La montée au Front

Politiques, syndicalistes, militants, citoyens : tous, conscients de la gravité du moment, appellent à l’union. Et si l’urgence a le mérite de pousser à l’action, les lendemains sont aussi dans tous les esprits.

Hugo Boursier  et  Lucas Sarafian  • 12 juin 2024
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La montée au Front
Rassemblement place de la République, à Paris, le 11 juin 2024, le soir de l'annonce d'une union de la gauche pour les législatives de juin et juillet.
© Maxime Sirvins

« Les disputes de personnes et d’ego doivent être interrompues » 

Julia Cagé, professeure d’économie, Sciences Po Paris, initiatrice de l’appel : unionmaintenant.fr

Aujourd’hui, la principale force d’opposition à l’extrême droite, ce n’est plus celle portée par Emmanuel Macron, qui fait 15 % des suffrages aux élections européennes, mais les gauches et les écologistes. Ce camp-là représente pas moins de 32 %. Un score qui pourrait être encore plus élevé s’il s’accompagne d’une réelle dynamique de mobilisation. Il faut impérativement un seul candidat de gauche par circonscription. Si la gauche n’arrive pas à se mettre d’accord, elle va faire gagner l’extrême droite dans trois semaines. C’est cela, la condition de la victoire.

(Photo : Nathalie Eno / AFP.)

La société civile ne peut faire sans les partis, mais les partis ne peuvent pas rester seuls dans cette course. Car c’en est une : un dépôt de candidature en une semaine, et seulement deux semaines de campagne, cela représente un véritable déni de démocratie. Bien sûr, la société civile n’est pas là pour se substituer aux partis. Mais elle se mobilise. Elle affirme un message simple. Les disputes de personnes et d’ego doivent être interrompues. C’est l’histoire de France qui se joue.


« Seule la gauche peut demain incarner l’alternative » 

Nicolas Mayer-Rossignol, maire PS de Rouen

Le résultat du 9 juin se résume à deux mots : l’effroi et l’espoir. L’effroi car l’extrême droite française n’a jamais été aussi haute dans notre pays et en Europe. Longtemps érigé en prétendu rempart, le macronisme n’est plus. Emmanuel Macron a été élu pour faire barrage à l’extrême droite. Il a failli. Si rien n’est fait, l’extrême droite va déferler partout. Et seule la gauche peut demain incarner l’alternative. L’espoir, car la ligne que nous portions depuis deux ans, incarnée par Raphaël Glucksmann, émerge à gauche.

(Photo : Geoffroy Van der Hasselt / AFP.)

Cela démontre que la gauche sociale-écologiste européenne, républicaine, peut convaincre dès lors qu’elle fait preuve de sincérité et de clarté.  J’appelle tous les démocrates de combat, de gauche, socialistes, écologistes et de progrès à se rassembler en évitant les écueils passés du social-libéralisme gestionnaire comme du social-populisme outrancier. Rassemblons-nous dès aujourd’hui autour de cette ligne claire, celle de Raphaël Glucksmann, pour gagner demain.


« Sous le RN, les syndicats n’exerceraient plus leur rôle de contre-pouvoir » 

Murielle Guilbert, codéléguée générale de l’union syndicale Solidaires

Les syndicats partagent toutes les menaces que l’extrême droite fait porter sur les travailleurs et les travailleuses. Dans leur quotidien, leur condition, leurs droits, mais aussi dans leur représentation. L’arrivée au pouvoir du Rassemblement national plongerait notre démocratie dans un régime où les syndicats n’exerceraient plus leur rôle de contre-pouvoir. Aujourd’hui, nous avons deux objectifs majeurs. Le premier est d’être sur le terrain des entreprises et de montrer l’ampleur des risques sociaux que pourraient encourir les sympathisants du RN s’ils confirmaient leur vote. Mais il faut être lucide, les organisations syndicales sont toutes traversées, à des degrés très variables, par le vote RN.

(Photo : Henrique Campos / Hans Lucas / AFP.)

