la maison et leur dire de faire des enfants.
Emmanuel Macron plonge dans l’électoralisme de bas étage et participe à l’exclusion de toute une partie de la population.
Il y a deux ans, votre campagne sur l’accueil d’hommes enceints au Planning avait suscité une vague de violence sur les réseaux sociaux de la part de l’extrême droite. Deux ans plus tard, c’est Emmanuel Macron lui-même qui déclare qu’il serait possible de « changer de sexe en mairie » si le NFP arrivait au pouvoir. Que signale ce glissement du macronisme à l’extrême droite ?
On observe une offensive antitrans à travers toute la planète depuis plusieurs semaines. Le macronisme n’a jamais rien fait pour améliorer le quotidien des personnes trans ; pire, il laisse l’extrême droite les violenter. Emmanuel Macron plonge dans l’électoralisme de bas étage et participe à l’exclusion de toute une partie de la population. Cela s’accompagne aussi d’une désinformation générale et d’une invisibilisation des personnes trans que l’on ne voit jamais sur les plateaux télé. Le 8 juillet, je serai très inquiète pour elles. Mais le Planning sera toujours à leur côté.
Alors qu’un nouveau programme va être mis en place autour de la vie affective et sexuelle, des associations de la droite conservatrice et d’extrême droite, comme Parents vigilants, issus du mouvement de Zemmour, ont multiplié les pressions contre l’administration et les établissements scolaires. La sexualité a-t-elle été un sujet abandonné par la gauche ?
L’éducation à la sexualité, c’est un projet de société. C’est une société moins violente, moins LGBTphobe, moins confrontée aux IST et au VIH. Cette société-là, c’est notre projet. C’est pour cette raison que nous sommes violemment attaquées par des associations fascistes comme Parents vigilants ou SOS Éducation. Parce que connaître ses droits, pouvoir choisir, c’est émancipateur. Or le projet de société que propose le RN est à mille lieues de celui-là. Mais la gauche ne s’en est pas saisie. Il faut désormais qu’elle dispose du courage politique suffisant pour faire siens ses sujets.
Le RN réserve l’éducation à la sexualité au cercle familial. Mais souvent, comme le montrent les études de sciences sociales, les familles peuvent aussi perpétuer voire renforcer les souffrances ou les oppressions…
L’école, pour nous, doit parler d’éducation à la sexualité. La famille ne peut pas être toujours sécurisante sur ce sujet. Si vous avez un test de grossesse positif, vous pouvez être virée de chez vous. Si vous faites votre coming out, vous pouvez être viré de chez vous. Pourtant, le RN met en avant la famille comme si c’était un lieu où tout devait se régler. Alors que pour nous, les violences, la sexualité, c’est politique. Et ça doit être débattu, appréhendée collectivement. Le RN mène une stratégie de privatisation de questions dont doit s’emparer la société entière.
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