Une idée pour l’Ifop
L’institut de sondages a publié les résultats d’une « radiographie de l’antisémitisme en France ». Avec une méthodologie très orientée qui a beaucoup plu au Figaro.
dans l’hebdo N° 1814 Acheter ce numéro
L’Ifop, institut de sondages bien connu, a publié en mai les résultats d’une « radiographie de l’antisémitisme » en France réalisée en partenariat avec la Fondation pour l’innovation politique (Fondapol) du politologue Dominique Reynié, ex-candidat Les Républicains (LR) aux élections régionales de 2015, selon qui « plus d’un compatriote musulman sur deux partage les préjugés antisémites, et d’autant plus qu’ils vont à la mosquée plus souvent », et pour le compte de l’AJC Paris, « bureau » français de l’American Jewish Committee, dont la directrice de la communication, par ailleurs membre fondatrice du Printemps républicain, postait encore sur X, samedi 8 juin, un message proclamant que la manifestation de soutien aux Palestinien·nes organisée ce jour-là à Paris était, je cite encore, « une manifestation de soutien au Hamas face à Israël qui se bat contre le terrorisme ».
Pour mener à bien cette « enquête », dont Le Figaro a aussitôt claironné avec gourmandise, quarante-huit heures avant les élections européennes, qu’elle montrait que, « pour 92 % des juifs français, La France insoumise contribue à faire monter l’antisémitisme », l’Ifop a effectué trois sondages successifs. Le premier a été réalisé auprès de « répondants » constituant un « échantillon représentatif » de la population française. Le deuxième, auprès de « 527 personnes de confession musulmane résidant en France ». Le troisième, enfin, auprès de « 500 personnes de confession ou de culture juive », pour « évaluer » notamment, et très pertinemment, « leur exposition aux actes antisémites » et « leur perception de ces actes ».
Ciblage spécifique
L’Ifop semble donc avoir spécifiquement ciblé, pour les sonder, plusieurs centaines de musulman·es « résidant en France », et plusieurs centaines de juifs et juives : cela peut assurément surprendre, mais admettons. Le problème, car il y a un – gros – problème, est le suivant : dans notre pays de longue tradition antisémite, qui aime à se présenter comme « la fille aînée de l’Église » catholique, pourquoi diable ce vénérable institut a-t-il cru devoir interroger spécifiquement, pour sa « radiographie de l’antisémitisme » en France, plusieurs centaines de musulman·es, mais, par exemple, aucun·e catholique (liste non exhaustive) ?
Le choix suggère (…) que les musulman·es seraient plus directement concerné·es (…) par la question de l’antisémitisme.
Ce choix, bien sûr, n’a rien d’anodin, et il n’est surtout pas neutre : il suggère évidemment, sans aller jusqu’à l’énoncer distinctement, que les musulman·es seraient plus directement concerné·es que les membres d’autres communautés par la question de l’antisémitisme. Et par conséquent : qu’ils sont peut-être plus antisémites que la moyenne. Par une heureuse coïncidence, cette dernière suggestion est au diapason des brailleries du commentariat d’extrême droite qui ces temps-ci donne le la du discours médiatique dominant, et qui ne reste jamais plus de quelques heures sans insinuer – ou affirmer – que les musulman·es sont antisémites.
Une idée pour l’Ifop : ne pas hésiter, un de ces matins, à radiographier aussi l’islamophobie française.
Sébastien Fontenelle est un garçon plein d’entrain, adepte de la nuance et du compromis. Enfin ça, c’est les jours pairs.
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