Nous pouvions penser que cette période si particulière inviterait toutes les organisations syndicales à s’exprimer clairement contre l’extrême droite, mais Force ouvrière, la CFTC et la CFE-CGC n’ont pas signé notre communiqué commun avec la CGT, la CFDT, FSU et l’Unsa. Y compris à Solidaires, nous devons nous interroger sur la manière dont nous parlons aux travailleurs et travailleuses. Et ne pas tomber dans une forme de culpabilisation stérile. L’autre objectif est de convaincre les abstentionnistes. Certains assurent que le monde du travail ne semble pas être aussi affolé que le monde militant face à l’extrême droite. Il ne faut pas tomber dans ce fatalisme. Le macronisme n’a rien entendu des revendications des travailleurs et des travailleuses, et de toutes celles et ceux qui sont en désespérance sociale.L’extrême droite adoptera la même attitude. À nous de mener le combat.


« Alerter sur l’imposture sociale de l’extrême droite »

Céline Verzeletti, secrétaire confédérale de la CGT

L’extrême droite s’est nourrie de la désespérance sociale produite par des décennies de politiques libérales, notamment celles menées par Emmanuel Macron. Face aux inégalités sociales qui explosent, nous voulons porter des revendications claires. C’est pourquoi nous irons massivement sur les lieux de travail pour alerter sur l’imposture sociale de l’extrême droite. Nous appuierons sur le fait que l’extrême droite a voté contre l’augmentation du Smic, contre l’indexation des salaires sur l’inflation et, s’agissant de Jordan Bardella, contre l’augmentation des minima salariaux au Parlement européen.

Céline Verzeletti
(Photo : Riccardo Milani / Hans Lucas / AFP.)

Mais nous n’oublions pas la dimension raciste de ce parti. Et nous dirons à quel point la préférence nationale est une impasse. Notre rôle, c’est de créer les conditions qui doivent permettre l’application d’une politique de rupture. Cela implique aussi la reprise de nos revendications communes par le Front populaire. Nous avons appelé à l’unité de la gauche, ce qui est rarissime à la CGT. Si, par le passé, nous avons toujours dit qu’il fallait faire barrage à l’extrême droite, là, nous avons franchi un cap. L’urgence, c’est l’union. Et le maintien d’une pression sociale constante.


« Si le RN arrive au pouvoir, les habitants des quartiers populaires seront les premières victimes »

Mohamed Mechmache, membre de l’Assemblée des quartiers populaires

L’Assemblée des quartiers populaires n’est pas dupe. Les tractations recommencent avec nos militants, alors qu’une liste de gauche unie aurait pu réunir plus de 25 % des voix, empêchant ainsi le Rassemblement national de jouer les fanfarons. Aujourd’hui, il faut que chacun ait conscience que si le RN arrive au pouvoir, ce sont les habitants des quartiers populaires qui seront les premières victimes. Je reste convaincu qu’il faut qu’on soit acteurs et auteurs, et non pas seulement spectateurs. Quoi qu’il arrive. Si ce n’est pas entendu, des militants pourraient être susceptibles de se présenter.

Mohamed Mechmache
(Photo : Bertrand Guay / AFP.)

Nous sommes légitimes. Ceux qui revendiquent de lutter contre toutes les injustices sociales ne peuvent pas se permettre de ne pas écouter celles et ceux qui les vivent au quotidien, et qui militent contre elles depuis des années. Depuis toujours, les cadres de parti nous mettent devant le fait accompli face à la montée en puissance de l’extrême droite. Mais cette responsabilité-là ne nous incombe pas. On ne nous a jamais mis autour d’une table. De fait, les discussions se sont toujours faites pour nous, mais sans nous. Ce ne peut plus être le cas.


« Nous avons désormais une responsabilité historique »

Sandrine Rousseau, députée (Les Écologistes) de Paris

Cette dissolution, c’est le geste d’une personne qui ne veut pas perdre. Mais, dans ce contexte, les gauches peuvent créer la surprise. Il faut néanmoins arriver à dépasser les désaccords qui se sont exprimés pendant plusieurs semaines durant cette campagne des européennes. Et il faudra s’accorder ensemble et défendre une alliance en un temps record. Nous avons un programme qui nous engage, celui de la Nouvelle Union populaire écologique et sociale (Nupes) que nous avons tous signé en 2022, c’est un programme de combat qui est toujours d’actualité.

