Un an après Nahel, à Nanterre : « Ne jamais baisser la garde »
Une marche blanche était organisée en l’honneur de Nahel, ce samedi 29 juin à l’appel de Mounia Merzouk, la mère de l’adolescent tué par un policier le 27 juin 2023, à Nanterre.
Si le silence a remplacé le fracas, la colère, elle, reste inchangée. Un an jour pour jour après la marche blanche organisée par Mounia Merzouk, la mère du jeune Nahel, abattu le 27 juin 2023 par un policier lors d’un contrôle routier, seuls des chuchotements se font entendre sur l’esplanade du Général de Gaulle, à Nanterre, où une nouvelle marche s’apprête à s’élancer. Douze mois plus tôt, des milliers de personnes foulaient le quartier pour soutenir la famille de « ce jeune que tout le quartier connaissait et appréciait », souligne un habitant. Le rassemblement s’était poursuivi toute la nuit dans la fumée des incendies et des gaz lacrymogènes. Mais ce samedi 29 juin 2024, la rage se conjugue dans le calme. Et l’amertume.
Face à l’enseigne du Crédit mutuel qui avait brûlé l’an dernier, et dont la devanture n’a pas été réparée, des jeunes sortent d’un carton les t-shirts blancs qu’ils vont arborer toute l’après-midi. « Prenez-en, ils sont gratuits, tout le monde doit le porter aujourd’hui », fait circuler une mère du quartier Pablo Picasso. Ses célèbres tours se dressent derrière le quartier d’affaires de La Défense. La foule, qui ne dépasse pas le millier de personnes, forme un seul et même cortège. L’heure est au recueillement. Les cloches de l’esplanade sonnent 14 h 00. Une soixantaine de jeunes entourent Mounia Merzouk. Tous ont, gravé sur leur tenue, « Justice pour Nahel, né le 25/02/2006, exécuté le 27/06/2023 ».
Ce que j’ai vu pendant les manifestations des gilets jaunes, j’en ferai des cauchemars toute ma vie. J’ai du sang dans mes souvenirs.
Alexis observe le cortège se mettre en place. « Mon grand-père habite Pablo, c’était important pour moi de venir ici », explique-t-il. Il a fait le déplacement depuis le département voisin du Val-d’Oise, où il habite. L’an dernier, il n’a pas pu se joindre aux manifestations qui avaient enflammé la France pendant plusieurs jours. « Je travaillais en alternance en restauration, c’était trop compliqué », regrette celui qui assure, aujourd’hui, « faire toutes les manifs, celles contre le RN, celles contre Macron, en soutien à la Palestine, tout ». Une dame tend l’oreille. Elle s’appelle Nathalie. « Ce qui touche cet enfant-là, ça touche les miens aussi », pointe la mère de trois enfants, dont un adolescent. « J’habite aux Beaudottes, à Sevran, le quartier catalogué le deuxième plus dangereux de France ! » ironise-t-elle, en reprenant son sérieux une poignée de secondes plus tard, alors que la marche démarre.
« Elle est où la République ? »
« Les médias parlent tout le temps de la violence et du racisme dans les quartiers populaires. Mais regardez le reportage où le journaliste porte une kippa et où tout le monde est poli avec lui ! » lance celle qui travaillait longtemps dans l’action culturelle à Nanterre. Elle fait référence à reportage réalisé par un journaliste d’Envoyé spécial, en 2015. Elle le poursuit : « Ce que j’ai vu pendant les manifestations des gilets jaunes, j’en ferai des cauchemars toute ma vie. J’ai du sang dans mes souvenirs. Elle est où, la République ? » interroge-t-elle.
Beaucoup ont en tête le premier tour des législatives du lendemain. Mais la consigne, donnée cette semaine sur le compte Instagram « Justice pour Nahel », était de ne pas trop mêler ce scrutin à l’évènement. La « propagande », interdite à chaque veille d’une élection, aurait perturbé le déroulé du rassemblement. « Nous ne ferons pas de commentaire en respect à la seule personne qui doit être écoutée aujourd’hui, la mère de Nahel », glisse la première adjointe à la mairie de Nanterre, Zahra Boudjemaï. Plusieurs politiques sont présents : l’ancienne présidente du groupe insoumis à l’Assemblée nationale, Mathilde Panot, la nouvelle eurodéputée de LFI, Rima Hassan, ou l’insoumis Éric Coquerel, mais aussi Anasse Kazib, candidat en Seine-Saint-Denis.
« Gérald Darmanin, c’est déjà l’extrême droite, en vérité »
Malgré cette consigne, la droitisation du pouvoir est très souvent pointée du doigt par les personnes présentes. « Gérald Darmanin, c’est déjà l’extrême droite, en vérité », regrette Alex, 30 ans. « Mais si le RN passe, ça peut s’aggraver », craint-il, en pointant notamment la légitime défense qu’utiliseraient les policiers pour justifier leur violence. Il a peur qu’elle ne devienne « automatique », alors que 21 personnes ont été tuées lors d’un contrôle routier depuis 2020.
