Une idée pour l’Ifop

L’institut de sondages a publié les résultats d’une « radiographie de l’antisémitisme en France ». Avec une méthodologie très orientée qui a beaucoup plu au Figaro.

Sébastien Fontenelle  • 12 juin 2024
Partager :
Une idée pour l’Ifop
© Timon Studler / Unsplash.

L’Ifop, institut de sondages bien connu, a publié en mai les résultats d’une « radiographie de l’antisémitisme » en France réalisée en partenariat avec la Fondation pour l’innovation politique (Fondapol) du politologue Dominique Reynié, ex-candidat Les Républicains (LR) aux élections régionales de 2015, selon qui « plus d’un compatriote musulman sur deux partage les préjugés antisémites, et d’autant plus qu’ils vont à la mosquée plus souvent », et pour le compte de l’AJC Paris, « bureau » français de l’American Jewish Committee, dont la directrice de la communication, par ailleurs membre fondatrice du Printemps républicain, postait encore sur X, samedi 8 juin, un message proclamant que la manifestation de soutien aux Palestinien·nes organisée ce jour-là à Paris était, je cite encore, « une manifestation de soutien au Hamas face à Israël qui se bat contre le terrorisme ».

Pour mener à bien cette « enquête », dont Le Figaro a aussitôt claironné avec gourmandise, quarante-huit heures avant les élections européennes, qu’elle montrait que, « pour 92 % des juifs français, La France insoumise contribue à faire monter l’antisémitisme », l’Ifop a effectué trois sondages successifs. Le premier a été réalisé auprès de « répondants » constituant un « échantillon représentatif » de la population française. Le deuxième, auprès de « 527 personnes de confession musulmane résidant en France ». Le troisième, enfin, auprès de « 500 personnes de confession ou de culture juive », pour « évaluer » notamment, et très pertinemment, « leur exposition aux actes antisémites » et  « leur perception de ces actes ».

Ciblage spécifique

L’Ifop semble donc avoir spécifiquement ciblé, pour les sonder, plusieurs centaines de musulman·es « résidant en France », et plusieurs centaines de juifs et juives : cela peut assurément surprendre, mais admettons. Le problème, car il y a un – gros – problème, est le suivant : dans notre pays de longue tradition antisémite, qui aime à se présenter comme « la fille aînée de l’Église » catholique, pourquoi diable ce vénérable institut a-t-il cru devoir interroger spécifiquement, pour sa « radiographie de l’antisémitisme » en France, plusieurs centaines de musulman·es, mais, par exemple, aucun·e catholique (liste non exhaustive) ?

Le choix suggère (…) que les musulman·es seraient plus directement concerné·es (…) par la question de l’antisémitisme.

Ce choix, bien sûr, n’a rien d’anodin, et il n’est surtout pas neutre : il suggère évidemment, sans aller jusqu’à l’énoncer distinctement, que les musulman·es seraient plus directement concerné·es que les membres d’autres communautés par la question de l’antisémitisme. Et par conséquent : qu’ils sont peut-être plus antisémites que la moyenne. Par une heureuse coïncidence, cette dernière suggestion est au diapason des brailleries du commentariat d’extrême droite qui ces temps-ci donne le la du discours médiatique dominant, et qui ne reste jamais plus de quelques heures sans insinuer – ou affirmer – que les musulman·es sont antisémites. 

Une idée pour l’Ifop : ne pas hésiter, un de ces matins, à radiographier aussi l’islamophobie française.

Recevez Politis chez vous chaque semaine !
Abonnez-vous
Publié dans
De bonne humeur

Sébastien Fontenelle est un garçon plein d’entrain, adepte de la nuance et du compromis. Enfin ça, c’est les jours pairs.

Temps de lecture : 3 minutes
Soutenez Politis, faites un don.

Chaque jour, Politis donne une voix à celles et ceux qui ne l’ont pas, pour favoriser des prises de conscience politiques et le débat d’idées, par ses enquêtes, reportages et analyses. Parce que chez Politis, on pense que l’émancipation de chacun·e et la vitalité de notre démocratie dépendent (aussi) d’une information libre et indépendante.

Faire Un Don