Sandrine Rousseau
(Photo : Serge Tenani / Hans Lucas / AFP.)

Nous avons désormais une responsabilité historique. L’heure est grave car le parti de Jean-Marie Le Pen, contre lequel nous avons manifesté en 2002, peut accéder au pouvoir. Il y a deux voies : le fascisme et le front populaire. Et nous serons le front populaire. Dans ce cadre unitaire, nous pouvons gagner. Les électeurs de gauche demandent l’unité. Mais la gauche doit être à la hauteur du moment.


« Un gouvernement d’extrême droite aurait un impact majeur contre les droits des plus précaires »

Nathalie Tehio, présidente de la Ligue des droits de l’homme

La progression des droites et des extrêmes droites suit la même tendance dans les États membres de l’Union européenne. Ce n’est pas une surprise mais, en France, la poussée de l’extrême droite est telle qu’on ne peut que craindre un vote de conviction, ce qui démontrerait un enracinement des idées contraires aux valeurs de la République, de liberté, d’égalité et de fraternité. Dans ces conditions, la dissolution du Parlement décidée dans la foulée fait craindre le pire. Aussi la LDH ne peut qu’appeler les associations et les syndicats à peser ensemble sur les forces progressistes sociales et écologiques pour qu’elles s’unissent et se mobilisent lors des prochaines élections législatives.

Nathalie Tehio
(Photo : Joël Saget / AFP.)

Nous devons aussi convaincre les abstentionnistes qu’un gouvernement d’extrême droite aurait un impact majeur contre les droits des plus précaires, des minorités de genre, contre les quartiers populaires et, à plus long terme, contre les femmes. La désignation des personnes exilées comme boucs émissaires fait craindre une accélération de la dégradation de leur accueil. Si certains électeurs pensent ainsi résoudre leurs problèmes quotidiens accrus par la politique néolibérale menée par Emmanuel Macron, la réalité est que l’autoritarisme se renforcerait encore et que les politiques d’exclusion qui seraient menées les toucheraient également. C’est ce que vivent les peuples qui ont déjà fait ce choix.


« Le combat contre l’extrême droite est voué à l’échec si on nie le racisme qui est sa matrice »

Fatima Ouassak, autrice et militante

Cela fait longtemps que je participe à l’union des luttes et à l’organisation d’un « front populaire ». Mais encore faut-il que les personnes et les organisations qui mènent réellement des combats contre le racisme et l’islamophobie aient une place légitime dans le combat contre l’extrême droite. Depuis les résultats des élections européennes et l’annonce de la dissolution de l’Assemblée nationale, dimanche 9 juin, c’est comme s’il y avait ce constat implicite que la lutte contre l’extrême droite ne devait pas être laissée aux Noirs et aux Arabes. Ils décident de lutter entre Blancs contre le racisme. Critiquer cela, dire qu’il faut permettre aux personnes racisées d’être écoutées et comprises, c’est déjà passer pour la rabat-joie de service. Or le combat contre l’extrême droite est voué à l’échec si on nie le racisme qui est sa matrice. Le seul combat antiraciste qui compte, c’est celui que les antiracistes mènent au quotidien et de longue date.

Fatima Ouassak
(Photo : Maxime Sirvins.)

C’est affligeant de constater que les tambouilles politiques à l’œuvre vont permettre une alliance avec des gens qui ont parlé de « dommages collatéraux » lorsque des enfants palestiniens ont été massacrés, des gens qui ont tenu des propos islamophobes ou qui étaient en phase avec la déchéance nationale. Et tout cela pourrait se faire au nom du front populaire ? Pour nous, la question palestinienne ne peut disparaître dès le lendemain des élections européennes sous prétexte qu’elle va fâcher le Parti socialiste. Ce double discours illustre le rapport traditionnel que la gauche entretient avec les quartiers populaires. Ils sont vus comme des zones à forte densité électorale, ou comme des victimes qui doivent colorer des flyers de partis politiques. Jamais comme des acteurs politiques à part entière. C’est précisément de cette manière-là que nous agissons, nous, militants antifascistes des quartiers, et notamment en nous organisant de manière autonome.

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