Il faut se battre, malgré l’injustice, malgré le racisme…
Hamid
La fascisation du pouvoir, Marie* la perçoit aussi. « Les racistes attaquent déjà quotidiennement les Noirs, les Arabes… Maintenant comme ils se sentent pousser des ailes, dès que je vois une femme voilée qui marche seule dans la rue, j’essaie de me mettre à côté d’elle », décrit-elle. Son fils, noir, âgé de 45 ans, n’est pas rentré cette nuit. « Avant, je me serais dit qu’il devait être en train de profiter. Là, j’étais morte de trouille », soupire-t-elle.
Une peur qui n’efface pas, non plus, la détermination. Alors que le cortège entame sa marche vers l’esplanade Nelson Mandela, les pancartes « Pas de justice, pas de paix ! » et « Justice pour Nahel » s’entremêlent. Mélissa, 23 ans, reste combative. « Quoiqu’il arrive, il faudra être dans la rue et ne jamais baisser la garde », explique celle qui a grandi au quartier Pablo Picasso. Une résistance que partage aussi Hamid, 30 ans, né à Nanterre. Il est poissonnier pour plusieurs marchés en Île-de-France. Il dort dans sa voiture. « Il faut se battre, malgré l’injustice, malgré le racisme… », énumère-t-il, en évoquant un bar à Paris qui l’a refusé « à cause de la barbe ».
Ces discriminations, beaucoup de personnes présentes les vivent au quotidien. Chaque jour, y compris dans les médias. D’ailleurs, de nombreux jeunes préfèrent ne pas répondre aux questions. « On sait jamais », élude calmement l’un d’entre eux, trop habitué à voir « comment on est traités sur Cnews et tout ». Une méfiance qui était déjà présente au moment des révoltes de l’été dernier, alors que la galaxie Bolloré rabâchait les outrances autoritaires et les comparatifs racistes pour parler des habitants des quartiers populaires.
Prenez soin de vous les jeunes, l’avenir est entre vos mains. Vous savez très bien ce qu’il y a demain. Réveillez-vous.
M. Merzouk
La foule arrive à l’esplanade. Tout le monde se met en cercle autour de Mounia Merzouk et des dizaines de jeunes alignés à côté d’elle. Sa voix tremble. Des larmes tombent sur ses mots. « La vie de nos enfants a de la valeur. C’est très très dur pour moi, vous savez, de savoir que les deux policiers sont dehors et que je peux les croiser à tout moment. Ça me déchire », peine-t-elle à confier, submergée par l’émotion. Florian M., le policier qui a tiré sur Nahel, a été remis en liberté sous contrôle judiciaire en novembre. Début mai, une reconstitution avait révélé les failles de sa défense, consistant à dire qu’il ne faisait que se défendre face à l’adolescent.
« Prenez soin de vous les jeunes, l’avenir est entre vos mains. Vous savez très bien ce qu’il y a demain. Réveillez-vous. Il faut éviter les morts, protéger les enfants », lance-t-elle, soutenu par des applaudissements. Elle est rejointe par un imam. « Nous ne sommes pas tous de la même religion, mais croyants ou pas, on est là pour rendre hommage à Nahel », explique-t-il. Une minute de silence démarre. Elle est suivie par une prière. Le ciel gris laisse tomber quelques gouttes. Certains regards sont lancés vers les nuages. Comme un message de « l’au-delà, de ce paradis où est Nahel », espérait l’imam, quelques minutes plus tôt.
« Le combat n’est pas fini »
Les policiers, la justice, il faut que ça change. Ils n’ont pas le droit de tirer.
Un jeune prend la parole : « Nahel, on l’aimait tous. Les policiers, la justice, il faut que ça change. Ils n’ont pas le droit de tirer. Ici, on a eu aucune réponse. La préfecture n’a rien fait », pointe-t-il, avant que Mounia Merzouk invite la foule à revenir sur ses pas pour se rassembler autour d’un barbecue. Là, Assa Traoré prend la parole. La sœur d’Adama Traoré, mort alors qu’il était interpellé par des gendarmes à Beaumont-sur-Oise, en 2016, harangue les jeunes devant elle. « Les quartiers populaires ont un pouvoir. Ils sont l’espoir de notre pays. L’endurance, j’espère que vous l’avez. Parce que le combat n’est pas fini. Vous avez une responsabilité : que ces images ne tombent pas dans l’oubli. »
À quelques mètres de là, une grande affiche signée du logo des Soulèvements de la Terre montre la scène qui a fait le tour du monde : un policier tenant son arme face à un adolescent au volant d’une voiture. Avec comme titre : « 1 600 000 €, le crime, ça paie », en référence à la cagnotte lancée par le soutien d’Éric Zemmour, Jean Messiha, et dont a bénéficié le policier Florian M. Ce même Jean Messiha pourrait-il intégrer un gouvernement d’extrême droite si Jordan Bardella arrivait à Matignon ? À cela, une seule réponse. Elle est donnée par Assa Traoré. « L’extrême droite peut arriver au pouvoir, mais nous, on peut changer les choses. Pourquoi ? Parce qu’on est dans la rue. »